MANSET ©CAMILLE LAVAUD
MANSET (détail) ©CAMILLE LAVAUD

Gérard Manset : Ni vu ni inconnu

Yves Bigot

Auteur, compositeur et interprète atypique, Gérard Manset possède depuis un demi-siècle une audience captive et une aura incomparable chez les professionnels de la chanson française. Rencontre avec un homme remarquable.
L’homme mystère, le voyageur solitaire, le Parisien invisible, refuse de paraître à la télévision depuis les débuts des « Enfants du rock », il y a quarante ans. Cette obstination en a fait une légende, alors qu’il aurait dû être une star. Pour aggraver sa situation, il ne s’est jamais produit sur scène. Son répertoire, pourtant, est taillé pour. « Le Train du soir », « Banlieue Nord », « Manteau rouge », « Y a une route », « Entrez dans le rêve », « L’Épée de lumière », « Paradis », « On nous ment », pour ne citer que ceux-là, réclament d’être joués en public. Ces titres seraient sans doute des classiques incontournables du rock français s’ils avaient connu une autre vie, organique, évolutive, répétée, partagée, communiée. La confrontation avec le public a été jugée trop dangereuse par ce control freak qui s’est arrêté sur la route de la gloire, par crainte d’être reconnu. Peur de la foule ? D’une notoriété qui l’aurait vidé de son essence ? D’une société du spectacle qui l’aurait vulgarisé ? Le manque de frères d’armes avec lesquels mener la bataille ? Ou simplement l’incurie d’un show-business national qui n’a pas su le prendre en main, lui donner les clés d’une expression légitime ? « On croit toucher du doigt le paradis / On en sort abîmé, on en sort sali / Gardez-vous des honneurs de ce monde-ci / Des éclats de ce monde-là », affirme-t-il sur un riff grunge. Comme Brigitte Bardot avant lui, on ne verra jamais Manset sur scène.
À soixante-dix-sept ans, la question ne se pose plus. Les plus jeunes et les moins avertis ne connaissent son immense talent qu’à travers Bashung, qui reprit son unique tube véritable, « Il voyage en solitaire », sur l’album Bleu pétrole dont Manset composa cinquante pour cent des titres (« Comme un lego », « Vénus », « Je tuerai la pianiste »). Les plus curieux ont parfois remarqué sa présence dans l’œuvre d’un chanteur de la génération suivante, Raphaël, managé par sa fille cadette Caroline Manset, pour lequel il écrivit nombre de textes (« La Mémoire des jours », « Être Rimbaud »,  Peut-être a-t-il rêvé »...). « Raphaël pourrait être mon fils, affirme Manset. Il est venu tout doucement à mon matériel. Il est auteur-compositeur lui-même, mais reste très loin du métier ; très réticent par rapport à l’exposition de son image, il connaît pas mal de doutes comme moi. Il ne possède pas cet ego surdimensionné qu’ont tous ces artistes qui se prennent pour les Molière de la variétoche. Il a fait des études brillantes, ça lui joue des tours parfois, des gens ricanent. C’est un passeur parce qu’il a chanté mes textes sur des albums qui ont très bien marché, comme Caravane. Il a une voix sublime, mais il la joue un peu comme moi : on avance, on recule, on hésite... »
Aux Francofolies 2015, théâtre de la Coursive, dans une salle de neuf cents places, Raphaël alla plus loin. Pour une création d’un soir, il décida de réinterpréter Matrice, album noir, visionnaire, de 1989. Pour s’apercevoir, en répétitions, que les chansons de Manset sont plus difficiles, complexes, qu’elles n’en ont l’air de prime abord. Pour corser l’exercice, il ajouta même quelques titres extérieurs au seul « Matrice », comme la terrible Élégie funèbre de « La Mort d’Orion », le classique routard existentiel. De cette soirée unique, il reste un album, enregistré par France Inter, Solitude des latitudes.

