#RegretMaternel

Giulia Foïs

Elle a le cheveu lisse et le regard sans maquillage. Le débardeur sage, et le sourire timide de celles qui ne font pas de vagues. Astrid Hurault de Ligny a appris, comme beaucoup de petites filles, à tenir son rang. Chez elle, plus qu’ailleurs encore, on se soucie du qu’en dira-t-on. La ville est petite, les valeurs sont catholiques : on ne flirte pas avec les garçons, on attend le bon. Et on se marie. Et on fait des enfants. Un seul, en ce qui la concerne. Parce qu’on ne l’y reprendra plus. Et que si c’était à refaire, elle ne deviendrait pas mère.

(1) Le regret maternel. Quand le rôle de mère est trop lourd à porter, éd. Larousse, 304 p., 18,95 €.

Dans le sillage du #MonPostPartum, celui du #RegretMaternel fait régulièrement vibrer les réseaux sociaux. Les messages postés, par centaines depuis des mois disent l’épuisement de celles qui portent trop, beaucoup trop encore ; ils disent l’injonction à une maternité parfaite, idéal inaccessible vendu comme naturel ; alors ils disent aussi l’immense solitude dans laquelle se trouvent celles pour qui, non, tout n’est pas toujours idyllique– autant dire : nous toutes. Bien sûr, nos mères étaient, avant nous, écrasées par la tâche. Et nos grands-mères avant elles. Et alors ? Le poids des siècles peut-il suffire à nous convaincre de nous taire ? Certainement pas. Sans compter que, entre-temps, la barque s’est encore remplie. La dévotion maternelle ne suffit plus : entre deux débordements de couche, trois reflux gastriques, et cinq réveils nocturnes, il nous faudra, aussi, être aimantes, baisables aimables, désirantes et performantes. Car, comme le résume si bien cette formule féministe : « il faut que les femmes travaillent comme si elles n’avaient pas d’enfants, et qu’elles s’occupent de leurs enfants comme si elles n’avaient pas de travail ». Casse-tête. Faire rentrer des carrés dans des ronds. Se trouver nulles de ne pas y arriver. Serrer les dents, et puis réessayer… Stop. La nouvelle génération dit « stop ». Haut, fort, souvent. Elles sont même une sur trois à ne pas vouloir d’enfant, selon un sondage Ifop/Elle Magazine (Septembre 2022). Pour Astrid, c’était trop tard. Alors, de ce regret, elle a fait un livre1.

Aujourd’hui, en 2022, pas touche à maman. Fonction sacrée, réflexe archaïque. Les menaces planant ici et là sur l’IVG sont l’écho politique de ce que toutes les Astrid tentent de dire : non, les femmes n’ont toujours pas le choix.

Convaincue que la marge a toujours fait bouger le centre, que l’intime est toujours politique, et que la norme nous fera tous crever à force de nous asphyxier, j’invite semaine après semaine, dans mon émission « En marge », des femmes et des hommes qui, par leur singularité, leur trajectoire, les épreuves subies et dépassées, nous interrogent, au fond, sur qui on est. Qui on aime. Et comment on respire. Le simple partage d’expérience peut avoir plus d’effet, parfois, que des litres de jus de crâne. J’y crois très fort, et, semaine après semaine, les réactions lues sur les réseaux sociaux m’ont donné vaguement l’idée que, si quand même, on pourrait peut-être réussir à avancer ensemble, pour peu qu’on prenne le temps de s’écouter.

Giulia Foïs
Journaliste engagée - et féministe avec joie - Giulia Foïs s’est spécialisée sur les questions de genre, en presse écrite, et à la radio. Productrice et animatrice de l’émission « En marge », sur France Inter, elle est également l’autrice de Je suis une sur deux (Éditions Flammarion), livre consacré à la question des violences faites aux femmes.
Oui. Mais voilà Astrid Hurault de Ligny et son regret maternel. Et des torrents de vomi sur Twitter, à peine le micro allumé. On la raille, on la moque, on l’humilie… Et on menace d’appeler l’Aide sociale à l’enfance pour son fils qui, de l’avis dominant ce soir-là, doit être profondément malheureux. Pourtant, elle l’a dit et répété, son amour immense pour ce petit garçon. Anticipant les critiques, elle dit, et elle répète, tout le temps, les soins, les attentions qu’elle lui prodigue. On la croit volontiers. On se dit même qu’elle doit être une mère bien plus aimante que toutes celles qui, comme elles, ne voulaient pas l’être, mais qui n’osent pas se l’avouer – bien plus nombreuses que ce que l’on aime à penser. Astrid, elle, a su le formuler. Elle a eu le courage, elle a eu l’intelligence, de s’interroger, de réfléchir, et de poser des mots sur ce qu’elle vivait. Depuis, elle va mieux. Le chemin qu’elle a fait, elle voulait juste le raconter, aider à se relever celles qui étaient tombées, participer à une réflexion plus générale sur la maternité. Mais non. Torrents de vomi, tombereaux de haine… Preuve magistrale de ce qu’elle tente de démontrer : aujourd’hui, en 2022, pas touche à maman. Fonction sacrée, réflexe archaïque. Les menaces planant ici et là sur l’IVG sont l’écho politique de ce que toutes les Astrid tentent de dire : non, les femmes n’ont toujours pas le choix. Assignées à la maternité, elles n’ont que le droit de la boucler. Tant pis si elles y vont à marche forcée. Tant pis pour elles, tant pis pour leurs enfants, dont on semble tant
se préoccuper.

(1) Le regret maternel. Quand le rôle de mère est trop lourd à porter, éd. Larousse, 304 p., 18,95 €.

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Elle a le cheveu lisse et le regard sans maquillage. Le débardeur sage, et le sourire timide de celles qui ne font pas de vagues. Astrid Hurault de Ligny a appris, comme beaucoup de petites filles, à tenir son rang. Chez elle, plus qu’ailleurs encore, on se soucie du qu’en dira-t-on. La ville est petite, les valeurs sont catholiques : on ne flirte pas avec les garçons, on attend le bon. Et on se marie. Et on fait des enfants. Un seul, en ce qui la concerne. Parce qu’on ne l’y reprendra plus. Et que si c’était à refaire, elle ne deviendrait pas mère. (1) Le regret maternel. Quand le rôle de mère est trop lourd à porter, éd. Larousse, 304 p., 18,95 €. Dans le sillage du #MonPostPartum, celui du #RegretMaternel fait régulièrement vibrer les réseaux sociaux. Les messages postés, par centaines depuis des mois disent l’épuisement de celles qui portent trop, beaucoup trop encore ; ils disent l’injonction à une maternité parfaite, idéal inaccessible vendu comme naturel ; alors ils disent aussi l’immense solitude dans laquelle se trouvent celles pour qui, non, tout n’est pas toujours idyllique– autant dire : nous toutes. Bien sûr, nos mères étaient, avant nous, écrasées par la tâche. Et nos grands-mères avant elles. Et alors ? Le poids des siècles peut-il suffire à nous convaincre de nous taire ? Certainement pas. Sans compter que, entre-temps, la barque s’est encore remplie. La dévotion maternelle ne suffit plus : entre deux débordements de couche, trois reflux gastriques, et cinq réveils nocturnes,…

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