Vincent Dubourg

Dubourg : la vie dense

Philippe de Boucaud

art

Pour connaître un ami, il faut aller chez lui, pour connaître un artiste aussi. Vincent Dubourg ouvre sa porte à Felletin, proche d’Aubusson dans la Creuse. La région comme son atelier rappellent la Grèce antique, habitée du haut de son Olympe par une mythologie bouillonnante. Si Charron n’épargnant ni la jeunesse, ni la beauté, ni la vaillance, fait passer les âmes vers les heures sombres, au-delà de l’Acheron, Dubourg les ramène tout simplement à la lumière. Embarquons et remontons son temps. Pas d’obole à verser, pas d’errance non plus, Dubourg possède la conscience absolue du temps qui passe. En découvrant l’artiste, son cheminement, l’évolution de son travail, démasquons l’homme et l’aboutissement de son œuvre, dusse-t-elle ne jamais se terminer. Ce chemin de Compostelle est simple. Il s’appelle : autarcie, solitude, rencontres, partage, confiance et altruisme.

La virilité des matériaux forge le pouvoir narratif de la forme, avec pour point d’équilibre ses contradictions entre le vide et le plein, le terrestre et le céleste, le sauvage et le familier.

Autarcie. Installé dans son atelier flanqué à l’ancienne gare de Felletin, Dubourg a vécu seul toute une période passée à réfléchir devant la terre battue et le chaudron. Cette vie en autarcie l’autorise à vivre de lui-même. Comme rien ne fonctionne sans l’autre, il peut enfin donner davantage de complétude à autrui. Avec ce travail de guide, Dubourg ouvre les champs des possibles, s’adonne à un exercice de style, revient aux choses qu’il ne pouvait apercevoir. Cette autarcie lui a permis de conserver son territoire personnel, de préserver sa propre autonomie et de garder un périmètre suffisamment large pour ne déranger personne et préserver sa liberté.

Solitude. La contemplation, rapport au temps précieux, est un véritable apaisement.On fait reposer ce qui vient de soi pour accueillir le futur. Ce temps n’est pas un placebo. C’est une hygiène de vie qui ouvre l’esprit. Le mobilier, c’était un prétexte pour accéder à l’art global, majeur. Il fallait créer un univers, se rapporter au toucher, rentrer dans le volume et accéder au divin. Il fallait créer son propre tunnel. Ramener l’objet au monde. Cette solitude brisée devait l’amener plus loin. Ce n’était qu’une question de rencontres.

Rencontres. Il débute avec l’artiste Tulip aux Arts Déco de Paris l’exploration des limites du design. Grâce au cintrage du bois mis en œuvre, il prend conscience de ce qu’implique le langage plastique : un ajustement méditatif du corps et de l’esprit,une préparation quasi-rituelle de l’atelier, une communion avec les éléments naturels. Il se lance dans des créations hybrides entre mobilier, sculpture et geste artisanal, et expose partout. Rencontre avec la fonderie Bonvicini à Vérone, où il expérimente le métal en fusion par le jeu et la force mystique qu’il en émane.Autonomie consacrée, indépendance suprême, Dubourg commence à cintrer le métal,ce qui lui permet de se passer de fondeur. Puis retour au chaud et rencontre avec David de Gourcuff qui dirige la Fonderie Fusions à Charbonnière-les-Vieilles. Un département spécifique sera dédié pour ses créations. Le mobilier n’est qu’un prétexte à l’exploration du sens de l’art. Il n’est pas une finalité mais un moyen d’incarner l’acte artistique dans la matière.

Partage. L’artiste s’interroge sur cette idée de partage, se l’accapare. Dès son plus jeune âge, l’enfant joue avec l’autre. Il construit sa cabane. En vieillissant, l’homme prend conscience des acquis, va au plus profond de son être. C’est une autre manière de se donner. On pose la conscience. On illumine ses propres peurs. On s’ouvre davantage à la générosité. Jouer et partager, c’est trouver un équilibre. L’artiste pousse l’esprit, la matière pour valoriser l’idée : il crée un langage. En retirant la fonction meuble tout devient plus simple. Dubourg s’extrait alors du monde du design pour devenir artiste.

Encore une fois, il aime le moment où le temps s’arrête. Et il y a un temps pour tout. Celui du partage en fait partie. C’est là qu’intervient ce projet de nouvel atelier : un ancien pensionnat accroché dans la ville avec, côté face, une ouverture sur la cité, et côté pile, son lieu à lui, où peut s’animer toute l’intimité de son âme. Dubourg l’artiste laisserait-il la place à Vincent l’acteur culturel global, incubateur de talents et producteur d’expositions et rétrospectives ? Son cœur bat trop fort pour garder cela pour lui.