« Je suis dans un univers dont j’ai tellement creusé et approfondi le sillon que je m’y retrouve seul. »

Chanté par une voix très différente, gracieuse, au romantisme moins solennel, plus fragile, mais tout aussi prenante, l’album offre à une nouvelle génération un accès au répertoire inouï de Manset. Lequel était dans la salle, invisible, réfugié dans le local de la poursuite lumière avec sa manageuse, Virginie Borgeaud, loin des regards de ses admirateurs qui l’applaudirent très longuement, espérant qu’il se montrât finalement. En vain. « J’étais présent, je me suis esquivé très vite, c’était très beau, les lumières notamment, et j’ai admiré la prise de risques, parce qu’il ne voulait pas faire les morceaux comme moi, à raison. » « Gérard est un grand poète, sans équivalent en France », assure Raphaël, prix Goncourt de la nouvelle pour Retourner à la mer (Gallimard, 2017). « Son écriture ascétique, mystérieuse, très classique en fait, est assez éloignée de la chanson. On pourrait le lire comme un texte de Nerval, mais c’est encore plus beau en musique, avec sa très belle voix, très aiguë parfois, très austère, qui s’accorde à ses textes, avec une métrique très spécifique : c’est un point de rencontre entre la musique et la poésie. Il aime l’exotisme, la modernité l’emmerde. C’est un classique, Manset, on peut penser à Ronsard, à ce langage-là, galant, courtois parfois, à l’éternel retour, au bouddhisme, à la réincarnation. Il trace un sillon inaltérable, inusable. »

MANSET ©CAMILLE LAVAUD
Passeur plus qu’héritier, Raphaël porte depuis la mort de Bashung les chansons de Manset auprès d’un public plus large – et jeune – que le sien propre. Sur son influence, Manset est lucide, qui sait qu’elle n’est pas celle d’un Dylan, d’un Neil Young ou d’un Leonard Cohen. « Je n’ai influencé personne, parce que Céline ce n’est pas reproductible ; non que je me compare à Céline... » Sa trace est plutôt une longue traîne. « Un temps, j’ai eu quelques pairs ou héritiers : Cabrel a un phrasé un peu comme le mien. Capdevielle aussi, avant qu’il ne change de registre. Murat en est très proche, quoique nous ayons des caractères très différents. Souchon peut-être, “8 m2 ”, “Foule sentimentale.” » Sans surprise, ses sources d’inspiration sont à rechercher dans le trio classique Brel, Brassens, Ferré. « Mais on est alors plus proche du troubadour ou du ménestrel. J’aime beaucoup “Avec le temps”, mais je ne suis pas plus Léo Ferré que Bénabar. » Ses véritables modèles sont plutôt à rechercher dans un passé poétique et littéraire : « Nerval qui me fait pleurer, Gauguin. Pierre Loti, Joseph Conrad, Barbey d’Aurevilly, Proust, Balzac, Chateaubriand, Zola même. » Mallarmé, Malraux, Henry de Monfreid, pourrait-on rajouter. Pierre Louÿs, qu’il adapte dans Opération Aphrodite, érotisme onirique. Et la bande dessinée, ligne claire, chez cet élève des Arts-Déco, lauréat du concours général de dessin qui a échoué au bac en raison d’une orthographe déplorable, mais fait appel à Magritte (la pochette du Langage oublié) comme à Hergé (Manitoba ne répond plus), François Schuiten (Capitaine courageux) et René Brantonne (Opération Aphrodite). Romancier, photographe, peintre, l’auteur de La Toile du maître et d’un fameux portrait d’Eric Clapton, est un multiste qui réserve ses talents à des initiés, exposant seulement ses tableaux aux couleurs éclatantes dans une galerie prestigieuse de la place des Sablons à Bruxelles, à l’automne 2012. « Mes toiles sont très structurées, partent toujours d’une réalité, sont très graphiques. Tout le contraire d’un Chagall. J’ai une immense admiration pour Gauguin. Ça n’est pas mal d’arriver à conserver des phares comme ça. Il existe quelques cahiers, quelques mémoires, quelques lettres de Gauguin, qui ont été publiés. En dehors de cette