CINÉMA
Ce qui m’intéresse, c’est le monde intérieur », confie le réalisateur belge Lukas Dhont. En sortant de la projection au Festival de Cannes de Close (qui a finalement reçu le Grand Prix) les spectateurs étaient chamboulés. Trois ans plus tôt, ils l’avaient été tout autant suite au visionnage de Girl, lauréat de la Caméra d’or et la Queer Palm cannoises. En deux long-métrages et à seulement 31 ans, Lukas Dhont a imposé une grammaire ultra sensible, aux couleurs comme aux émotions, et néanmoins pourvue d’onirisme, très ancrée dans son époque.
Plus jeune, Lukas Dhont était féru de films d’animation – « plus attirants que la réalité » -, se plonge dans les sous-textes du cinéma d’horreur avant de découvrir l’engagement de cinéastes telles que Ang Lee et Céline Sciamma. Après avoir étudié à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand et fait ses armes en tant que monteur et directeur de la photographie, Lukas Dhont fait soudainement parler de lui à la sortie de Girl, où l’on suit de très près une jeune fille trans qui rêve de devenir danseuse étoile. « J’avais lu un article sur cette personne trans qui voulait casser les frontières dans le monde du ballet, qui m’était aussitôt apparue comme une héroïne, nous raconte Lukas Dhont. Girl a été fait intuitivement. Il a été synonyme de beaucoup de première fois : premier festival, premières critiques, bonnes et mauvaises, premiers prix, premières déceptions… Pendant un an et demi, j’ai voyagé avec Girl et j’ai dû ensuite faire le deuil de cette agitation, de ce mouvement viscéral. »
Au-delà de ses évidentes compétences esthétiques, Dhont sait également diriger ses acteurs, sa caméra épousant naturellement leur gestuelle. On ne s’étonne guère qu’il ait collaboré avec les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Jan Martens.
De retour à la page blanche, Lukas Dhont ressent le besoin de remonter aux sources de sa propre personnalité : « Je suis revenu dans le village où j’ai grandi, dans mon ancienne école, où je me suis senti si seul, afin de revivre ces sentiments-là, car j’étais prêt à les coucher sur papier. Je suis allé chercher loin pour faire ce film qui parle de mon enfance, de mon adolescence. » Dans Close, les plans se rapprochent souvent des comédiens, créant une intimité qui est aussi celle partagée par Léo (Eden Dambrine) et Rémi (Gustav de Waele). Suite à une remarque de leurs camarades, le premier veut se fondre dans le moule collégien et s’éloigne du second. Les conséquences seront terribles. « Close parle de tous les amis que j’ai gardé à distance parce qu’avoir un garçon si proche de moi à cet âge-là, c’était presqu’un acte politique. En grandissant, en me confrontant avec moi-même et une société qui se soumet à des carcans trop rigides, j’ai compris que je voulais réaliser un film qui parlait du fait qu’un garçon ne peut pas être éduqué d’une manière unique et patriarcale. Tout comme une fille. »
Close, en salles le 1er novembre.
Outre la connivence des deux jeunes acteurs, Close met en lumière deux actrices au CV parfait et à la présence lumineuse, Léa Drucker et Émilie Dequenne. Laquelle, dans le rôle d’une mère endeuillée qui tente de communiquer avec son entourage, nous fait monter les larmes aux yeux. Et ce n’est pas la première fois ! « Après avoir travaillé avec des débutants, j’avais envie de découvrir un nouveau type de relation avec des acteurs qui ont de l’expérience, commente Dhont. Émilie m’a beaucoup appris sur la nuance, le travail de répétition. C’est la Kate Winslet belge ! Elle n’a pas peur, elle n’est pas dans la façade, le contrôle. Elle qui sait très bien ce que ça veut dire de jouer pour la première fois, c’était formidable de la voir accompagner ces deux jeunes garçons dans leur première expérience de cinéma. » Au-delà de ses évidentes compétences esthétiques, Lukas Dhont sait également diriger ses acteurs, sa caméra épousant naturellement leur gestuelle. On ne s’étonne guère qu’il ait collaboré avec les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Jan Martens : « Depuis l’enfance, j’ai toujours été attiré par la danse. Mais j’ai arrêté, à cause de regards désagréables qui jugeaient cette activité pas assez viriliste. Je n’avais pas le courage de dire que je m’en foutais. Les danseurs ont tout compris, eux. Ainsi, j’essaye de faire en sorte que les comédiens s’expriment par des regards et des expressions, plus encore qu’avec des mots. » Et la grâce fut.