Soudan Le Nil Bleu, venu de l’est, et le Nil Blanc, du sud, se rencontrent à Khartoum, la capitale, pour former le Nil et poursuivre ensemble leur route vers la Méditerranée. C’est à la confluence qu'affleure l’île de Tuti, croissant de terre façonné par les flots. Chaque soir, les habitants se retrouvent sur cette plage, les pieds dans l’eau, pour échapper au chaos de la ville.
« L’eau sera au cœur des guerres du siècle prochain » annonçait en 1999 Ismaïl Serageldin, ancien vice-président de la Banque mondiale. Depuis dix ans, la prophétie se réalise dans le bassin du Nil où l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie s’affrontent sur le champ politique pour le contrôle des flots du plus long fleuve du monde.
Source de 85 % des eaux du Nil, l’Éthiopie n’a jamais pu utiliser cette ressource pour se développer. En 1959, profitant de leur supériorité, l’Égypte et le Soudan se partagent l’intégralité des 85 milliards de mètres cubes du débit annuel, l’Égypte s’en octroyant plus de 65 %. Les accords signés empêchent de facto tous les pays en amont de mener des projets qui affecteraient le débit du fleuve sans l’autorisation préalable des deux signataires. Depuis cette époque, le Nil appartient donc en quasi-totalité à l’Égypte, alimentant cette idée d’un droit inaliénable du pays – que l’historien antique Hérodote qualifiait de « don du Nil » – sur le fleuve.
Arthur Larie
Arthur Larie est photographe et vidéaste. Originaire de Corse, il travaille depuis deux ans dans les pays de la Corne de l’Afrique. Son travail se focalise principalement sur les conflits en cours dans la région, notamment au Soudan, et sur les tensions liées au Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne.
Bastien Massa
Bastien Massa est rédacteur et photographe. Après sept mois à descendre le Nil bleu depuis sa source en Éthiopie, il part couvrir le coup d’état au Soudan et ses répercussions sur le conflit au Darfour. Ses derniers travaux sur la situation des réfugiés afghans au Pakistan un an après la chute de Kaboul ont été publiés dans la presse française.
En 2011, l’Éthiopie décide pourtant d’en finir avec l’hégémonie égyptienne avec la construction du plus grand ouvrage hydroélectrique d’Afrique : le barrage de la Renaissance. Cet acte politique a débouché sur une grave crise régionale, chaque gouvernement usant de pressions internationales et abusant de propagandes internes, sapant la communication et la compréhension entre les trois pays ; chacun reste sur ses positions et accuse ses voisins d’agir pour lui nuire. Partout, le drapeau de la guerre de l’eau est levé, et le conflit armé annoncé.
Mais derrière ces discours politiques, la société civile et les communautés qui vivent au quotidien des eaux du fleuve sont peu entendues. Pendant sept mois, les photographes Arthur Larie et Bastien Massa ont parcouru le Nil Bleu de sa source, en Éthiopie, jusqu’à son delta, en Égypte, pour appréhender la façon dont les habitants perçoivent leur fleuve et les voisins avec lesquels ils le partagent, au-delà des rhétoriques guerrières. Sur le temps long, ils ont essayé de déceler comment, au lieu de diviser, le Nil rassemble et véhicule une culture commune dans ces trois pays : l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte.
C’est en comprenant l’attachement – spirituel, culturel ou matériel – de chacun au fleuve que des ponts pourront ensuite être érigés entre les peuples et ainsi apaiser les tensions. Loin des discours arrêtés, chaque habitant raconte une histoire qui le lie au fleuve, aux perceptions fluides qui évoluent au cours de l’eau. À travers le regard de ceux qui vivent le Nil, ce récit tente d’éclairer l’un des grands enjeux géopolitiques qui secoue l’Afrique.
Soudan Le Nil Bleu, venu de l’est, et le Nil Blanc, du sud, se rencontrent à Khartoum, la capitale, pour former le Nil et poursuivre ensemble leur route vers la Méditerranée. C’est à la confluence qu’affleure l’île de Tuti, croissant de terre façonné par les flots. Chaque soir, les habitants se retrouvent sur cette plage, les pieds dans l’eau, pour échapper au chaos de la ville.
Éthiopie L’histoire commence dans les hauts plateaux d’Abyssinie. Source sacrée du Nil Bleu, le site serait, selon la Bible, le lieu où Paradis et monde terrestre s’unissent. Dans leurs chants populaires, les Éthiopiens racontent comment leur pays a été délaissé par le Nil Bleu. Symboliquement, le barrage de la Renaissance incarne un lien renoué entre le peuple éthiopien et ce père sacré qu’est le fleuve.
Éthiopie « Aujourd’hui nous sommes prêts, avec le barrage nous allons enfin pouvoir utiliser le Nil pour notre peuple. » Pour Mulugeta, l’espoir suscité par l’ouvrage répond aux inquiétudes ancrées dans l’imaginaire populaire éthiopien. Les eaux du fleuve n’ont jamais contribué au développement du pays. Surnommé « Abay », le Nil Bleu est considéré comme un père ayant manqué à ses devoirs : « Nous sommes à la source. Avant d’aller bénir les peuples en aval, la logique serait que nous soyons les premiers à bénéficier du Nil. »
Soudan Si les crues sont historiquement indispensables à l’agriculture dans le bassin du Nil, le Soudan a connu en 2020 les pires inondations de ces cent dernières années affectant plus de 650 000 personnes dans le pays. Pour de nombreux Soudanais, en limitant les inondations dévastatrices, le grand barrage de la Renaissance leur bénéficiera également.
Égypte À l’aube, Assim glisse sa barque sur les eaux. Comme chaque jour, il part récupérer les filets posés la veille. Pêcheur de père en fils, il a passé sa vie aux côtés du fleuve, l’artère vitale en Haute-Égypte. En évoquant le barrage éthiopien, Assim ne semble pas croire aux discours qui divisent les trois peuples. « Le Nil est source de vie, que l’on soit un pêcheur éthiopien, soudanais ou égyptien, nous sommes tous liés par le fleuve. »
Soudan Amina se tient dans les décombres de sa maison, détruite par les inondations en septembre 2020 prêt de Khartoum. En pleine nuit, l’eau s’est infiltrée dans sa chambre, la forçant à fuir en laissant tout derrière elle. Son quartier a été dévasté en l’espace de quelques jours par les flots.
Égypte Dans le delta, lorsque les embruns de la Méditerranée se font plus vifs, le fleuve prend des allures de port de pêche. Sur les derniers kilomètres qui le séparent de la mer, le Nil accueille sur ses berges chalutiers et pêcheurs préparant leurs filets avant leur prochaine sortie en mer. Après un périple d’environ 6 700 km, c’est dans cette ambiance maritime que le fleuve finit son voyage.
Éthiopie Des pèlerins embarquent pour l’une des îles du lac Tana. À la source du Nil Bleu, il abrite des monastères millénaires qui renferment les tombeaux de grands empereurs abyssins. Loin de n’être qu’un lieu sacré, le lac – le plus grand du pays – est source de vie pour plus de deux millions de personnes qui dépendent de ses eaux au quotidien.
Égypte Les canaux qui traversent Kom-Ombo, en Haute-Égypte, ont été creusés pour irriguer les champs à la sortie de la ville. Le flot du Nil est maîtrisé grâce au barrage d’Assouan, construit dans les années 1960 dont le réservoir forme ce qui est aujourd’hui le lac Nasser, à la frontière avec le Soudan.
Soudan Entre le Nil Bleu et le Nil Blanc, dans le sud du pays, le fleuve n’est qu’un mince filet d’eau, avec un débit équivalent à 2 % de celui du Congo. Bien que situés dans le bassin fluvial, ces villages dépendent de la saison des pluies pour leur survie dans cet environnement aride. Le changement climatique déstabilise le cycle des intempéries, apportant beaucoup d’eau sur une période plus courte.
Soudan De jeunes Fellata – ou Peuls – tirent de l’eau dans un puits situé dans la région du Nil Bleu. Le fleuve est un élément central pour ces nomades du Soudan qui se déplacent de part et d’autre du cours d’eau.
Soudan Avec la crise économique, le Nil est devenu pour de nombreux jeunes la voie d’accès à un avenir qu’ils espèrent meilleur. Embarqués sur le ferry qui traverse le lac Nasser et munis de visas de travail de six mois, ils vont tenter leur chance dans les mines d’or égyptiennes.
Soudan Dans l’État du Nil-Bleu, les pêcheurs subissent depuis des décennies les changements du fleuve. Après que leur village a été noyé sous les flots du barrage de Roseires – construit dans les années 1960 –, ils se retrouvent maintenant dans l’incertitude quant aux effets de celui de la Renaissance – situé 50 km en amont – sur l’écosystème du fleuve. Des familles entières dépendent de la pêche ainsi que du commerce du bois charrié par le fleuve depuis les hauts plateaux abyssins et aujourd’hui bloqué par le barrage éthiopien.
Éthiopie Sur le lac Tana, pêcheurs et agriculteurs luttent chaque année contre la prolifération de la jacinthe d’eau. Cette espèce invasive, que l’on retrouve également en Égypte et au Soudan, asphyxie lentement le lac menaçant la stabilité de l’ensemble du bassin du Nil..
Soudan À une dizaine de kilomètres du Nil Bleu, cette communauté d’éleveurs a besoin de l’eau apportée par la saison des pluies pour nourrir ses troupeaux. Les chercheurs projettent qu’en 2040, dans le bassin du Nil, 80 millions de personnes (35 % de la population de la zone) risquent d’être en situation de stress hydrique à cause du réchauffement climatique. .
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