Le bonheur est dans le presque

Jean Perrier

livre

L’histoire avait fait sourire beaucoup de Français. En 2019, sur l’île d’Oléron (17), un couple de retraités originaires du continent, qui venait régulièrement humer les embruns marins, avait attaqué en justice leur voisine. Le motif se révélait plutôt « cocasse » : le coq de cette femme, prénommé Maurice, dérangeait le couple par ses vocalises matinales à la Pavarotti. Lors du procès, le tribunal de Rochefort avait donné raison au gallinacé – érigé en « symbole de la ruralité », qui avait même perçu (du moins sa propriétaire) mille euros d’indemnités. Anecdotique, cette affaire révélait en creux les nouveaux rapports de force qui agitent les « néo-ruraux » et les provinciaux des terres reculées.

Cette volonté croissante de quitter la ville pour rejoindre la campagne ne cacherait-elle pas un impensé réel, une peur sous-jacente ?

Eux ont franchi le pas. Et quitter Paris, le rêve de tant de Franciliens, ils l’ont fait. En 2021, lassés par les mois blancs du confinement, ils ont décidé de trouver l’espace et le calme à moins de deux heures de la capitale. Elle, c’est Marion Kremp, journaliste au Parisien ; lui, c’est Michael Prigent (dessinateur et directeur artistique de The Parisianer et de Bastille Magazine). Non contents de vivre la dolce vita en Île-de-France, ces mi-Parisiens mi-ruraux ont tiré de leur exil un livre, Les Paruraux, savoureux petit guide à l’usage de ceux qui envisagent de larguer, en partie, la ville pour rallier les grands espaces. Depuis les confinements, de nombreux Français (et Parisiens) ont en effet ressenti le besoin de s’éloigner des villes. Selon le site Parisjetequitte.fr, depuis 2021, 78 % des Franciliens ont des envies d’ailleurs. Et 20 % d’entre eux se disent prêts à rejoindre des villes de moins de 10 000 âmes. Le journal Le Parisien a également réalisé une enquête avec l’opérateur SFR ayant démontré que 150 000 personnes âgées de 11 à 79 ans avaient quitté Paris entre novembre 2020 et octobre 2021.

Sans rejouer le coup du rat des villes contre le rat des champs – ou du bobo vs le rural –, Marion Kremp et Michael Prigent ont listé par mots-clés les grands défis à relever et les petites erreurs à éviter. Car avoir un pied sur le pavé parisien et l’autre dans le potager, ça ne s’improvise pas. Ainsi sont évoquées les questions du déménagement, du transport sur place, de la taxe foncière ou du télétravail, chaque aspect étant analysé avec finesse et autodérision. On frôle parfois la caricature (oui, il y a aussi des bouchons en dehors de Paris, et non, le commérage n’est pas l’apanage des autochtones !), mais l’ensemble est relevé, drôle, pertinent. Surtout, de nombreux bons conseils y sont divulgués – comment notamment s’intégrer aisément au PMU du coin, indispensable.


Les Paruraux,
de Marion Kremp et Michael Prigent (Hachette), 96 pages, 15 €.

Moins chère, moins bruyante, la campagne possède beaucoup d’attraits pour l’urbain – à condition qu’il ait la fibre. Si le développement du télétravail a pu favoriser le don d’ubiquité, il est préférable de bien verrouiller son capital professionnel avant d’aller cultiver son jardin. Là aussi, les deux auteurs des Paruraux vous accompagnent. Mais au-delà des aspects pratiques et des questions d’intégration (ou de réintégration pour les provinciaux d’origine), cette volonté croissante de quitter la ville ne cacherait-elle pas un impensé réel, une peur sous-jacente ? Dans le podcast Thune, Jean-Laurent Cassely, journaliste et co-auteur avec Jérôme Fourquet de La France sous nos yeux (Seuil, 2021), expliquait que, selon lui : « On change de vie pour masquer son déclassement. » On pourrait tout aussi bien affirmer l’inverse, que l’on reste à Paris pour justement masquer son déclassement, mais il faut bien avouer que l’inflation, le prix de l’immobilier et le coût de la vie peuvent faire pencher la balance. Enfin, il est notable qu’une société baignant dans une éco-anxiété permanente (et dans une réelle pollution) puisse avoir des envies d’air pur et d’échappées belles. Pour rebondir sur la thèse de Vincent Cocquebert, auteur de La Civilisation du cocon (Arkhê, 2021), le domicile rural deviendrait alors une sorte de safe-space, un refuge contre la dureté du monde. Une petite bulle hors du temps, du chaos, pour justement s’y préparer, au chaos. Comme si, avant la fin du monde, il ne nous restait que quelques instants pour vivre comme un coq en pâte – même s’il chante un peu trop fort !



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