MeToo, le corps reconnu

Giulia Foïs

C’est arrivé juste avant l’été. Je suis passée devant une vitrine, j’ai regardé mon reflet, j’ai aperçu mon cul. Je l’ai trouvé en forme. Je me suis dit qu’il avait bien vécu, et qu’un beau bout de chemin s’allongeait encore devant lui. Je lui ai souri. C’est idiot, c’est prodigieux. C’est tout con, c’est une révolution.
Je viens d’une famille qui n’a pas de corps. Des intellos, qui voudraient que le cerveau devienne le siège de l’humanité, pour que plus jamais, la haine de l’autre, et que plus jamais, la folie de quelques uns – grandir en pays fasciste, ça laisse des traces. Alors, à la maison, on a poussé au milieu de belles bibliothèques en bois et de nobles principes en béton qu’on n’appelait pas encore « non genrés». Sans corps, j’étais une personne, avant d’être une fille - comme mon frère, dont je pouvais alors partager les rêves, les droits, et les libertés. À la maison. Dans la rue, c’était différent. Dans la rue, à dix ans, j’ai eu droit à mon premier « sale pute ». A cet instant là, j’ai pigé : dans l’espace public, j’étais avant tout une fille. Alors j’ai intégré la peur. Et puis j’ai appris la honte.
Mon corps s’est rappelé à moi une deuxième fois, avec mes premières règles - très vite dissimulées au fond de la poubelle : j’avais douze ans, j’ai voulu retarder le moment. Eviter ce point de bascule où un « t’as tes règles » m’aurait irrémédiablement renvoyée dans une communauté sans air - les chieuses, les pleureuses, les hystéros. Les femmes. Alors, j’ai serré les dents. Surtout, ne rien dire de cette foutue douleur à ma mère. Ma mère dure au mal, ma mère qui n’avait pris que six kilos à chaque grossesse et qui le répétait, ma mère, qui appartenait à cette valeureuse génération féministe qui nous avaient sorties, toutes, de l’assignation à résidence induite par notre sexe : maîtrise de la reproduction. Pouvoir sur le corps. Négation du corps. Pour gagner l’égalité, gommer le féminin. Le masculin, lui, restait intouchable, indétrôné, indétrônable. « Garçon manqué » était un compliment.

“À vingt ans, je suis violée. À trente, j’apprends que je ne suis pas la seule - au moins une femme sur deux subira au moins une forme de violence sexuelle au cours de sa vie. La plupart se tairont.”

Mais l’adolescence m’avait attrapée, mon corps s’était transformé : j’étais bien une fille, je ne pouvais plus le cacher. Alors j’étais complexée – la machine sociale fonctionne suffisamment bien pour qu’on comprenne, toutes, qu’on ne sera jamais assez bien. La honte gagnait du terrain. Cela dit, chose étrange, elle cohabitait désormais avec une forme de fierté. Celle de voir mon corps vibrer, aimer, danser – j’ai toujours aimé danser. Toujours aimé les garçons. Et les créoles m’allaient bien. Je suis majeure et vaccinée, je suis une femme et ça ira. Sauf qu’à vingt ans, je suis violée(1). à trente, j’apprends que je ne suis pas la seule - au moins une femme sur deux subira au moins une forme de violence sexuelle au cours de sa vie. La plupart se tairont : bec cloué par la honte, colère étouffée par la culpabilité. Femme tu es, femme tu douilleras.

(1) Je suis une sur deux, Ed. Flammarion, 2020.
Mais j’ai passé la quarantaine et je les ai vues se mettre à parler. C’était une vague, immense, aux quatre coins du monde : des centaines de milliers d’anonymes, qui, toutes ensemble, se mettaient à dire « non ». à la honte, à la culpabilité, à la violence. Mois après mois, les hashtags se sont suivis, amplifiés, répondu : au #MeToo du début, a suivi un #MonPostPartum, un #Bodypositive, un #PayeTonClito. C’est le corps qui parle, qui crie, qui exulte. C’est le corps qui, d’intime, devient politique : quelques années plus tard, tous les candidats à la présidentielle promettaient de reconnaître l’endométriose comme une affection longue durée. Reconnaissance : la vraie victoire du féminisme est là. Reconnaissance d’un corps, d’un féminin, non plus pour l’enfermer, mais pour l’émanciper. De toute tutelle, de toute injonction, de toute oppression. C’est joyeux, c’est festif, et c’est jubilatoire. Et moi, cet été, j’ai fait la paix avec mon cul....

C’est arrivé juste avant l’été. Je suis passée devant une vitrine, j’ai regardé mon reflet, j’ai aperçu mon cul. Je l’ai trouvé en forme. Je me suis dit qu’il avait bien vécu, et qu’un beau bout de chemin s’allongeait encore devant lui. Je lui ai souri. C’est idiot, c’est prodigieux. C’est tout con, c’est une révolution. Je viens d’une famille qui n’a pas de corps. Des intellos, qui voudraient que le cerveau devienne le siège de l’humanité, pour que plus jamais, la haine de l’autre, et que plus jamais, la folie de quelques uns – grandir en pays fasciste, ça laisse des traces. Alors, à la maison, on a poussé au milieu de belles bibliothèques en bois et de nobles principes en béton qu’on n’appelait pas encore « non genrés». Sans corps, j’étais une personne, avant d’être une fille - comme mon frère, dont je pouvais alors partager les rêves, les droits, et les libertés. À la maison. Dans la rue, c’était différent. Dans la rue, à dix ans, j’ai eu droit à mon premier « sale pute ». A cet instant là, j’ai pigé : dans l’espace public, j’étais avant tout une fille. Alors j’ai intégré la peur. Et puis j’ai appris la honte. Mon corps s’est rappelé à moi une deuxième fois, avec mes premières règles - très vite dissimulées au fond de la poubelle : j’avais douze ans, j’ai voulu retarder le moment. Eviter ce point de bascule où un « t’as tes règles » m’aurait irrémédiablement renvoyée dans une communauté sans air - les…

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