One Woman Show
Morgane Cadignan n’est pas une humoriste comme les autres. Il semblerait qu’elle soit un peu au-dessus du lot, mais sa modestie et son envie de rester sous les radars, « même si on peut ne pas me croire », font qu’elle n’aimerait sans doute pas que l’on dise ça. Et puis, après tout, ce n’est peut-être une illusion d’optique. Une question de goût. Le nôtre. Ce qui est certain, c’est qu’elle est en léger décalage. Loin de l’humour agressif, des blagues communautaires, des grosses vannes à la mitrailleuse. Serait-elle en avance sur son temps, cette trentenaire qui interroge en profondeur son époque ? Peut-être. Mais plutôt que de céder à la manie de la situer avec une précision satellitaire sur l’échiquier de la blague, comme si les gens n’étaient rien d’autre que des coordonnées GPS, on a tenté de retracer le chemin qui l’a menée là.
Plutôt que des éclats de rire, qu’elle provoque évidemment et en nombre, rassurez-vous, Morgane Cadignan cherche la nuance qui manque à notre époque. Elle n’a pas d’avis sur tout et souhaite pouvoir le dire.
Avant tout, il y a l’enfance. Celle d’une fille unique – « du côté de ma mère » – qui s’est beaucoup ennuyée et qui a trouvé dans l’imagination une espèce de remède à la monotonie. Puis, c’est sans doute lié, est venu le goût des mots. L’amour de l’écriture. Dans son spectacle, comme dans ses chroniques sur France Inter, elle est ciselée et précise. D’ailleurs Morgane Cadignan se dit plus autrice que comédienne ou stand-uppeuse. Même si elle est les trois à la fois.
Enfin donc, il y a l’humour. L’envie de faire rire. « Je n’ai pas besoin de faire de l’humour, confie-t-elle pourtant un soir d’une rentrée de septembre déjà bien chargée, mais j’ai besoin de rire. Je crois que dans ce monde, exigeant, agressif, les gens ont besoin de cette douceur ». Oui, selon elle, même si le rire peut se faire cynique et incisif, l’humour désespéré, voir carrément noir, le fait de rire ensemble réconforte. à commencer par elle.
Alors, passé un master de conception-rédaction et des stages qui lui servent surtout à se rendre compte qu’elle ne veut pas travailler dans la pub, elle se lance dans le stand-up. « Pour le plaisir de dire quelque chose que j’ai écrit. Et pour l’immédiateté ». Parce qu’écrire un texte et aller le tester dans un Comedy club, peut se faire dès qu’elle se sent prête, là où l’écriture d’une série ou d’un film demande de nombreuses et très incertaines étapes de validation. Ensuite, son passage au conservatoire d’art dramatique de Versailles lui a sans doute donné un peu de cette assurance qui laisse l’impression qu’elle est sur scène, ou dans un studio de la maison de la radio, comme chez elle. Bref, voilà comment, à 31 ans, Morgane Cadignan va squatter d’octobre à la fin décembre, tous les mercredis soirs, une salle où elle a vu jouer certains de ceux qui l’ont inspirée, l’Européen.
Pourtant, il faut quand même préciser qu’elle ne s’est jamais facilité la tâche. Quand elle trouve une vanne dont elle est certaine de l’efficacité (même si la certitude est un concept qui lui est étranger) mais avec laquelle elle n’est pas sûre d’être d’accord, elle préfère la mettre de côté. Et continuer de raconter sa vie, ses doutes, sans s’inventer un personnage. « Si un jour, il m’arrive un truc incroyable, je le raconterai. Mais en attendant, je parle de ce que je suis ». Une femme qui doute, qui questionne et rejette les injonctions du moment, que ce soit celle d’être heureuse, de s’accepter ou d’être soi-même. Parce que les ordres, même bienveillants, restent des ordres, et que dans la vie on fait comme on peut.
Plutôt que des éclats de rire, qu’elle provoque évidemment et en nombre, rassurez-vous, Morgane Cadignan cherche la nuance qui manque à notre époque. Elle n’a pas d’avis sur tout et souhaite pouvoir le dire. Elle espère juste que quelques personnes dans le public se reconnaîtront dans ce qu’elle dit. « Pas pour me sentir moins bête, juste pour me sentir moins seule ». C’est d’ailleurs pour ça qu’elle écrit. « Il y a une phrase de Faulkner que j’aime beaucoup. « écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre ».