Peter von Kant, de François Ozon. Avec Denis Ménochet et Isabelle Adjani. En salles le 6 juillet.

Amours amères

Sophie Rosemont

CINÉMA

Il fallait oser s’attaquer aux Larmes amères de Petra von Kant, huis clos lesbien de Fassbinder, qu’il avait monté sur les planches en 1972 puis porté à l’écran. Toxique, piquant, et, surtout, très proche du vécu du réalisateur allemand, qui imaginait alors comment une créatrice de mode égocentrée, qui passe ses journées à malmener son assistante, tombait follement amoureuse d’une jeune femme à qui elle offrait son carnet d’adresses. Si reprendre une œuvre mineure ou pimper de la science-fiction du siècle dernier avec les effets spéciaux d’aujourd’hui peut être une vraie réussite, tourner le remake d’un film culte est un territoire miné. Et pourtant exploré par quelques réalisateurs remarquables… qui ne les compteront pas parmi leurs meilleures œuvres. Surtout lorsque l’original est inquiétant, voire ambigu. Le Talentueux Monsieur Ripley d’Anthony Minghella n’est pas aussi vénéneux que Plein Soleil de René Clément. Se calquant plan sur plan de Psychose, le Psycho de Gus van Sant vaut plus pour l’exercice que pour son parti pris narratif. Le Suspiria de Luca Guadagnino choisit intelligemment de prendre du recul face à celui de Dario Argento mais en perdant beaucoup de second (et troisième, et quatrième) degrés.

François Ozon a pour lui qu’il a déjà réinventé du Fassbinder, avec Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, en 2002. De plus, il remonte aux sources de ce cruel récit : le chagrin d’amour de Fassbinder avec l’un de ses acteurs fétiches, Günther Kaufmann. Peter est un célèbre cinéaste dont l’inspiration fluctue selon ses nerfs. Il vit à Cologne dans un appartement de brique, de matières suaves et de verre, que l’on ne quitte pratiquement pas durant le film. À ses côtés, Karl, soumis à tous les caprices de Peter, a le coup de foudre pour un sublime jeune homme, Amir. Il va le rendre, littéralement, acteur. « Il s’agissait de trahir Fassbinder pour mieux le retrouver, explique Ozon, et me retrouver moi-même dans une histoire universelle de passion amoureuse, plus que jamais d’actualité. »

Peter von Kant, c’est aussi bien Fassbinder que François Ozon. L’influence du premier s’est souvent ressentie dans les films du second.

En 2022, tout sonne en effet très juste dans Peter von Kant. Les rapports de force dans des industries dites artistiques, l’hypocrisie des interactions sociales, les boursouflures d’ego, les névroses obsessionnelles que l’autre nous renvoie : ce qui pouvait sembler exagéré dans les seventies ne l’est plus du tout. Une hystérie individuelle qui devient collective, sublimant la pulsion créative mais contaminant les sentiments. 

Le casting y est pour beaucoup. Personne n’a peur d’en faire trop, et c’est ce qui fonctionne dans un huis clos aux superbes images, assurées par le brillant chef opérateur belge Manu Dacosse. Le passage des saisons est volontairement souligné : les teintes chaudes de l’automne, la lumière estivale, la froideur de l’hiver. En Peter von Kant maniéré, impulsif, terrible et tendre, Denis Ménochet tient là l’une des plus belles performances. Dans le rôle de sa meilleure amie, actrice diva qui refuse plus ses rides qu’une ligne de cocaïne, Isabelle Adjani s’amuse autant que nous. Après avoir joué le souffre-douleur de Margit Carstensen dans la version de Fassbinder, Hanna Schygulla revient chez Ozon pour incarner la mère antipathique de Peter. Enfin, deux jeunes hommes ravissants mais faussement inutiles : Stefan Crepon, muet de bout en bout, et Khalil Gharbia – dont c’est le premier long-métrage – qui parvient à conférer de l’épaisseur à son personnage de giton. « Madame Bovary, c’est moi », disait Flaubert. Peter von Kant, c’est aussi bien Fassbinder que François Ozon. L’influence du premier s’est souvent ressentie dans les films du second. Lequel signe pourtant, en dépit de l’étiquette remake, l’un de ses films les plus personnels, pratiquant une autocitation assez savoureuse. S’il respecte la trame de Fassbinder, on trouve dans ce Peter von Kant tout ce qui tisse le cinéma d’Ozon depuis son premier film, Sitcom (1998) : la nuisance bipolaire de la famille, l’impossible pureté de l’amour, et une passion dévorante pour le cinéma. Queer, dans tous les sens du terme.  

Peter von Kant, de François Ozon. Avec Denis Ménochet et Isabelle Adjani. En salles le 6 juillet. 



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