Parapluies ©Christelle Enault
Parapluies ©Christelle Enault

DES BALEINES EN AUVERGNE

Clément Bénech

Chantons sous la pluie
Est-il encore possible de fabriquer des parapluies made in France ? À Aurillac, un entrepreneur le croit et le prouve. Rencontre avec l’un des derniers parapluitiers français.
Un après-midi d’hiver, il y a quelques années, désirant m’abriter de la pluie parisienne, je m’engouffrai dans une boutique de parapluies. Or me trottait dans la tête depuis longtemps l’idée de m’en offrir un : un vrai pébroque solide, que je pourrais transmettre un jour à un éventuel héritier. Car j’en avais ma claque de ces chaperons éphémères qui ne tiennent pas la route au-delà d’une giboulée. Je jetai alors mon dévolu sur un modèle bleu électrique, et ressortis de la boutique en déployant mon nouvel achat, la banane aux lèvres tel un personnage de Sempé.
Une discrète étiquette rouge indiquait : « Sauvagnat ». J’avais acheté sans le vouloir un parapluie auvergnat, moi qui suis sans arrêt renvoyé à cette région depuis que je l’ai découverte il y a quinze ans. J’écrivais au même moment un roman ; un de mes personnages cherchait encore un emploi ; il fabriquerait des parapluies. Cet aspect du roman a finalement fondu comme neige au soleil ; me restait tout de même sur l’estomac le désir inassouvi de visiter un tel atelier. Au-delà de l’objet lui-même, une question me taraudait, sous la forme d’une image : quand une espèce animale est proche de l’extinction, on voudrait croire que cela ne change rien pour ses derniers survivants, qu’à leur échelle ils rugissent, chassent et hibernent pleinement, ignorant le drame de leur race. Mais ce n’est pas le cas. La panthère de l’amour, par exemple, ce beau félin asiatique dont il ne subsiste qu’une cinquantaine d’individus, est menacée aujourd’hui par la consanguinité et d’autres maux encore. En va-t-il de même pour les ultimes parapluitiers de France ? Ou bien seraient-ils des fauves d’exception ?
Et c’est ainsi qu’un jour de juillet, je quittai le parc naturel du Livradois-Forez pour rejoindre le Cantal, et surtout son chef-lieu, Aurillac. Passer du Puy-de-Dôme au Cantal, en voiture, c’est passer d’une terre montueuse mais toujours domestiquée – où la main de l’homme est partout visible, ses cultures bien délimitées – à une terre beaucoup plus sauvage. Depuis la route, on aperçoit une vierge gigantesque surplomber une petite ville, ou des toits en lauze de schiste et aux bords évasés descendre presque jusqu’au sol, comme sur une carte postale des Cotswolds. Puis Aurillac surgit dans ce territoire bucolique : la ville d’altitude pourrait au premier abord ressembler à beaucoup de villes moyennes, mais ses trésors propres – comme ses maisons médiévales ou son monastère où le pape de l’an mil, Gerbert d’Aurillac, fit ses classes – se révèlent peu à peu à l’œil, avec l’aide de Marie-Edwige Hébrard, journaliste autochtone de La Montagne. Celle-ci évoque les diverses affaires qui agitent la ville (dont une sombre histoire de vol d’œufs de cygnes au jardin public) ainsi que la fierté cantalienne, matérialisée par cet autocollant avec le chiffre 15. Le cliché selon lequel Aurillac serait la ville la plus froide du pays ? Une simple question d’emplacement de la sonde de Météo France ! Reste qu’il est difficile de liquider un tel cliché quand Aurillac est également… la capitale française du parapluie. D’ailleurs, des centaines de pépins flottent au-dessus des rues du centre-ville, comme pour rappeler cette précellence.