correspondance, reste le manuscrit original de Noa Noa, où on peut toucher du doigt une réalité qui n’a plus court désormais, de vérité d’expression à travers l’expérience d’artiste. J’ai une attitude qui, sur le plan des motivations, est identique à la sienne ; c’est pour cela qu’il m’intéresse autant. On ne réagit pas parce que c’est mieux ailleurs, mais parce que ce n’est pas bien ici. Je suis attiré symboliquement par l’état sauvage, mais je ne sais pas si je pourrais le vivre et je suis conscient qu’entre Gauguin et moi il y a cent ans de différence. Moi, je suis monté dans des avions… » Enki Bilal acquiesce, qui en signe le catalogue : « Manset arpente, préempte, recompose, donne à voir ou à entendre, toujours en mouvement. »
Décalé, mélancolique, il n’ignore effectivement rien de son époque, regarde la télévision, se connecte en ligne depuis un McDonald, déjeune dans des restaurants thaï (dont cet éternel voyageur parle la langue, parmi une dizaine d’autres), peste contre tout ce qui ne va pas, tout ce qui n’est plus. « On m’a pris pour une sorte d’ermite alors que je suis un bouddha omnipotent et compassionel, très loin du showbiz. Je me reconnais en tous ceux, comme Bashung, auxquels on n’impose rien, qui conservent la lucidité artistique et refusent toute compromission. Je suis dans un univers dont j’ai tellement creusé et approfondi le sillon que je m’y retrouve seul. Je suis un cas : cinquante-cinq ans dans la même major, ce doit être le contrat le plus long. Une constance. » En effet, il vient de resigner pour trois albums chez Warner, qui a absorbé Pathé-Marconi/EMI qui l’avait engagé en 1968. Le premier est annoncé pour cette rentrée : Le Crabe aux pinces d’homme, « quelques sagas poivrées un peu comme elles l’étaient dans mes jeunes années ». Le premier extrait, « Dans un pays de pain d’épice », éternel retour qui évoque Paul et Virginie sur un tempo de boléro lascif, bénéficie des vocalises d’une chanteuse cubaine. C’est une addition tardive à un catalogue faramineux, entamé avec un album désormais introuvable sous influence Beatles psychédéliques, impeccablement suivi d’une double décennie impériale 1970-1989 imparable et inégalée : La Mort d’Orion, Manset (dit l’album blanc), Y a une route, Rien à raconter, 2870, Royaume de Siam, L’atelier du crabe, Le Train du soir, Comme un guerrier, Lumières, Prisonnier de l’inutile, Matrice. Le meilleur d’entre tous, phare intermittent, fuyant et pourtant toujours présent, revenant comme un soleil couchant, avec son look d’éternel minet du drugstore dont seule la couleur de cheveux a viré du noir corbeau au cendré, beau visage, la mèche tombant toujours sur le front, bon sourire déconneur entendu, jean, T-shirt, baskets. Cool et pourtant si tendu, il a toujours cette voix extraordinairement timbrée. Une bonhomie et un sens de l’humour enjoués, un dandysme, de fait, étonnant, clairvoyant, pour une œuvre – il est vraiment l’un de nos rares chanteurs auxquels le terme s’applique – grave, empreinte de poésie philosophique depuis La Mort d’Orion, ce majestueux oratorio symphonique métaphysique, notre Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band, notre Tommy, notre Dark Side of the Moon, notre Blows Against The Empire (Paul Kantner & Jefferson Starship) plutôt, pour se rapprocher effectivement de la science-fiction : la croisière de l’angoisse définitive, l’ascétisme routard, une légère inflexion paranoïaque avec un soupçon de bouddhisme, psychanalytique et hypnotique, clinique. Manset est comme ça. Proche et lointain. Vulnérable et résistant. Méfiant du Genre humain dont il ausculte pourtant les Vies monotones avec hauteur (« Je suis Dieu ») et tendresse (« Filles des jardins »), à la recherche des Lumières perdues, ou mourantes : « Y a-t-il un Dieu, quelqu’un, nous l’appelons ? »

