BIENNALE DE VENISE
C’est reparti pour un tour ! Après deux ans de Covid, revoilà la Biennale de Venise. Chaque année, ce grand raout se consacre aux arts visuels ou à l’architecture. Cette 59e édition est dédiée à l’art contemporain. Elle se tient jusqu’au 27 novembre dans deux lieux situés à la pointe est de la cité des Doges : dans les vastes jardins publics – les –giardini comme disent les Italiens – qui abritent les pavillons nationaux, et à l’Arsenal, ancien chantier naval. Pas moins de 213 artistes de 58 pays y sont réunis. La plupart sont des femmes. Une première.
Il y a des sujets très politiques : les sculptures monumentales de l’Afro-américaine Simone Leigh figurent des femmes noires exploitées aux États-Unis et ailleurs, de l’esclavage à nos jours. La plasticienne a même converti le pavillon américain, au style néoclassique colonial, en hutte géante, coiffée d’un toit de chaume. Gros clin d’œil à l’Exposition coloniale internationale, qui s’est tenue à Paris en 1931. Il y a aussi du déjanté : dans le pavillon autrichien, le tandem trans Jakob Lena Knebl et Ashley Hans Scheirl, sorte de Gilbert & George viennois, nous a concocté une installation pop, joyeusement kitsch, avec sculptures molles très années 1970 et décor un brin surréaliste. Du dérangeant : les toiles de la Portugaise Paula Rego, dans le pavillon central, dépeignent des scènes crues et troublantes de l’enfance, de la vieillesse, de la vie quotidienne. Du somptueux : douze tapisseries de l’artiste rom Malgorzata Mirga-Tas recouvrent entièrement les murs du pavillon polonais (et sa façade !). Elles racontent les traditions des roms de Pologne et la place des femmes dans cette communauté. Du lugubre : les sculptures hyperréalistes de deux centaures géants, installées par Uffe Isolotto dans le pavillon danois. L’un est pendu au plafond par le cou, l’autre est allongé au sol, au milieu d’un tas de fumier. Du mystérieux : les estampes en noir et blanc de l’Afro-cubaine Belkis Ayón, à l’Arsenal. Fascinée par la société secrète cubaine Abakuá, l’artiste a représenté ses adeptes tels qu’elle les fantasmait : des silhouettes aux visages futuristes, sans nez ni bouche, avec de grands yeux ouverts.
Le « off », aussi, nous abreuve d’expos dans des musées, des palais, de nouveaux lieux. C’est là qu’on retrouve des poids lourds masculins. Par exemple, l’Allemand Anselm Kiefer. Ses toiles sombres, épaisses, flanquées de brindilles, de livres et de ferrailles occupent les murs, du sol au plafond, d’une vaste salle du prestigieux palais des Doges. Elles figurent l’incendie historique du palais, en 1577, le chaos, la guerre mais aussi la création. C’est apocalyptique et magnifique à la fois. À deux pas du pont de l’Académie, le palazzo Contarini Polignac dévoile les énigmatiques sculptures du Sud-Coréen Chun Kwang Young. Les fabriquer est un travail de bénédictin : chaque jour, l’artiste emballe de tout petits triangles de polystyrène dans du papier traditionnel (hanji). Puis, il les agence, créant ces œuvres monumentales, minérales, déroutantes. Sur la mythique place Saint-Marc, les Procuratie Vecchie sont ouvertes au public pour la première fois depuis cinq cent ans. Ce palais entièrement rénové met à l’honneur l’Américaine d’origine ukrainienne Louise Nevelson, pionnière de la sculpture moderne aux États-Unis. Ses assemblages de bois monochromes, de couleur noire, occupent un étage entier. Ce qui frappe le plus, c’est l’installation des années 1980 qui réinterprète des caisses de munitions. On pense à la situation en Ukraine, forcément. Situé au bord du Grand Canal, le palazzo Grassi présente une centaine de peintures et encres de la Sud-Africaine Marlene Dumas. Une œuvre chamanique, politique, intime, pleine de portraits, de nus, de gros plans, de grands et petits formats. Dumas, comme beaucoup d’artistes de cette Biennale, ne nous épargne rien. On sort de là, secoué, déconcerté, fasciné.