Ma nuit de Séville

Jean-Vincent Bacquart

la fabrique de la démocratie
Avant de vivre la prochaine Coupe du monde de football au Qatar, retour en 1982, moment historico-tragique pour les Bleus.
Étrange année que 2022, où le grand rendez-vous festif et estival qu’est la Coupe du monde de football se déroulera finalement en hiver... Les milliards de dollars et les stades climatisés n’étaient décidément pas de taille à contrer les chaleurs insupportables de l’été qatari. Est-ce que le spectacle, bientôt offert par les stars du ballon rond, suffira à faire oublier les interrogations nées de l’attribution de l’événement au richissime émirat du Golfe, cinquième producteur de gaz naturel ? Probablement. Est-ce que l’engouement engendré par les soixante-quatre matchs télédiffusés à prix d’or permettra d’occulter les nombreux accidents, parfois mortels, survenus sur des chantiers menés à marche forcée, par une armée de travailleurs immigrés ? Plus prosaïquement, les Bleus transporteront-ils d’allégresse l’Hexagone en embrassant, une nouvelle fois, le précieux trophée ? Souhaitons sincèrement que ces onze fassent à nouveau briller les yeux des plus jeunes, comme leurs prédécesseurs ont fait briller les miens il y a quarante ans.
Nous sommes le 8 juillet 1982, 20h45. Par trente-trois degrés ambiants, le stade Ramón-Sánchez-Pizjuán de Séville bruit de la clameur de soixante mille supporters tandis que les deux équipes entrent dans l’arène. La France, emmenée par le sélectionneur Michel Hidalgo, s’apprête à affronter la RFA – l’Allemagne de l’Ouest d’autrefois –, en demi-finale du Mundial espagnol. Sur la photo d’avant-match aux couleurs devenues fanées, les tricolores ont le visage grave, celui de ceux qui s’engagent avec cœur et passion. Ils s’appellent Trésor, Etorri, Janvion, Amoros, Bossis, Tigana, Rocheteau, Gengini, Giresse, Platini et Six. La rencontre débute. Les Français brillent par leur jeu fluide face à des adversaires plus « physiques ». Le premier acte de la tragédie sportive se conclut par un score équilibré (1-1). Dans la nuit andalouse, la deuxième mi-temps s’engage. Il est encore question de football, pour quelques instants seulement. À la 56e minute, Michel Platini propulse le ballon dans les pieds de Patrick Battiston qui file vers le but allemand, le gardien adverse à sa rencontre. La caméra suit le ballon qui, bientôt, passe à quelques centimètres de son objectif. Cela n’a finalement plus d’importance car le n°3 français est à terre, sans réaction.
Il faut quelques instants aux observateurs pour comprendre ce qui vient d’arriver. Ralenti à l’appui, le joueur français a été violemment percuté au visage par le gardien. Volontairement semble-t-il. Le sport ne mérite pas un tel traitement ; le sport doit être exemplaire. Pourtant, alors que Platini tient la main de son copain qu’on emmène sur une civière, l’arbitre ne fait rien. Pas de sanction, pas d’expulsion qui verrait les Allemands en infériorité numérique. Rien. Le match va reprendre, mais est-ce encore un match dans ces conditions ? Passons sur les espoirs, les doutes, les joies fugaces et enfin la défaite qui cueille les Bleus à l’issue d’une séance de tirs au but. Dans les jours qui suivent, la polémique est telle entre la France et l’Allemagne que le président Mitterrand et le chancelier Schmidt se fendent d’une déclaration commune pour tenter d’apaiser les esprits…

Historien, éditeur,Jean-Vincent Bacquart
est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, notamment sur l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Mais la nuit de Séville n’est pas près de finir pour tous ceux qui l’ont vécue. Elle est un jalon temporel dans nos histoires personnelles. Preuve de sa charge émotionnelle, elle continue de peupler œuvres littéraires, pièces de théâtre, bandes-dessinées, films ou chansons. Marius, Jean-Luc, Gérard, Manuel, Maxime, Jean, Dominique, Bernard, Alain, Michel, Didier, Patrick et Christian, vous êtes les champions du monde ! Ceux d’un gamin qui, le soir du 8 juillet 1982, tente de ravaler ses larmes en allant se coucher, une fois le téléviseur éteint. Parce que l’injustice, dans le sport comme dans les moments tragiques dont l’actualité nous inonde, est insupportable. Qu’on ait huit ans ou qu’on soit devenu adulte…...

la fabrique de la démocratie Avant de vivre la prochaine Coupe du monde de football au Qatar, retour en 1982, moment historico-tragique pour les Bleus. Étrange année que 2022, où le grand rendez-vous festif et estival qu’est la Coupe du monde de football se déroulera finalement en hiver... Les milliards de dollars et les stades climatisés n’étaient décidément pas de taille à contrer les chaleurs insupportables de l’été qatari. Est-ce que le spectacle, bientôt offert par les stars du ballon rond, suffira à faire oublier les interrogations nées de l’attribution de l’événement au richissime émirat du Golfe, cinquième producteur de gaz naturel ? Probablement. Est-ce que l’engouement engendré par les soixante-quatre matchs télédiffusés à prix d’or permettra d’occulter les nombreux accidents, parfois mortels, survenus sur des chantiers menés à marche forcée, par une armée de travailleurs immigrés ? Plus prosaïquement, les Bleus transporteront-ils d’allégresse l’Hexagone en embrassant, une nouvelle fois, le précieux trophée ? Souhaitons sincèrement que ces onze fassent à nouveau briller les yeux des plus jeunes, comme leurs prédécesseurs ont fait briller les miens il y a quarante ans. Nous sommes le 8 juillet 1982, 20h45. Par trente-trois degrés ambiants, le stade Ramón-Sánchez-Pizjuán de Séville bruit de la clameur de soixante mille supporters tandis que les deux équipes entrent dans l’arène. La France, emmenée par le sélectionneur Michel Hidalgo, s’apprête à affronter la RFA – l’Allemagne de l’Ouest d’autrefois –, en demi-finale du Mundial espagnol. Sur la photo d’avant-match aux couleurs devenues fanées, les tricolores ont le visage grave, celui de ceux qui s’engagent…

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