Montolieu, vue d'ensemble

Montolieu, le royaume du livre

Isabelle Lortholary

la france des coins tranquilles
Ce petit village du Sud, situé non loin de Carcassonne, a une particularité : il possède 800 habitants et... quinze librairies. Écrivains, éditeurs et amoureux des lettres s’y retrouvent pour des lectures, des rencontres. Un autre Saint-Germain-des-Près, en somme !
Sur la place de la Liberté, devant le restaurant Casquette et Chapeau, c’est l’heure de la pétanque. L’horloge de l’église a sonné quatre coups, les commerces de bouche ont relevé leurs stores. Assis sur le muret de la fontaine, quelques vieux prennent l’ombre sous les grands platanes. Pour certains, c’est encore le temps de la sieste, pour d’autres celui de la baignade, soit dans la Dure qui coule au long du village, soit au Lampi, lac de barrage en altitude. Un peu plus bas, face à l’école primaire, la terrasse du café La Rencontre ne désemplit pas. La place du Pradel est assaillie par les voitures et les touristes, au grand dam des locaux. On dirait le Sud. Et ça l’est : un village médiéval de la région Midi-Pyrénées pas tout à fait comme les autres.
Si les rues comptent de nombreuses boutiques, elles sont toutes de la même espèce : des librairies. Quinze précisément. Auxquelles il faut ajouter autant d’ateliers de création liés (plus ou moins) à l’écrit et au papier, ainsi qu’une manufacture et un musée des Arts et Métiers du Livre. C’est moins une glace ou un tee-shirt à l’effigie du village que les touristes viennent chercher ici, qu’un objet imprimé d’encre et relié, appelé livre.

Montolieu © OT GRAND CARCASSONNE

Cet homme qui joue aux boules parmi d’autres, en habitué depuis trente ans, est éditeur à Paris et s’appelle Dominique Gauthier. Cet autre qui sort de chez lui, chapeau de paille sur la tête et discutant avec son voisin traducteur et ami dans un français impeccable mâtiné d’accent chantant, s’appelle Patrick Süskind. Ici, Jean-Marie Laclavetine, Marie Rouanet, Marc Blanchet et Daniel Pennac ont l’habitude de venir l’été.
En quittant la ville de Carcassonne (Aude), il faut rouler sur 17 kilomètres. La Montagne Noire qui domine le paysage a quelque chose de la Toscane – il y a les cyprès, les pins parasols, les vieux ponts, les accidents de terrain –, et vu du ciel, le tracé en escargot du village est ce qui saute d’emblée aux yeux. Village d’église à l’origine, Montolieu était sous l’autorité de l’abbaye et de l’église Saint-André, classée monument historique, comme le sont la croix de Pèlerinage du Pradel et la Manufacture royale. Enfin, la colline de Saint-Roch, sur les hauteurs, est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, en tant que site naturel (comme le Canal du Midi et la ville fortifiée de Carcassonne). Autre attrait, la route des vins (Corbières, Cabardès, Minervois, Narbonnais, Carcassonnais, Malepère, Lauragais) et l’Abbaye cistercienne de Villelongue à Saint-Martin-le-Vieil. Montolieu compte 800 âmes à l’année et pas de tourisme l’été – les plages de Narbonne et de Gruissan sont trop éloignées, et la belle cité de Carcassonne, trop polarisée sur elle-même pour prêter ses touristes ! « Mais comment un bled comme le vôtre est-il devenu le seul Village du Livre du Sud de la France ? C’est la question récurrente depuis trente ans », s’amuse Jeanne Etoré, présidente de l’association Montolieu Village du Livre de 1996 à 2019 et enfant du pays. Eh bien justement : comment ?
Tout commence par un rêve. En 1990, Michel Braibant, relieur d’origine belge installé à Carcassonne, au moment de prendre sa retraite, imagine fonder un « Conservatoire des Arts et Métiers du Livre » qui recevrait un public jeune, essentiellement scolaire et où les anciens outils et machines nécessaires à la fabrication de livres seraient regroupés et fonctionneraient. Ce serait un musée vivant et un lieu de formation d’artisans du livre. L’idée d’origine est donc la « mémoire vivante des métiers du livre », Braibant propose son projet à différents villages avoisinants (entre autres Saissac, où il habite), qui refusent. La municipalité de Montolieu (et la maire, Mme Courrière, épouse du conseiller général de l’époque) accepte. Ce projet, parti d’une initiative privée, obtient l’adhésion des habitants puis le soutien des institutions. Est alors fondée l’Association Montolieu Village du Livre et des Arts graphiques (subventionnée par la mairie et par le Conseil général). En un an, huit librairies ouvrent leurs portes. La plupart des libraires ont une première vie professionnelle derrière eux et tous sont portés par la même envie : être indépendant, défendre la vie du livre et vivre au grand air.
« Sans Braibant, rien ne serait arrivé. Pour autant, Le Village du Livre ne s’est pas installé dans un lieu mort », précise Jeanne Etoré. Pauvre, oui. En déclin, certes. « Il n’y a jamais eu de fermeture de classe par exemple. Mais en 1991, la dernière usine, la tannerie de la Dure, a fermé. La viticulture a périclité, la plupart des Montolivains nés après-guerre ont quitté le village. Beaucoup de maisons sont inhabitées, à vendre à des prix modestes. Elles trouvent preneurs. » Et si trente ans plus tard Montolieu a pu conserver tous ses commerces, c’est bel et bien grâce au Village du Livre. Marc Chambaud, libraire (évidemment), enfant du pays, se souvient des premières années de la Foire aux livres à partir de 1992. « Une vraie cohue. Des libraires venaient de tout le Sud, déchargeant à l’aube leur camionnette et posant leurs tréteaux partout. C’était le bazar, débridé mais joyeux. Un vent de création soufflait. »  Le premier Festival du livre ancien et d’occasion de Pâques est organisé en 1993 et a vu cette année sa 27e édition se dérouler enfin normalement, après deux années de Covid.

