La bourse expliquée à ma tante

Frédéric Rollin

Inflation, guerre, Covid. C’est la double-peine pour les marchés d’actions. Est-ce grave ?
Jean qui rit, Jean qui pleure. Les marchés caracolaient fièrement en 2021. Et soudain, patatras ! Les investisseurs n’ont plus goût à rien. Jadis considérées comme un abri sûr, les obligations américaines prennent l’eau à grands bouillons et les pertes des marchés actions se comptent en dizaines de pourcents. Se conformant au vieil adage boursier, les investisseurs brûlent ce qu’ils ont adoré : le Nasdaq, l’indice des géants de l’innovation, des « winners » de la disruption, se dégonfle comme un vieux soufflé. Et ma chère tante me harcèle de questions. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que c’est grave ? Que faut-il faire ? J’ai le sens de la famille et j’ai tenté de lui répondre.
Disparue depuis les années 1980, l’inflation est revenue et dévore tout. Les politiques ultra-accommodantes des banques centrales et des gouvernements pendant la pandémie ont rempli les caisses de nombreux ménages et entreprises, en faisant couler l’argent à flots. Après un an de privations, la volonté de consommer et d’investir a été immense. Quant aux entreprises, elles ont dû embaucher et accorder des augmentations de salaire substantielles. Avec finalement une forte demande, qui fait monter les prix. Mais les banques centrales et la plupart des économistes de marché ont estimé que l’inflation se modérerait rapidement. Pourquoi ? La compétition entre les entreprises devait limiter les hausses de prix. Et les surcapacités industrielles mondiales sont massives, notamment en raison des investissements gigantesques opérés en Asie ces trente dernières années. La concurrence devait donc jouer à plein et il suffisait d’attendre que les confinements cessent pour voir l’inflation reculer. Funeste erreur. La guerre en Ukraine a créé de nouveaux foyers d’inflation, ceux de l’énergie et de l’alimentation, et les confinements n’ont guère cessé, demandez aux habitants de Shangaï. Les surcapacités mondiales pléthoriques sont ainsi devenues de drastiques sous-capacités, les délais de livraison se sont allongés et l’inflation s’est installée.
D’accord, m’a répondu ma chère tante, même les meilleurs peuvent se tromper. Le général de Gaulle a bien dit en décembre 1967 : « L’année 1968, je la salue avec sérénité. »  Mais est-ce grave ? Ma tante, c’est sérieux. L’inflation est un poison. Aujourd’hui, les prix montent plus vite que les salaires, le pouvoir d’achat s’effondre et les consommateurs perdent confiance. La croissance pourrait ralentir sévèrement, et très prochainement. Et si l’inflation s’installe, la croissance sera durablement fragilisée. L’inflation mange le pouvoir d’achat et l’épargne, démoralise les ménages, inquiète les entreprises et rend difficile tout projet d’avenir. Il faut donc lui tordre le cou pour de bon, au risque de casser temporairement la croissance. 
Et c’est ce que la Réserve fédérale américaine a commencé à faire, en inversant d’un seul coup sa politique monétaire. Mamie gâteau, elle a cédé pendant deux ans à tous les caprices économiques et boursiers. En 2022, c’est le père fouettard. Un œil noir fixé sur l’inflation, elle inflige un resserrement monétaire cuisant et se montre insensible aux douleurs économiques et boursières. La Banque centrale européenne semble lui emboîter le pas. Certes, le risque de voir l’inflation s’installer en Europe est modéré. Malgré une économie en pleine croissance, les hausses de salaire ont en effet été médiocres. Mais la croissance est revenue et la politique monétaire doit s’adapter. Et la baisse continue de l’euro nous oblige à importer de l’inflation, ce dont personne n’a besoin aujourd’hui.
C’est donc la double-peine pour les marchés boursiers. Les taux obligataires sont remontés et offrent désormais une alternative intéressante aux actions. Et les perspectives bénéficiaires des entreprises se sont fortement dégradées : baisse attendue de la consommation, hausse des coûts de production, délais de livraison et même parfois fermetures de sites en raison du manque de pièces venant d’Asie. Mais comme les bourses ont essuyé une forte correction, faut-il vendre ? Ce serait dommage. Le ralentissement économique commence à faire pression sur les prix des matières premières. Il est donc probable que, du côté des banques centrales et de l’inflation, nous ayons passé le pire. D’ailleurs, les marchés obligataires, premiers indicateurs de l’angoisse monétaire, se sont stabilisés. Et, pour un investisseur patient et prêt à subir des variations importantes de son portefeuille, les valorisations sont redevenues attrayantes, surtout pour les actions européennes.
Hélas, à plus court terme, les bourses ne sont probablement pas au bout de leurs peines. La guerre en Ukraine s’enlise et on ne peut exclure des coupures de gaz de la part de la Russie. L’Algérie et la Norvège n’ont pas les capacités pour remplacer les exportations russes et de nombreux pays européens n’ont pas de terminaux de gaz liquéfié. En auraient-ils, les capacités mondiales de production et de transport de ce gaz sont aujourd’hui largement insuffisantes. Des ruptures de l’approvisionnement russe auraient donc un effet dévastateur.
Autre risque, la poursuite des confinements en Chine. En 2020, la plupart des pays d’Asie avaient adopté une politique « zéro Covid » avec beaucoup de succès. Mais, avec le nouveau variant Omicron, beaucoup plus contagieux, tous l’ont abandonnée. Tous, sauf un. Un village résiste, et pas des moindres : la Chine. Malgré l’échec des confinements à Hong Kong et quelques voix discordantes dans l’administration, le gouvernement chinois garde le cap. Le président chinois Xi Jinping s’en est d’ailleurs récemment pris aux sceptiques de la politique « zéro Covid » et confirme qu’il n’a aucune intention de rebrousser chemin. Il est vrai que la population âgée est peu vaccinée et que le pays dispose de beaucoup moins de personnel soignant et de lits d’hôpital que ses partenaires économiques des pays développés. Il impose donc des confinements sévères, même si des assouplissements sont envisagés, et risque fort de plonger la deuxième économie mondiale dans la récession. La chute de la plupart des indicateurs économiques est d’ailleurs déjà abyssale. Et la désorganisation des chaînes de production s’amplifie. Au Japon, Toyota a annoncé une baisse de sa production, faute de semi-conducteurs, et d’autres constructeurs automobiles pourraient suivre. Ceci constitue clairement un facteur de ralentissement pour les économies européennes et américaine.
Frédéric Rollin
est conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management depuis 2011. Il a commencé sa carrière comme gérant obligataire, de 1990 à 1998 pour BNP, Cardif Asset Management et JP Morgan. Il a ensuite travaillé chez HSBC Asset Management avant de prendre le rôle de responsable de la gestion de taux chez Robeco à Paris de 2007 à 2009. Frédéric est diplômé de statistiques et d’économie à l’ENSAE SEA.
Les marchés actions devraient donc être sous pression encore quelque temps. Mais vendre aujourd’hui alors que les bourses ont chuté et que le pessimisme règne, c’est probablement dommage. D’autant qu’il est possible de se protéger en partie contre le ralentissement économique en investissant dans des actions défensives, c’est-à-dire peu sensibles au ralentissement de l’économie, comme les titres pharmaceutiques et ceux de la consommation courante. Et certaines valeurs de croissance et d’innovation deviennent à nouveau intéressantes, alors que les investisseurs les délaissent depuis plusieurs mois maintenant et que beaucoup de ces entreprises voient leurs perspectives bénéficiaires de long terme s’améliorer avec les crises récentes. Les entreprises actives dans la cybersécurité vont plus que jamais remplir leurs carnets de commandes, car les citoyens et les États comprennent désormais à quel point le cyberespace est devenu un terrain de guerre. L’Australie vient d’ailleurs de voter le plus gros budget de cybersécurité de son histoire. Autre idée, les énergies renouvelables restent très intéressantes. Les ingénieurs font un bon travail et le coût de l’électricité solaire continue de baisser à un rythme rapide, la hausse des prix du gaz et du pétrole les rendant encore plus compétitives. De plus, nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique, elles focalisent l’intérêt de nombreux investisseurs. Enfin, elles ont un troisième atout dans leur manche, qui s’abat aujourd’hui :  elles offrent l’indépendance énergétique dont -l’Europe a tellement besoin....

Inflation, guerre, Covid. C’est la double-peine pour les marchés d’actions. Est-ce grave ? Jean qui rit, Jean qui pleure. Les marchés caracolaient fièrement en 2021. Et soudain, patatras ! Les investisseurs n’ont plus goût à rien. Jadis considérées comme un abri sûr, les obligations américaines prennent l’eau à grands bouillons et les pertes des marchés actions se comptent en dizaines de pourcents. Se conformant au vieil adage boursier, les investisseurs brûlent ce qu’ils ont adoré : le Nasdaq, l’indice des géants de l’innovation, des « winners » de la disruption, se dégonfle comme un vieux soufflé. Et ma chère tante me harcèle de questions. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que c’est grave ? Que faut-il faire ? J’ai le sens de la famille et j’ai tenté de lui répondre. Disparue depuis les années 1980, l’inflation est revenue et dévore tout. Les politiques ultra-accommodantes des banques centrales et des gouvernements pendant la pandémie ont rempli les caisses de nombreux ménages et entreprises, en faisant couler l’argent à flots. Après un an de privations, la volonté de consommer et d’investir a été immense. Quant aux entreprises, elles ont dû embaucher et accorder des augmentations de salaire substantielles. Avec finalement une forte demande, qui fait monter les prix. Mais les banques centrales et la plupart des économistes de marché ont estimé que l’inflation se modérerait rapidement. Pourquoi ? La compétition entre les entreprises devait limiter les hausses de prix. Et les surcapacités industrielles mondiales sont massives, notamment en raison des investissements gigantesques opérés en Asie ces trente dernières années. La…

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