« L’annonce de ma mort est tout à fait prématurée »

Frédéric Rollin

La faillite de Lehman Brothers a discrédité l’ordre économique et financier mondial et la crise qu’elle a entraînée a fait naître des doutes durables sur les bienfaits de la globalisation.
En 2016, alors même que l’on enterrait la crise, le contrecoup politique est arrivé plein phare avec le Brexit et l'élection de Donald Trump. Depuis, le commerce britannique patine et les escarmouches sino-américaines se succèdent. Plus récemment, la pandémie a exacerbé les volontés d’autonomie économique. Les populations occidentales ont amèrement manqué de matériel technologique et de santé. Enfin, la guerre en Ukraine ébranle le commerce de l’énergie et de l’alimentation, menaçant la paix nécessaire au bon déroulement du commerce entre les nations.
Il n’est dès lors pas étonnant d’entendre sonner le glas de la globalisation. De nombreux analystes sont formels, « le roi se meurt ». Pas absurde, mais pourtant probablement inexact. Il semble plutôt que « l’annonce de sa mort est tout à fait prématurée », et que le commerce mondial continue de progresser, mais par des voies différentes.
Certes, la super globalisation à l’œuvre depuis la naissance de l’internet est moins fringante. Le volume du commerce des biens a baissé depuis 2008. Toutefois, la prise en charge plus complète des chaînes de fabrication par la Chine participe largement à ce déclin. Les allers-retours entre pays lors de la conception d’un smartphone se réduisent, ce qui fait baisser la statistique. Mais il ne s’agit pas là d’un symptôme de dé-globalisation, mais plutôt le signe des progrès de la Chine.
Le retour des industries dans les pays occidentaux fait couler beaucoup d’encre. Les gouvernements sont sur le pont et les annonces font florès. Mais ce « reshoring » reste principalement concentré sur la technologie et la médecine, industries stratégiques, à forte marge et modérément dépendante des salaires. Dans ce contexte géopolitique incertain, on a vu naître le «friend-shoring », avec par exemple des accords entre les états-Unis et l’Australie pour le traitement des terres rares. Mais les politiques doivent cajoler le pouvoir d’achat de leurs administrés et le retour des usines est limité par les principes de la concurrence. Force est de constater que les investissements directs dans les pays en développement restent dynamiques.

Au total, si l’on additionne les biens et les services, le commerce mondial continue de progresser très régulièrement.
La globalisation reste donc bien vivante et en bonne santé.

L’avènement des énergies propres est parfois présenté comme un moteur de dé-globalisation : moins d’achats de pétrole depuis le Moyen-Orient, etc. Mais cela reste à prouver. La Chine domine clairement le marché du solaire et des batteries. Quant à nos achats de matières premières, ils se reporteront vers l’Australie ou le Chili par exemple.
Enfin et surtout, si la globalisation des échanges de biens patine, la globalisation des services galope. L’Inde connaît un développement important grâce à la délocalisation des services informatiques. Beaucoup de services bancaires, d’analyse de crédit par exemple, ou encore de centres d’appels continuent d’être délocalisés. Et la pandémie a renforcé ce phénomène avec le recours accentué aux moyens de communication internet.  Au total, si l’on additionne les biens et les services, le commerce mondial continue de progresser très régulièrement. La globalisation reste donc bien vivante et en bonne santé.

Frédéric Rollin
est conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management depuis 2011. Il a commencé sa carrière comme gérant obligataire, de 1990 à 1998 pour BNP, Cardif Asset Management et JP Morgan. Il a ensuite travaillé chez HSBC Asset Management avant de prendre le rôle de responsable de la gestion de taux chez Robeco à Paris de 2007 à 2009. Frédéric est diplômé de statistiques et d’économie à l’ENSAE SEA.
Et, pour terminer sur une note salée, si nous parlions du « travail à la maison » ? Aujourd’hui plébiscité par les employés et les dirigeants, il pourrait dévoiler bientôt une autre face. Après tout, l’anglais est enseigné partout dans le monde et les traducteurs automatiques pourraient bientôt permettre aux cancres d’assister aux réunions internationales. Alors, ce sera au tour des ingénieurs et des cadres de tous les pays d’entrer en concurrence directe. Pour rappel, la Chine et l’Inde forment en cumulé douze fois plus de scientifiques et d’ingénieurs que les Etats-Unis.
à bon entendeur…

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La faillite de Lehman Brothers a discrédité l’ordre économique et financier mondial et la crise qu’elle a entraînée a fait naître des doutes durables sur les bienfaits de la globalisation. En 2016, alors même que l’on enterrait la crise, le contrecoup politique est arrivé plein phare avec le Brexit et l'élection de Donald Trump. Depuis, le commerce britannique patine et les escarmouches sino-américaines se succèdent. Plus récemment, la pandémie a exacerbé les volontés d’autonomie économique. Les populations occidentales ont amèrement manqué de matériel technologique et de santé. Enfin, la guerre en Ukraine ébranle le commerce de l’énergie et de l’alimentation, menaçant la paix nécessaire au bon déroulement du commerce entre les nations. Il n’est dès lors pas étonnant d’entendre sonner le glas de la globalisation. De nombreux analystes sont formels, « le roi se meurt ». Pas absurde, mais pourtant probablement inexact. Il semble plutôt que « l’annonce de sa mort est tout à fait prématurée », et que le commerce mondial continue de progresser, mais par des voies différentes. Certes, la super globalisation à l’œuvre depuis la naissance de l’internet est moins fringante. Le volume du commerce des biens a baissé depuis 2008. Toutefois, la prise en charge plus complète des chaînes de fabrication par la Chine participe largement à ce déclin. Les allers-retours entre pays lors de la conception d’un smartphone se réduisent, ce qui fait baisser la statistique. Mais il ne s’agit pas là d’un symptôme de dé-globalisation, mais plutôt le signe des progrès de la Chine.…

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