Une raison objective l’explique : la tradition de batteurs de cuivre, les dinandiers, installés dans la ville depuis le Moyen  Âge. De ce cuivre, on fit des noix, des coulants, des aiguillettes, pièces essentielles à la fabrication du riflard – comme l’appelle l’argot. Et pour son mât, on peut compter sur l’abondance des forêts environnantes. Un terreau fertile qui fit travailler des milliers de personnes sur plusieurs siècles. Mais appuyons sur avance rapide : des grandes familles qui ont fait la réputation du parapluie cantalien, il n’en reste plus qu’une aux manettes, les Piganiol. Le « dernier des Aurillacois », c’est lui : Matthieu. Le directeur de la maison qui porte son nom ne ressemble pas au premier abord à un PDG. Jolies lunettes, pantalon orange, l’homme réputé d’action et de verbe me reçoit dans les ateliers de la zone industrielle, à cinq minutes du centre de la cité géraldienne.
Si beaucoup de portraits commencent par la formule « rien ne prédisposait… », impossible d’en faire usage ici. Tout, au contraire, prédisposait Matthieu Piganiol à son destin, dont les premières lignes s’écrivirent en 1884. En cette année, un employé de commerce aurillacois appelé Poignet s’associait à un négociant en parapluies, Vaurs, pour créer une fabrique de pépins. Quand Delort, le comptable de la société, en devint le nouveau dirigeant, il y fit entrer son gendre, un certain René Piganiol, qui en reprit les rênes en 1932. Depuis lors, les Piganiol sont indétrônables, et la société revêt leur patronyme : Henri, Jean, et maintenant Matthieu. Entre temps a passé une guerre mondiale, la Seconde, qui pour beaucoup d’industries fit office de pierre de touche. Sur plus de dix à l’origine, seulement trois noms du parapluie cantalien ressortent du funeste entonnoir : Dalbin, Sauvagnat et Piganiol. Trois familles qui ont fait la pluie et le beau temps à Aurillac. Sans atteindre la rivalité d’une mafia, « on ne mettait pas un Piganiol et un Sauvagnat dans la même classe à l’école », s’amuse Matthieu. « J’avais un oncle copain avec un Dalbin, c’était le traître de la famille ! »
La famille, justement. Je cite l’exemple de la librairie Mollat à Bordeaux, créée en 1896 et dont le directeur est un Mollat aujourd’hui encore. N’est-ce pas un lourd héritage qu’un nom qui oblige ? « Nous, on est trois dans la fratrie. Mon frère n’a pas voulu reprendre le flambeau, parce qu’il ne voulait pas travailler avec mon père. Quant à ma petite sœur, c’est avec moi qu’elle ne voulait pas travailler ! » Équation simple.

Le cliché selon lequel Aurillac serait la ville la plus froide du pays ? Une simple question d’emplacement de la sonde de Météo France !

Pour un même produit en cent quarante ans d’histoire, chaque génération de Piganiol a dû pourtant affronter des défis propres à son temps. Ainsi du recrutement, qui a évolué. « Du temps de mon grand-père, tout le monde savait coudre : les jeunes femmes apprenaient à l’école ! Pour les compétences particulières liées au parapluie, on les formait en interne. Moi, aujourd’hui, je cherche des savoir-être : de la minutie, le goût de la qualité, un œil. Par exemple, on a recruté une ancienne coiffeuse, douée de ses mains. » Le directeur se souvient avec émotion du départ d’une salariée, Françoise, qui avait travaillé avec quatre générations de Piganiol, de ses 14 à ses 63 ans. L’idée qu’un employé devrait maîtriser toutes les étapes de la confection d’un parapluie ? « Ça, c’est nouveau », sourit Piganiol. La fameuse Françoise, ayant turbiné toute sa carrière sur la même machine, aurait peu apprécié qu’on lui propose de se diversifier. « C’est une question de génération, explique l’entrepreneur. Mais aujourd’hui, on s’y est converti, à la polyvalence. Un peu du jour au lendemain, comme un effet du COVID. » Eh oui : une absence imprévue – cas contact ou contamination – créait une cassure dans la chaîne de production.
