© Alex kurunis

Soul sisters

Sophie Rosemont

Musique

À l’instar de la plupart des musiques qui puisent leur source dans la culture afro-américaine (dont la grande majorité de la pop !) le rhythm’n’blues a toujours été hybride. Mais, contrairement aux idées reçues, le R’n’B n’est pas réservé au territoire anglo-saxon. Depuis plusieurs décennies, il s’est invité dans des pays a priori moins concernés par ce groove situé quelque part entre soul, funk, hip hop et, XXIe siècle oblige, électronique.  « In the groove », « dans le rythme », se félicitaient les jazzmen des années 1930. Depuis, le terme est rentré dans le Larousse : « Se dit d’un style de musique au rythme, binaire le plus souvent, qui possède un caractère répétitif très entraînant. » En témoignent les propositions de Shay, Noga Erez, Nemahsis, Yendry, Marina Satti, Lous & The Yakuza ou encore Marie-Flore. Leur point commun ? Ne pas garder leur langue dans leur poche, remonter à leurs propres origines en manipulant machines, basses et mélodies entêtantes.

Mère grecque orthodoxe, père musulman soudanais : Marina Satti a toujours évolué entre deux univers aux antipodes avant de trouver son équilibre grâce à un mélange irrésistible de boîtes à rythmes et de sonorités folkloriques grecques, du davul au zuma. Après des années à écumer les scènes, son premier album, Yenna, (The Orchard) impressionne par sa forte personnalité. Ce dont ne manque aucune de ces jeunes artistes, déterminées à percer seules dans une industrie dominée par les hommes, où on préfère les faire chanter que les laisser décider de leurs intentions sonores. Française, baptisée en hommage à Joan Baez, Marie-Flore a mis plusieurs saisons, elle aussi, à façonner un son sensuel mais pas consensuel. Dans son second album, Je sais pas si ça va (6&7), la chanteuse-autrice et compositrice balance, de son timbre faussement distant, des punchlines telles que « on s’envoie en l’air, façon canadair, et je tentais d’éteindre le feu », ou « bientôt je toucherai le gros lot, l’amour avec cinq zéros, c’est pas trop tôt ». L’ambition et le désir ne sont pas viscéralement masculins… Et ça, Shay en a parfaitement conscience. Cette rappeuse bruxelloise, petite-fille du roi de la rumba congolaise Tabu Ley Rochereau, a bénéficié de la lumière d’une première partie assurée pour Booba en 2011. Ultra-charismatique, le flow de cette jeune fille alors inconnue avait mis le feu à Bercy. En plus de la musique, c’est l’indépendance qu’elle a dans le sang : depuis, Shay a fondé son propre label et son troisième album est attendu comme le messie. Netflix ne s’y est pas trompé et lui a demandé d’être jurée au sein de l’émission Rhythm + Flow, adaptation du show américain dénicheur de talents…

© Alex kurunis

Terre fertile du rap contemporain, la Belgique a également vu émerger Lous & The Yakuza. Le nom de scène de Marie-Pierra Kakoma, Lous, épelle à l’envers le mot « soul ». Maniant trap et R’n’B, cette Congolaise élevée entre le Rwanda et la Belgique dévoile en effet son âme dans des morceaux traitant de la précarité, de l’immigration, des violences sexuelles… Ayant vécu dans la rue, elle sait de quoi elle parle. Et frappe toujours juste, comme le confirme son second album qui paraîtra à la rentrée via la prestigieuse maison de disques Columbia. C’est aussi chez une major, Warner, qu’a été récemment signée la chanteuse et productrice israélienne Noga Erez, qui voguait en terres indépendantes. Logique : sa musique envoie du bois inflammable, tant du point de vue des paroles que des rythmiques, sous influence électro et hip hop saccadé – dans la lignée directe de M.I.A., et autant engagée que celle-ci contre l’absurdité politique ambiante. Ce que doit partager la Palestino-canadienne Nemah Hasan, alias Nemahsis, qui, soutenue par le label Sam Smith, vient de sortir son premier EP, Eleven Achers. Cette artiste au timbre admirable ne quitte pas son hijab tout en renouant avec un R’n’B old school, vocal et émotionnel, qui traite de l’affirmation de soi et de tolérance.

Sont-elles concurrentes ? Bien sûr que non. Souvent, elles se suivent et apprécient leur travail mutuel jusqu’à se produire ensemble. Ainsi, Lous & The Yakuza a récemment partagé une chanson avec l’Italienne Yendry, qui cultive ses origines portoricaines sur le terrain musical, y compris sur son nouvel album à venir cet été, Caliente, sans oublier la sororité, grand mot aujourd’hui galvaudé, mais ô combien crucial.



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