Gérard Manset est criminellement peu chanté à la lumière de l’immense qualité d’un répertoire élégiaque, ciselé et poétique.

Un temps, porté par le vent d’une époque enflammée, Manset a cru qu’il pouvait devenir central, à l’instar d’un Gainsbourg dont il déteste le relâchement, voire de Michel Berger, qu’il côtoyait à la fin des sixties, directeurs artistiques tous deux chez Pathé-Marconi. Il produit, réalise, écrit et compose, pour lui comme pour d’autres, de René Joly à William Sheller, en passant par Herbert Léonard, Eric Charden, Dick Rivers, Ange, Anne Vanderlove, le Québécois Claude Léveillée, Mike Lester, Eric Lafont et même Dalida ! Mais, malgré le studio de la rue de Milan où il opère avec son ami Malek, il n’a pas l’environnement, le marché, de Brian Wilson, Paul McCartney, Neil Young, Dire Straits ou Pink Floyd, pour citer quelques artistes auxquels il sera vaguement assimilé à travers les articles et les années : « C’est une grande douleur d’imaginer qu’on fait le même métier que les Anglo-Saxons. On est à des années-lumière de leur travail, au niveau de la démarche mentale. Eux ont tous les droits, ils ont l’avantage d’une langue très musicale, et ce sont des musiciens d’instinct, qui possèdent une sorte d’éternelle décontraction juvénile. La musique leur appartient depuis Elvis Presley. Notre handicap est incommensurable. On n’aura jamais de John Lennon chez nous. La chanson française, ça ne pèse rien à côté de « Instant Karma ». Ce n’est même pas une question de talent, c’est autre chose. Revolver, c’est la référence absolue. L’anglais, c’était la lune, aucune démarcation possible. Le français sonne de manière différente. Je ne faisais pas du rock et j’ai écouté et mieux compris certaines façons de vivre outre-Atlantique. J’ai la nostalgie de ce que je ne vivrai jamais. Le rock, c’est comme les arts martiaux, une démarche personnelle, inaliénable, inattaquable. La raison essentielle, c’est que c’est une autre forme de vie. C’est Bob Seger. Ça n’existe pas en France, donc je ne l’ai pas fait. C’est une question de choix. » Manset a été marqué par les Beatles, Bob Dylan. « Il n’a pas besoin de synthés. Il a un texte, des mecs qui fonctionnent derrière, le tempo suit. Il n’en est pas à trouver s’il faut de l’écho à l’endroit ou à l’envers. Il n’en a rien à foutre. » À partir de Royaume de Siam (1979), l’orchestrateur, l’arrangeur impressionné par l’architecture de la musique de Beethoven, le producteur démiurge a fait définitivement place au singer-songwriter. « C’est sûr. La mer n’a pas cessé de descendre, c’est guitare/voix : point final. J’étais enfin libéré. » Il admire les Scorpions, Sultans of Swing ou R.E.M., « Losing My Religion ». « Ce sont tous des mecs qui sont depuis plus de trente ans sur la route, intelligents, sensibles, humains, qui fument, boivent, ont des nerfs d’acier, une santé dingue. Ce sont des mutants. Nous, c’est une autre race. Si une chanson avait pu changer le monde, c’est “Imagine”. Qu’elle n’y soit pas parvenue marque nos limites. »
« Pour vendre des chansons, il faut un moral de marchand de canons. Manset fait des chansons, c’est différent. Il les chante. Elles ne tuent pas n’importe qui », affirmait un autre original, Étienne Roda-Gil. Justement. Gérard Manset est criminellement peu chanté à la lumière de l’immense qualité d’un répertoire élégiaque, ciselé et poétique qui ne demande qu’à être revisité, transformé, transcendé, simplifié, enjolivé, et où dorment tant de tubes en puissance. C’est qu’elle est passée, dépassée, l’époque, au milieu des années 1990, où il était cité en leitmotiv dans « Les Bobos » de Renaud : « Ils écoutent sur leur chaîne hi-fi / France Info toute la journée / Bashung, Françoise Hardy / Et forcément Gérard Manset. » Il était alors devenu très chic de lui commander un texte ou une chanson complète : Axelle Red, Julien Clerc, Jane Birkin, Indochine, Axel Bauer, Florent Pagny, David Hallyday, Juliette Gréco, Michel Fugain, Philippe Lavil, ont tous eu recours à son talent. Pas Johnny Halliday, auquel il avait pourtant soumis des textes remarquables. Pour tenter d’y remédier, alors que Dominique A lui consacrait un Manset filial, il publiait en 2014 un OVNI de plus, Un oiseau s’est posé, réenregistrement d’une partie de son matériel, de Animal on est mal à Manteau jaune qu’il n’avait jamais interprété lui-même. En espérant donner l’exemple, il s’y livrait à des duos avec Axel Bauer, Raphaël, l’Anversois Tom Barman du groupe dEUS, Paul Breslin, et pour une version en anglais de la tuante « Élégie funèbre » (« Cover Me With Flowers of Mauve »), l’homme qui faisait la jointure entre le grunge et le folk américain morbide, au baryton enfumé et au style pareillement solennel, le tristement suicidé Mark Lanegan (The Screaming Trees, Queens of the Stone Age).
Roda-Gil était toutefois péremptoire : « De toute notre génération, Manset est le seul à être toujours parvenu à vivre en accord avec ses idées, et il ne s’est jamais trompé. Les artistes perturbent l’ordre établi. » Bashung l’admirait : « Animal, on est mal nous a tous un peu décomplexés, en montrant qu’on pouvait faire des trafics de ce côté-ci de la Manche. Et plus seulement adapter. » Il reprendra cet hymne kafkaïen de Mai-68 à la « I Am The Walrus » dans Route Manset, l’hommage volontairement bâtardisé que lui consacrera l’équipe culture de Libération (Bayon, François et Max Armanet) sous visuel d’un autre fan, dont La Mort d’Orion a inspiré la vocation, Enki Bilal : « Les alignements de mots et de sons de Manset ont taillé pas mal de mes crayons. De Animal, on est mal, Cheval cheval, 2870 ou Royaume de Siam et Le Train du soir, Gérard Manset a sérieusement sévi dans le fond de ma tête. » Bestiaire familier à cet auteur incomparable ? « C’est les tripes. Je crois foncièrement que nous sommes des bêtes. »
Francis Cabrel (qui faisait sa balance sur « Manteau rouge », a hésité avec Royaume de Siam, mais a finalement choisi Prisonnier de l’inutile), Jean-Louis Murat (une version Tour de France propulsive de « Entrez dans le rêve », que chantera aussi Nicola Sirkis d’Indochine en solo), Françoise Hardy (qui, séduite par Matrice, l’invite à dîner avec Dutronc), Brigitte Fontaine (« On ne tue pas son prochain »), l’Alsacien de Raft Pierre Schott en reggae (« Quand les jours se suivent »), le Carioca bossa Joao Bosco (« Rouge-gorge »), le griot malien Salif Keita (« C’est un parc »), l’Algérien Cheb Mami (« Il voyage en solitaire »), le Catalan Nilda Fernandez (« La route de terre »), le Néerlandais flottant Dick Annegarn (« Y a une route »), complètent ce tribute singulier régulièrement réédité depuis sa sortie en 1996.