Nouvelle avance rapide. Piganiol rachète Dalbin en 2000, et Sauvagnat un peu plus tard. Ce dernier, grand nom du parapluie cantalien, qui réalisait en 1970 un million et demi de pébroques – soit 30 % de la production nationale à l’époque – avait subi un coup très dur avec le grave accident de voiture, en 1978, de son directeur Marcel Sauvagnat. Le groupe, encore fragilisé par une grève, dut déposer le bilan ; il fut ressuscité à plusieurs reprises jusqu’à sa fermeture définitive en 2018. Piganiol en a acquis quelques machines, ainsi que la marque elle-même. En résumé, David a racheté Goliath… « Ça ne me fait pas plaisir d’être le dernier debout, assure l’entrepreneur. Cela symbolise la mauvaise santé du secteur. » Les parapluitiers sont bien des fauves comme les autres. « Ça nous complique la vie, en fait, ajoute Piganiol. Car mes fournisseurs n’ont plus un potentiel de clients énorme : quand ils font des pièces seulement pour les parapluies, en France, c’est un petit marché. Donc je suis obligé de surveiller leur santé. »
Le XXe siècle, qui restera comme le tombeau de nombreux parapluitiers, avait tout de même fini par une embellie : l’élection présidentielle de 1995. Cette année-là, pendant l’entre-deux-tours, l’équipe de Chirac met sur pied un meeting à Bagatelle. Problème : on annonce un temps atroce. Il faut trouver en une semaine cinq mille parapluies… à l’effigie du candidat. Et l’Asie est si loin… Les trois derniers grands d’Aurillac doivent unir leurs forces, et leurs savoir-faire : quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat ! Ils livrent à temps les cinq mille pièces, pour un meeting finalement placé… sous le soleil exactement. Lorsque l’adversaire n’est plus au coin de la rue mais à l’autre bout de la terre, le rival d’hier devient l’allié du jour… car la Chine, selon la prédiction d’Alain Peyrefitte, a fini par s’éveiller.
Après le coup de génie de Bagatelle, les édiles cantaliens œuvrent pour pérenniser l’expérience, et créer une marque communautaire qui va protéger le parapluie d’Aurillac. Ce sera « l’Aurillac ». Simple comme bonjour. « Mon père a voulu éviter ce qui s’est produit à Laguiole », glisse Piganiol avec ce ton qu’on prend pour évoquer les fautes graves. Comprendre : laisser échapper le prestige d’un lieu et d’un nom, disséminé à tous les vents. En 1993, un habitant du Val-de-Marne avait déposé en effet la marque « Laguiole » pour estampiller des lames venues du Pakistan. La ville tenta de riposter en justice pour sauver sa réputation. Verdict ? Déboutée en appel, elle dut régler 100 000 euros de frais de justice à l’importateur malin. Il faudrait attendre 2014 pour qu’une loi décourage ces kidnappings patronymiques.
Il n’était que temps d’agir, car le nouveau siècle arrivait à pleine vitesse. « Un jour, au début des années 90, après la fin du maoïsme et l’ouverture de la Chine, un monsieur chinois s’est présenté à la porte de notre usine d’Aurillac, a regardé un peu le fonctionnement des machines, et nous a dit sur un ton de défi : votre parapluie, je vais le faire pour trente fois moins cher. Puis il est reparti tranquillement. » Branle-bas de combat chez les Piganiol. « Mon grand-père a dit : moi, je prends ma retraite. Mon père et lui comprennent aussitôt que le marché du parapluie noir, bleu, vert, utilitaire, c’est fini pour eux. » Les statistiques douanières d’aujourd’hui leur donnent raison : sur 15 millions de parapluies vendus chaque année en France, 14,8 millions viendraient de Chine. Le père Piganiol, confronté à ce monde nouveau, a alors une idée, qui se transforme en décision : « il va rester une place pour le parapluie comme accessoire de mode », déclare-t-il. Ces quelques mots créent une révolution copernicienne dans une entreprise dont les ateliers n’ont guère changé en plus de cent ans. L’idée est de battre la concurrence asiatique par le haut, et non par le bas. « Mon père a eu une vraie vision, lâche Piganiol, admiratif. Les autres, en revanche… » Il cite notamment Sauvagnat, l’ancien géant : « ils étaient trop gros pour prendre le virage, ils n’ont pas eu le temps de tourner. » Les lois de la cinétique ont cours également dans l’économie. Sauvagnat veut se battre avec les Chinois sur le coût de fabrication : une ambition sisyphéenne. Les deux grands rivaux plongent, et Piganiol surnage. En réduisant la voilure : de 250 000 pièces à sa grande époque, le fabricant est passé aujourd’hui à 50 000.

