Les Peuples de la mer
Texte et photos Nikos Aliagas
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Texte et photos Nikos Aliagas
Passionné par la photographie, subjugué par la mer, Nikos Aliagas a livré à Bastille Magazine certains de ses clichés qui seront présentés cet été lors d’une exposition au Festival Off à Perpignan.
Je l’ai d’abord humée dans le creux du cou de ma mère et j’ai goûté son sel dans ses larmes séchées avant même de la rencontrer. La mer était une contrée, imaginaire et fantastique, une berceuse qui parlait de sirènes, d’Alexandre le Grand et de marins échoués, la mer c’était la voix de celle qui me mit au monde et qui me promettait de splendides voyages pour que je guérisse vite. J’ai rêvé de la mer sur le lit d’hôpital de mon enfance, je l’ai tellement rêvée que je l’ai reconnue avant même d’y plonger mon corps. La mer était ma promesse et mon espoir, la possibilité d’une catharsis. En grec, la mer se dit « Thalassa », entre une consonne dentale souple et une sifflante légèrement voisée, on devine le doux roulis des vagues comme un chuchotement qui révèle un secret, un mot homérique plusieurs fois millénaire qui a résisté aux temps et aux vanités des hommes. La mer ne se possède pas, elle s’égare dans nos certitudes et renaît dans les flux et reflux de nos espoirs. J’ai observé des hommes et des femmes sur des rivages attendant un signe face à l’horizon liquide, une embarcation de départ ou de retour. Tant de rêves communiés ou perdus dans les vapeurs des embruns, tantôt chimères, tantôt statues de sel, c’est dans le regard des rêveurs que je l’ai retrouvée. Joueuse, charmeuse, impitoyable, taiseuse, Thalassa ne dit jamais la direction, elle propose un voyage. Les peuples de la mer portent en eux des mythes ancestraux et des dieux d’un autre temps, l’esprit versatile des hommes ne les affecte guère, entre ciel et terre ils savent pertinemment que le monde est mouvement perpétuel et que rien ne se fige à jamais sous le soleil, sauf peut-être l’éternité. Un vieux pêcheur de la Méditerranée me disait que « les châteaux de sable les plus impressionnants redeviennent de simples grains de sel et de terre lorsque le flux de la marée reprend ses droits ». L’homme démêlait les mailles de son filet, indifférent aux bruits de son époque, regardant au loin comme s’il attendait un signal venu d’ailleurs.
Les peuples de la mer se ressemblent, j’aime leur nostalgie, ils entendent les mêmes vents murmurer d’infrangibles présages qu’ils reconnaissent depuis le premier jour. Thalassa l’étendue salée est aussi une idée qui redessine les contours de nos existences et l’image prend alors une dimension poétique. J’observe ces adolescents insouciants sculptant l’alacrité de leur jeunesse face à la mer et je les imagine héros de la mythologie, je salue le vieil homme couvert de boue sur la lagune et le voilà devenu aussitôt statue du commandeur, je suis les pas légers du moine silencieux et je le vois gardien d’un temple invisible. Les peuples de la mer, à la fois conquérants et conquis, n’oublient jamais que les paroles ne disent pas tout. C’est certainement pour cette raison qu’ils n’ont jamais délaissé la possibilité d’une renaissance. Ici, l’inconnu n’est pas ennemi, il nous rapproche de ce qui nous dépasse. Et la mer est précisément cet espace-temps qui nous dépasse, qui nous remet à notre place originelle, celle de simples mortels. De mes voyages, j’ai gardé quelques images, comme des promesses jamais trahies, des épigrammes fragiles volés à l’implacable Temps.
Je suis né loin de la mer et j’ai passé une grande partie de ma vie à la rechercher, elle était en moi avant le premier cri, je n’ai fait que suivre ses traces sur les visages des autres. La mer est la plus belle des patries car elle berce l’enfance éternelle.
L'exposition Thalassa, Peuples de la mer, a été présentée au public pour la première fois sur la Croisette à Cannes mais aussi à Saint-Lô et à La Rochelle. Une version réactualisée sera proposée à la rentrée (du 27 août au 11 septembre), à Perpignan, pour la 28e édition du Festival Off Perpignan dont Nikos Aliagas sera le parrain.
Alykes (2018). Le paludier caresse de sa pelle la fleur de sel. Un geste millénaire répété des milliers de fois et pourtant jamais le même. Chaque cristal de sel est unique, comme sa vie.
La Réunion (2021). La pieuvre et le Rasta. Sur la plage de Boucan Canot, il déliait ses dreads dans un rituel silencieux et intense. Ses cheveux qui n'avaient pas connu de ciseaux depuis des décennies prenaient des allures d'un être vivant, une pieuvre fantastique contre laquelle l'homme se battait avec courage.
Saint-Pierre, La Réunion (2021). L’homme avait une démarche hiératique et un regard perçant. Ses tatouages représentaient le parchemin de sa vie, trente-cinq années passées dans la Marine. Du désert à la mer, il n’y a qu’un rêve à faire, celui du retour.
Messolonghi (2020). J’ai aimé son audace et son humour. La pêche avait été bonne, une bonne douche avant le festin ne se refusait pas. L’homme libre sait rire de lui-même.
Messolonghi (2020). J’ai aimé son audace et son humour. La pêche avait été bonne, une bonne douche avant le festin ne se refusait pas. L’homme libre sait rire de lui-même.
Trouville (2019). On l’appelle Manu, Manu du bac. Fidèle au poste, de père en fils, dans son embarcation, il passe sa vie d’une rive à l’autre. Ses mains sont filles de la mer et du voyage.
Messolonghi (2013). à l’heure du crépuscule, la mer se fond dans la ligne d’horizon, inexorablement. Et les silhouettes de la lagune deviennent les figurines d’un théâtre d’ombres.
Mer ionienne (2016). Le gamin s’appelle Angélos et il a une tête d’ange qui sort de l’eau. Il est recouvert d’algues qui luisent au soleil comme les ailes d’un être venu d’ailleurs.
Varkiza (2015). Il y a quelque chose de terriblement féroce dans les mains du pêcheur. Un geste ancestral où la proie essaie de survivre, en vain. La mort a plusieurs visages.
À l'ancienne.
Tourlida (2019). Les gamins qui surgissent en riant de la mer s’amusent sous la douche, il y a quelque chose d’éternel dans leur jeu. Un instant suspendu qui nous plonge en enfance.
Naxos (2015). À quai dans la cagna. Le vieux caïque du pêcheur était rongé par le sel et les meltems. Je me suis presque perdu dans le trompe-l’œil de sa cabine....
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