Et si finalement, Manset constituait la métaphore ultime de ce rock français mature ?

Auteur considérable et singulier, musicien bricoleur et autodidacte qui a appris la guitare et la batterie sur le tas, le piano avec la Méthode Rose, l’orchestration dans les manuels, Manset n’aura souffert que de la sidération qui lui a interdit de donner à sa musique la dimension qu’elle méritait, celle de la scène, du partage, de la congrégation et par là même sa propre progression. Son talent d’interprète, la qualité de ses textes qui chantent l’amour, la guerre ou le temps qu’il voudrait suspendre, et son brio de compositeur auraient pu en faire un Pink Floyd – ou un Radiohead – français. Leader fulgurant d’un groupe de prog-rock lors de sa période 2870, quand les basses et les guitares prenaient leur indépendance dans l’ivresse, il a laissé entrevoir le chemin vertigineux de ce qui aurait pu être. Et si finalement, Manset constituait la métaphore ultime de ce rock français mature, qui n’est pas parvenu à occuper la place qu’il méritait sans doute ? Mauvais karma, amputé d’une dimension essentielle, handicapé moteur congénital, limité par sa propre culture, son éducation bourgeoise, son absence d’accent tonique, ses névroses et son regard permanent sur lui-même, fixation hypnotique paralysante qui conduit à cette castration au cœur même de cet axiome fondateur jamais (méta)physiquement transcendé par la force du son et de la consommation : « Être de ceux jamais contents, jamais heureux. » Tristes et nostalgiques....

Auteur, compositeur et interprète atypique, Gérard Manset possède depuis un demi-siècle une audience captive et une aura incomparable chez les professionnels de la chanson française. Rencontre avec un homme remarquable. L’homme mystère, le voyageur solitaire, le Parisien invisible, refuse de paraître à la télévision depuis les débuts des « Enfants du rock », il y a quarante ans. Cette obstination en a fait une légende, alors qu’il aurait dû être une star. Pour aggraver sa situation, il ne s’est jamais produit sur scène. Son répertoire, pourtant, est taillé pour. « Le Train du soir », « Banlieue Nord », « Manteau rouge », « Y a une route », « Entrez dans le rêve », « L’Épée de lumière », « Paradis », « On nous ment », pour ne citer que ceux-là, réclament d’être joués en public. Ces titres seraient sans doute des classiques incontournables du rock français s’ils avaient connu une autre vie, organique, évolutive, répétée, partagée, communiée. La confrontation avec le public a été jugée trop dangereuse par ce control freak qui s’est arrêté sur la route de la gloire, par crainte d’être reconnu. Peur de la foule ? D’une notoriété qui l’aurait vidé de son essence ? D’une société du spectacle qui l’aurait vulgarisé ? Le manque de frères d’armes avec lesquels mener la bataille ? Ou simplement l’incurie d’un show-business national qui n’a pas su le prendre en main, lui donner les clés d’une expression légitime ? « On croit toucher du doigt le paradis / On en sort abîmé, on en sort sali / Gardez-vous des honneurs de ce monde-ci / Des éclats de ce monde-là », affirme-t-il sur un riff grunge.…

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