Sur plus de dix à l’origine, seulement trois noms du parapluie cantalien ressortent du funeste entonnoir : Dalbin, Sauvagnat et Piganiol.

Le beau parapluie, le parapluie cadeau a fait entrer dans les bureaux la mère de Matthieu, Martine Piganiol, plus sensible à l’esthétique. « Nous, les hommes Piganiol, on est des gestionnaires de boîte », concède l’industriel dans un sourire. L’entreprise s’adjoint alors les services d’une agence de style parisienne, et conçoit avec elle l’idée d’une collection saisonnière. « Mon père, c’est tout juste s’il changeait vaguement la couleur de l’écossais une fois tous les cinq ans ! », s’esclaffe Piganiol. Aujourd’hui, sa marque propose une centaine de modèles différents, bien aidée par une formidable invention technique, l’impression numérique, qui permet une personnalisation des pépins, au diapason d’une société qui s’individualise.
La Chine, elle, se protège. « Mes parapluies ont quelques composants chinois, notamment les baleines », explique Piganiol, à propos de cette armature métallique qui a remplacé peu à peu les fanons de vraies baleines. Et, summum de l’absurde : « Je ne peux pas les vendre en Chine, mes parapluies – en raison même de ces baleines. Ils ont inventé la norme spécifique qui me rend illégal chez eux ! Les Chinois nous envoient des produits, mais ne veulent pas les récupérer transformés. C’est du pur protectionnisme ! » Et de conclure, philosophe : « On n’avait qu’à le faire, en même temps. » Moyennant quoi, l’Aurillacois, qui a travaillé jeune homme pour le dernier fabricant européen de baleines en Angleterre, veut faire revenir l’accessoire sur notre continent. Et si possible en France. Leur dessin serait calqué sur le cahier des charges de l’empire du Milieu. Voilà un des revers de la mondialisation : la multiplication des normes. « C’est le problème que j’ai avec l’industrie du luxe, parce qu’elle vend dans tous les pays du monde », déplore l’entrepreneur. Ainsi, pour une marque de haute couture dont il fabrique les parapluies, Piganiol a rencontré un problème avec ses aiguillettes (la petite pièce semblable à un embout qui permet d’enfiler la toile sur les baleines). Celles-ci mesurent 0,8 cm ; or, un certain pays exigeait qu’elles fassent plus d’1 cm. Piganiol s’est procuré des aiguillettes d’1,2 cm et a produit les parapluies. « Les exigences sont parfois contradictoires. Il nous arrive de sacrifier un pays – mais jamais la Chine, vu le marché. »
Les changements du marché épousent parfois les changements de pratique. Ainsi, quand on vante le bon investissement d’un parapluie solide, face au parapluie asiatique qui ne dure qu’une saison, Piganiol ironise : « Une saison, vous êtes optimiste ! Maintenant, on constate une consommation américaine : à New York, s’il se met à pleuvoir, des vendeurs à la sauvette déboulent et vous vendent des parapluies à un ou deux dollars. C’est un bien à usage unique : on ne le referme pas, on le jette ouvert dans la poubelle ! Un objet porteur de matière, qui a traversé la planète. C’est une catastrophe ! » Chez Piganiol, on répare. Ce mot charrie avec lui toute une éthique, dont nos aînés déplorent parfois l’étiolement. Ici, pas d’obsolescence programmée : « les parapluies que faisait mon grand-père, on peut encore les réparer. »
