art
La première chose que l’on remarque en entrant dans l’atelier d’Isabelle Emmerique, caché au fond d’un jardin en région parisienne, c’est la lumière. Les grandes baies orientées vers le nord et les ouvertures zénithales éclairent pleinement sans aveugler, créant une atmosphère propice à la création et mettant en valeur les différentes pièces exposées. La seconde est l’odeur forte des différentes mixtions, qui peut indisposer les plus fragiles. Pas de quoi perturber cette spécialiste de la laque, l’un des deux seuls maîtres d’art en cette matière en France, qui travaille en permanence, imaginant un tableau, soignant l’apprêt pour un autre, réparant un troisième. En une quarantaine d’années, Isabelle Emmerique est devenue une référence mondiale, obtenant en 2005 la reconnaissance du Japon avec le Grand Prix de la triennale de Kanazawa, qui n’avait jamais récompensé un laqueur occidental.
C’est peu connu mais la laque n’est pas qu’une spécialité asiatique. Bien sûr, elle a été découverte dans cette région du monde, où pousse le rhus verniciflua (toxicodendron vernicifluum), cet arbre qui donne un liquide visqueux d’un blanc laiteux qui s’oxyde pour devenir rouge, marron puis noir. Au départ, c’est une colle – un polymère naturel, qui résiste à la chaleur jusqu’à 400 degrés. C’est ce que montrent les objets (peignes, bols…) remontant à 8000 ans avant Jésus-Christ découverts en Chine. Travailler cette matière n’est pas permis à tout le monde car c’est un puissant toxique, provoquant des réactions parfois violentes chez les personnes allergiques (20% de la population en Asie, la moitié en Europe).
C’est l’odeur particulière de ce produit qui a attiré Isabelle Emmerique alors qu’elle étudiait à l’Ecole Olivier de Serres (ENSAAMA) pour devenir peintre. En se perfectionnant, elle a découvert comment la laque asiatique avait conquis une partie du monde, en suivant d’abord la route du bouddhisme puis celle, maritime, des compagnies occidentales, pour séduire les Européens. On retrouve la laque à Venise dès le milieu du XVIIème siècle. En France, Mazarin en est un grand collectionneur. L’engouement s’arrête net quand le Japon ferme ses frontières, au milieu du XVIIe siècle, pour arrêter les exportations. La France cherche la riposte. Louis XIV va créer des manufactures, qui vont essaimer rapidement. Des pôles d’excellence apparaissent au cours des décennies suivantes, en particulier dans le Faubourg Saint-Antoine à Paris, où les Frères Martin inventent le « vernis Martin », destiné à concurrencer les laques asiatiques. Depuis lors, la France a conservé une expertise dans ce domaine.
Pour décorer un panneau, jusqu’à quarante couches sont nécessaires. Il faut notamment cette couche de vernis appelée « le baiser amoureux »
Si la laque plaît aux esthètes, c’est pour ses qualités évidentes : transparence et brillance. Comme le souligne Isabelle Emmerique, « elle ennoblit ce qui n’est pas noble. » Elle n’accepte toutefois que très peu de couleurs. Le plus souvent le rouge et le noir. On peut y ajouter le vert et le bleu. C’est une matière difficile à travailler, qui exige modestie et abnégation. Pour décorer un panneau, jusqu’à quarante couches sont nécessaires. Il faut notamment cette couche de vernis appelée « le baiser amoureux », qui permet d’obtenir « une surface collante mais pas trop » avant de coller une très fine feuille d’or d’un dixième de micron d’épaisseur. « C’est une école de l’humilité, de la patience, de l’écoute de soi et des autres. Il faut accepter ses limites », dit-elle. La laque suppose de solliciter ses cinq sens.
Isabelle Emmerique, qui a réalisé quelque 220 œuvres, est passée du figuratif à l’abstrait, utilisant son expérience liée à la pratique du kendo, du yoga et de la méditation. La Française profite de ses nombreux voyages, en particulier en Asie (Birmanie, Japon, Népal, Vietnam, Inde), pour rencontrer des artistes et des artisans afin de mieux comprendre cette matière.
Elle offre depuis un certain temps sa vision de l’univers. Est-ce une démarche spirituelle ? « C’est le cas pour tout chemin artistique, non ? Il y a des moments où je suis sur la bonne voie pour trouver une vie qui ne soit pas que matérialiste. Je recherche l’harmonie. »
Crédit photographique © BERTRAND RIEGER