Montolieu, une des quinze librairies © OT GRAND CARCASSONNE

En moins de dix ans, tout concorde pour faire événement. Il y a d’abord eu l’installation de Patrick Süskind, peu de temps après son éclatant succès Le Parfum. Puis celle de l’éditeur Dominique Gauthier : tous deux achètent une maison à Montolieu – et Dominique Gauthier ouvre une librairie Le Dilettante en bas de sa maison, impasse du Ferradou. À l’époque, Anna Gavalda publie J’aimerais que quelqu’un m’attende quelque part, elle passe plusieurs mois d’août à Montolieu. La renommée attire un public plus large, d’autres écrivains débarquent à leur tour pour participer à des ateliers, des séances de signatures et de lectures, des débats. Les journalistes sont de la partie. La première résidence d’écrivains accueille Jean-Claude Pirotte puis Jacques Abeille. Et jusqu’à il y a trois ans, beaucoup de rencontres, en particulier sous l’égide de Jean-Marie Laclavetine, un fidèle, au même titre que Daniel Pennac ou Roger Grenier, jusqu’à sa mort en 2017. Marie NDiaye, Jean-Yves Cendrey, Muriel Barbery, Carole Martinez, Jean-Jack Martin, Denis Weterwald, Denis Saverot, Jean Clavel, Jacques Réda, Guy Goffette, Christian Prigent, Éric Holder, Pierre Jourde…
« Personne n’y croyait, rappelle Jeanne Etoré. Ou pas vraiment, on prenait Michel Braibant pour un illuminé. Ce qu’il était d’une certaine manière. » Aujourd’hui, Montolieu Village du Livre rayonne. Moins de bruit dans les médias, moins de paillettes, mais une fréquentation et un intérêt constants du public. De deux euros à six mille pour les plus anciens et les plus chers, (on va alors chez Abelard, dont le patron hollandais, Rob Kleiss, est spécialiste en bibliophilie), on trouve ici tout ce qui est livre. Littératures générale ou de jeunesse, française et étrangères, beaucoup d’histoire et de philosophie, les librairies ont souvent une spécialité et sont des lieux conviviaux et de passions, avec une mention spéciale à la Rose des Vents, spécialiste des livres scolaires anciens depuis 1875 et à la librairie Mamézon, vouée à la BD et aux mangas. Ou encore à la librairie-galerie Eclectif, associée depuis septembre 2018 à la Librairie de la Manufacture ( sur trois étages, plus de 20 000 livres et plusieurs centaines de photographies). Dès le week-end pascal et pendant tout l’été, une activité digne de Saint-Germain-des-Prés ou de Saint-Tropez : impossible de circuler et de se garer, certains Montolivains s’en plaignent assez.

Montolieu, vue d'ensemble © OT GRAND CARCASSONNE

Le rêve de Braibant est devenu réalité. Avec une question récurrente qui fâche les libraires : arrivent-ils à en vivre ? Oui, disent-ils tous, « sinon on serait partis ». Et ceux qui ont jeté l’éponge l’ont fait par manque de vocation ou de conviction, plutôt que manque de rentabilité. La réputation de Montolieu est faite. Si la folie des débuts et l’engouement du public et des médias ont disparu, le public est fidèle. La fréquentation ne baisse pas, malgré la disparition de certains événements. Michel Braibant a eu raison d’y croire. Le monde aime encore les rêveurs, les lecteurs et les liseurs....

la france des coins tranquilles Ce petit village du Sud, situé non loin de Carcassonne, a une particularité : il possède 800 habitants et... quinze librairies. Écrivains, éditeurs et amoureux des lettres s’y retrouvent pour des lectures, des rencontres. Un autre Saint-Germain-des-Près, en somme ! Sur la place de la Liberté, devant le restaurant Casquette et Chapeau, c’est l’heure de la pétanque. L’horloge de l’église a sonné quatre coups, les commerces de bouche ont relevé leurs stores. Assis sur le muret de la fontaine, quelques vieux prennent l’ombre sous les grands platanes. Pour certains, c’est encore le temps de la sieste, pour d’autres celui de la baignade, soit dans la Dure qui coule au long du village, soit au Lampi, lac de barrage en altitude. Un peu plus bas, face à l’école primaire, la terrasse du café La Rencontre ne désemplit pas. La place du Pradel est assaillie par les voitures et les touristes, au grand dam des locaux. On dirait le Sud. Et ça l’est : un village médiéval de la région Midi-Pyrénées pas tout à fait comme les autres. Si les rues comptent de nombreuses boutiques, elles sont toutes de la même espèce : des librairies. Quinze précisément. Auxquelles il faut ajouter autant d’ateliers de création liés (plus ou moins) à l’écrit et au papier, ainsi qu’une manufacture et un musée des Arts et Métiers du Livre. C’est moins une glace ou un tee-shirt à l’effigie du village que les touristes viennent chercher ici, qu’un objet imprimé d’encre et relié, appelé livre. [caption…

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