Chose étonnante, Piganiol nous l’assure : « on observe une dynamique positive depuis le coup de gueule de Montebourg en faveur du made in France. » Les lecteurs se souviennent sans doute de cette une du Parisien où l’alors ministre du Redressement productif posait tout sourire en marinière Armor Lux. « Dans les années 80 ou 90, on n’en avait rien à faire que ce soit made in France, on voulait consommer à gogo ! se rappelle le chef d’entreprise. Aujourd’hui, ça fait une différence, ça a une vraie valeur. Reste le pouvoir d’achat, qui est le problème majeur devant nous. »
Ce thème du « fabriqué en France » hante notre débat politique depuis quelques décennies, surgissant de tous les côtés du spectre politique. Marchais avait fait du « fabriquons français » son slogan en 1981, suivi de près par le député également communiste Pierre Juquin, qui y consacrera un essai. Le thème bascule du côté du Front National dans les années 1990, avant de devenir centriste – avec Bayrou puis Montebourg. Vieille babiole pour les uns, urgence d’État pour les autres. Pour Piganiol, c’est une nécessité. « Il y a une demande, et j’essaie d’y répondre », résume-t-il.
En la matière, le parapluie est pionnier. L’affaire du meeting de 1995 – qui avait montré la qualité d’exécution des artisans français – était remontée au Conseil général, puis au niveau national ; elle aurait inspiré la création du label « Entreprise Patrimoine Vivant », dont Matthieu Piganiol arbore le diplôme sur un mur et qui récompense l’excellence française. À l’aube du XXIe siècle, la France semble comprendre que ses entreprises sont mortelles… « Ce label est très utile à l’étranger, car c’est un label d’État. » Piganiol, qui connaît bien le Japon, y entend en écho la notion de « trésor national vivant », qui a cours dans l’archipel et désigne une personne – souvent âgée – qui maîtrise un savoir-faire à la perfection. Est-ce pour cela que les parapluies Piganiol font un carton au pays du Soleil levant ? « Pas seulement, glisse l’entrepreneur. Là-bas, l’une des pires fautes de goûts que vous puissiez commettre, c’est d’arriver à un rendez-vous avec les cheveux mouillés ! »
Le parapluie français fonctionne bien au Japon, mais le made in Japan reprend aussi localement. « Je m’interroge parfois sur les excès un peu nationalistes du made in », confesse Piganiol. « Pour moi, made in England, made in Germany… c’est un peu comme chez nous. Je ne veux pas tomber dans le mauvais côté du cocorico. » D’ailleurs, si l’estampille « made in » fonctionne, pourquoi tout le monde ne s’y met-il pas ? Les charges seraient donc le seul blocage ? « Les industries qui sont relocalisées en France sont très automatisées, explique Piganiol. Que le robot fonctionne en Chine ou en France, le coût de maintenance sera un peu différent, mais la productivité sera la même. C’est comme ça que Saint Laurent a pu refaire une usine de chaussures : la semelle de chaussures, c’est une injection plastique, donc c’est facile. Mais pour l’instant dans le textile, les robots de piquage, ça ne fonctionne pas. » Pour autant, le coût de la main d’œuvre en Chine tend à s’annexer sur le nôtre. Il n’y a donc pas que ça : il y a aussi l’environnement.
