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Jean-Vincent Bacquart
En 1822, quatre sergents rebelles furent guillotinés. Ils sont devenus depuis des symboles de la lutte pour la liberté.
Ils étaient trop jeunes pour avoir vécu les heures glorieuses de 1789, mais pourtant ils s’en réclamaient. Même si, de la geste militaire -napoléonienne, ils n’avaient connu que les dernières défaites, les quatre hommes qui allaient bientôt entrer dans la légende comme les « sergents de la Rochelle » restaient nostalgiques de ce temps où tout semblait possible. Des idées simples mais fortes, chevillées au corps, ils imaginaient un monde plus juste du haut de leurs vingt ans. On les condamna, non pour des actes mais pour des intentions. Administration et armée épurées, surreprésentation politique des nostalgiques de l’Ancien Régime, la France de la fin 1815 est marquée par une rupture fondamentale avec l’Empire napoléonien. Cependant, le vieux Bourbon, Louis XVIII, gouverne encore avec mesure, respectant la Charte constitutionnelle, texte de compromis qui maintient certains acquis de la Révolution et de l'Empire. La phase libérale qui commence à l’automne 1816 annonce même le retour d’une forme de liberté, où idées républicaines et bonapartistes peuvent s’évoquer sans grande crainte.
Tout bascule en février 1820 avec l’assassinat du duc de Berry, l’héritier présomptif. L’acte est le fruit d’un meurtrier isolé. Qu’importe, le camp conservateur se déchaîne et les royalistes ultras remportent les élections de novembre 1821. Les libertés sont rognées, la presse muselée… Les idées progressistes s’exprimeront dorénavant sous couvert des sociétés secrètes, qu’elles aient des visées philosophiques comme la franc-maçonnerie, ou carrément insurrectionnelles comme la charbonnerie. Importé d’Italie vers 1820, ce mouvement comptera jusqu’à 30 000 membres en France, notamment au sein de l’armée où se multiplient les cellules carbonaristes appelées « ventes ». Début 1822, la charbonnerie élabore un projet d’insurrection à l’échelle du royaume, en s’appuyant sur ses membres militaires. Comme beaucoup d’autres régiments, le 45e de ligne possède ainsi une vente carbonariste, animée par le sergent--major Jean-François Bories. C’est lui qui recrute les trois autres sous-officiers qui partageront bientôt son funeste destin : Charles Goubin, Jean-Joseph Pommier et Marius-Claude Raoulx. Ils ont entre 24 et 27 ans.
En janvier 1822, le 45e part pour La Rochelle. À quelques jours de l’arrivée, Bories se confie à un camarade qui se révèle être l’informateur du colonel Toustain. Le commandant du 45e de ligne réagit brutalement : Bories et ses trois camarades sont mis aux arrêts. L’affaire est sérieuse, d’autant plus qu’au même moment, le général Berton a vainement tenté de soulever ses hommes pour prendre Saumur. La charbonnerie mise à genoux partout en France, le pouvoir s’entête à faire un exemple. Les quatre sergents serviront de victimes expiatoires dans un procès civil qui s’ouvre à Paris fin août 1822. Athées, régicides, les sous-officiers subissent un réquisitoire de sept heures où la diatribe réactionnaire fonctionne à plein, le verdict est sans appel. Après une tentative d’évasion ratée, les quatre sergents sont au pied de la guillotine dressée en place de Grève en cette fin de journée du 21 septembre. « Ils étaient beaux que ça faisait pitié », se souviendra un témoin. Des cris s’élèvent de la foule pour demander grâce. En vain. Après avoir vu mourir ses camarades, Bories monte vers l’échafaud. Comme eux, son dernier cri sera : « Vive la liberté ! »
Historien, éditeur,
Jean-Vincent Bacquart
est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, dont l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Mais les quatre sergents de La Rochelle ne disparaissent pas ce triste soir de 1822. Ils revivent instantanément dans les colonnes de la presse libérale, dans les chansons des étudiants de Paris, dans les œuvres de Balzac ou de Hugo, martyrs sans cesse ressuscités durant près d’un siècle. Ils seront aux côtés des forces vives de 1830, de 1848 ou de la Commune, des promoteurs de la IIIe République ou des Dreyfusards, partout où la flamme de la liberté aura besoin d’être attisée. Car il n’y a que les esprits obtus pour croire qu’on peut tuer les idées…...
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