Confiance. Délaissant le design en tant que tel, Dubourg devient un artiste global. Selon lui, on aurait besoin des deux. Les Italiens ont mis de la couleur au désir en créant un marché de la répétition, de la duplication. Concevoir tout type de pièce pour tâcher de se sentir vivant et dire au marché : « J’innove, vous n’allez pas me reconnaître ! » Ce n’est plus suffisant. Sorti de sa solitude de presque homme des bois, ce garçon ultra raffiné regarde, écoute, touche. L’artiste reprend alors confiance, lui permettant de se détacher du regard d’autrui. Dubourg va devenir père de sa propre sculpture. Il va observer, s’ouvrir davantage et voir plus grand. Empruntant au constructivisme et au brutalisme une vision de l’art, Vincent conçoit ses objets en étroite relation avec l’espace, l’architecture, le quotidien. L’objet surpasse sa fonction utile et devient chef-d’œuvre infécond, poétisant la vie ordinaire, passant sans ambages du profane au sacré. Son point de départ, c’est la matière : bois, métal, bronze, acier, aluminium. La virilité des matériaux forge le pouvoir narratif de la forme, avec pour point d’équilibre ses contradictions entre le vide et le plein, le terrestre et le céleste, le masculin et le féminin, le sauvage et le familier. Son œuvre se débat entre le micro et le macrocosme, absorbe intimité et fragilité de l’être humain et l’immensité du grand tout.

Altruisme. L’altruisme brut est un acte qui ne demande rien en retour. Il semblerait qu’on y soit ! Dubourg a enfin dépassé le beau. Il a enfin conquis l’univers qu’il désire d’habiter. Il peut vivre son monde, avec le détachement qui le caractérise. Il va enfin concevoir ses créations pour lui et ensuite, avoir le courage de les montrer. Ce n’est pas un achèvement non plus. Dubourg n’est jamais fini. Parlons d’accomplissement.

Dubourg le doux se génère dans son art brutal, sans retour. C’est obligatoire. C’est l’heure d’aller déchiffrer ces hiéroglyphes inscrits dans les bulles effervescentes de son chaudron. C’est le temps de la transmission. Il doit rendre palpable et tangible sa création. C’est ce qui lui permet de croire en la vie. Vivre cet altruisme génère des moments de vérité sans borne. On ne se situe plus dans le domaine de la conscience, mais dans celui de la jouissance. Jouir, c’est posséder la conscience de ce qui s’est passé. C’est la conscience de ce qui a été vécu de bon, de ce qui fait du bien. C’est la maîtrise de la fraction de seconde qui vient de s’accomplir et qui réinvente les sensations. C’est l’instant présent. Dubourg n’aime pas terminer. Cette fin le traduit en jugement. Sans cassation. Valider l’acte de finition est castrateur. Finir n’est jamais fini. Ainsi, il court de matériau en matériau comme une évidence. La forme prend le dessus sur la matière. Il se permet alors d’aller du minéral au végétal. C’est peut-être la création qui lui a apporté le plus de joie.

Densité. La rencontre avec Magda Danysz le fait déculpabiliser de son travail du dimanche, ce travail de tableau non abouti. Magda est une vraie cuisinière (dixit) proposant tant de solutions artistiques, en véritable cheffe de corps et de cœur qu’elle incarne. La galerie Danysz ouvre pour lui « Densité » dans son espace du Marais qui réunit des sculptures en aluminium, des tableaux de bois brûlé, des pièces en céramiques constituant son alphabet de formes. Les visiteurs, collectionneurs et artlovers vont pouvoir rentrer dans l’univers de Dubourg. L’artiste, dont le rapport à la matière est charnel au possible, capte l’instant de la transformation. Il présente le moment de fusion où tout se métamorphose et se fige, repoussant sans cesse les limites qui s’imposent à lui et dont il s’affranchit effrontément.

Densité,
exposition de Vincent Dubourg,
du 11 juin au 27 août, Galerie Danysz,
78 rue Amelot, Paris 11.

Adolescent, Dubourg avait pris conscience de la nécessité de préserver son monde imaginaire et créatif ; ce monde que tout enfant crée pour se protéger, se construire et ressaisir l’essentiel. Parvenu au temps de la maturité, Vincent considère l’art comme un jeu qui se partage avec générosité, confiance et altruisme.



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