« On ne parlera plus demain du prix d’un produit, mais de son coût pour la planète, promet l’entrepreneur. Si on intégrait ce coût-là dans le prix d’un produit, on serait compétitifs. Demain, il faudra qu’on prenne en compte les coûts masqués, les coûts pour la planète. » Une taxe ? Peut-être pas, mais quelque chose qui tienne compte de ce chemin parcouru par le produit. « Les normes environnementales, bien sûr que je les respecte, elles sont légitimes, lance Piganiol. Mais je ne peux pas me battre contre un produit qui va entrer en France et ne rien respecter. Par exemple, mes aiguillettes sont garanties sans nickel. Ça coûte un bras ! Si je contournais ces règles-là, elles ne me coûteraient rien. » Un vrai casse-tête chinois.
L’ambition de l’entreprise est de progresser sur la responsabilité sociale et environnementale. Celle-ci pose des questions pressantes pour la génération de Matthieu Piganiol. Une filière de rapatriement général des parapluies – déchet complexe, porteur de tissu, de bois et de métal ? « Cela consommerait tellement d’énergie que le bilan carbone serait négatif. » Il semblerait qu’au Japon, un tel recyclage soit devenu possible. Preuve aussi que la mondialisation n’a pas que du mauvais. « Le COVID nous a montré comme nous étions dépendants », relativise-t-il. L’entreprise s’est diversifiée comme jamais, en confectionnant également des masques, puis des blouses pour le personnel hospitalier. « Quand on a dit au personnel des EHPAD de découper leur blouse dans des sacs-poubelle, je me suis dit que la France était devenue un pays du tiers-monde. » Mais comment faire pour stopper cette tiers-mondisation ? « On est très mauvais. On a construit le marché unique mais on a oublié tout le reste, en Europe. »

Clément Bénech
est né en 1991 à Paris. Il est l’auteur d’un essai sur la photographie dans le roman aux éditions Plein Jour, ainsi que de trois romans aux éditions Flammarion. Le prochain, Un vrai dépaysement (Flammarion), sortira en janvier prochain.
L’entrepreneur, qui reste optimiste, conclut par une envolée : « c’était bien, les Trente Glorieuses, puis les Trente Glandeuses : vous faites produire ailleurs pour pas cher, et vous consommez comme un cochon. C’est fini. La mondialisation, c’était génial, mais ce n’était pas la vraie vie. Bientôt on consommera moins, mais mieux. On n’a pas besoin de quinze parapluies : on a besoin d’un parapluie qui tient la route pendant quinze ans. C’est ça, l’avenir. Du moins, je l’espère. » Un espoir de plus en plus partagé....

Chantons sous la pluie Est-il encore possible de fabriquer des parapluies made in France ? À Aurillac, un entrepreneur le croit et le prouve. Rencontre avec l’un des derniers parapluitiers français. Un après-midi d’hiver, il y a quelques années, désirant m’abriter de la pluie parisienne, je m’engouffrai dans une boutique de parapluies. Or me trottait dans la tête depuis longtemps l’idée de m’en offrir un : un vrai pébroque solide, que je pourrais transmettre un jour à un éventuel héritier. Car j’en avais ma claque de ces chaperons éphémères qui ne tiennent pas la route au-delà d’une giboulée. Je jetai alors mon dévolu sur un modèle bleu électrique, et ressortis de la boutique en déployant mon nouvel achat, la banane aux lèvres tel un personnage de Sempé. Une discrète étiquette rouge indiquait : « Sauvagnat ». J’avais acheté sans le vouloir un parapluie auvergnat, moi qui suis sans arrêt renvoyé à cette région depuis que je l’ai découverte il y a quinze ans. J’écrivais au même moment un roman ; un de mes personnages cherchait encore un emploi ; il fabriquerait des parapluies. Cet aspect du roman a finalement fondu comme neige au soleil ; me restait tout de même sur l’estomac le désir inassouvi de visiter un tel atelier. Au-delà de l’objet lui-même, une question me taraudait, sous la forme d’une image : quand une espèce animale est proche de l’extinction, on voudrait croire que cela ne change rien pour ses derniers survivants, qu’à leur échelle ils rugissent, chassent et…

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