Musée
Temple parisien de l’art médiéval, le musée de Cluny a rouvert ses portes au printemps dernier, après plusieurs cycles de travaux et deux années de fermeture. Globale, ambitieuse, voire révolutionnaire, cette rénovation, disons-le sans attendre, est une réussite absolue.
Malgré les restaurations vigoureuses du XIXe siècle, l’hôtel de Cluny est sans doute l’un des plus beaux témoignages de l’architecture civile médiévale de la capitale et forme à ce titre un lieu idéal pour abriter un musée du Moyen Âge. L’installation des abbés de Cluny à proximité du collège parisien de l’abbaye remonte à l’achat d’une première maison par l’abbé Pierre de Chalus, entre 1322 et 1334. Au moment de sa reconstruction, dans les années 1490-1500, l’hôtel de Cluny constitue le chantier privé le plus important de Paris. En adoptant une forme palatiale relativement originale, il a pour vocation de réaffirmer la puissance de l’abbaye et de glorifier son commanditaire, l’abbé Jacques d’Amboise. À son extrémité ouest, l’hôtel s’appuie sur les imposantes structures de thermes romains dont les abbés de Cluny ne possédaient qu’une petite partie.
Ce double ensemble architectural a été merveilleusement complété par un espace d’accueil lumineux, savamment conçu par l’architecte Bernard Desmoulin. Cette adjonction contemporaine à la façade de cuivre mordoré s’insère parfaitement entre le bâtiment médiéval et les vestiges antiques. Son inauguration en 2018 a constitué la première étape importante de la rénovation du musée de Cluny, un chantier de près de dix années.
À l’origine du musée était la collection d’Alexandre du Sommerard, amateur passionné et pittoresque, qui s’était installé en 1832 dans une partie de l’hôtel de Cluny, principalement au premier étage, où se trouve la chapelle, point d’orgue architectural de l’édifice. Du Sommerard y exposait sa collection d’objets, de tableaux, de meubles et de sculptures dans une mise en scène romantique : un merveilleux capharnaüm, où se côtoyaient chefs-d’œuvre et pièces plus secondaires qui bénéficiaient néanmoins d’attributions généreuses tel le fameux lit à baldaquin dit de François Ier.
Le nouveau musée du Moyen Âge a totalement réussi son pari : s’inscrire dans notre époque en essayant d’attirer une nouvelle génération, tout en maintenant l’excellence scientifique et la qualité de la présentation des œuvres.
En 1842, à la mort d’Alexandre du Sommerard, l’accord entre la collection et son écrin était tel qu’un projet de musée voit le jour. D’autant que, juste à côté de la joyeuse collection de Du Sommerard, la Ville de Paris, en 1836, avait installé dans la salle du frigidarium des thermes de Cluny son dépôt lapidaire, riche de nombreuses sculptures provenant des différents monuments parisiens détruits. La même année, l’État achète l’hôtel et le cabinet de curiosité du collectionneur tandis que la Ville lui cède les thermes et ses collections lapidaires. En 1843, le musée du Moyen Âge et de la Renaissance était né.
Le premier conservateur en fut le fils de l’ancien occupant, Edmond du Sommerard, qui pendant près de quarante ans va s’occuper du musée et y faire entrer un grand nombre de ses chefs-d’œuvre comme les Apôtres de la Sainte-Chapelle, la Dame à la licorne ou encore le devant d’autel de la cathédrale de Bâle. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le lieu demeure fidèle à son aspect originel, une sorte de cabinet savant des arts décoratifs du Moyen Âge jusqu’au XIXe s. Ce n’est qu’à la Libération qu’il se transforme en musée consacré exclusivement au Moyen Âge.
Depuis, son organisation générale était demeurée presque inchangée. Les années passant, l’ensemble avait fini par revêtir un aspect désuet. Cela n’était pas totalement dénué de charme mais encore fallait-il avoir développé un certain goût pour l’art médiéval pour se laisser vraiment séduire dans ce décor. Obscurité, passages étroits, planchers qui grincent, vitrines mal éclairées, poussiéreuses et surchargées, voilà l’image qu’il me reste de mes nombreuses visites au musée avant le début du chantier de rénovation. C’était surtout vrai pour les salles du premier étage. Au rez-de-chaussée, la salle des sculptures de Notre-Dame constituait alors une forme de bouffée d’oxygène. Cela n’a pas échappé à l’équipe chargée de la réorganisation muséographique : elle est demeurée identique. Pour le reste, quelle révolution ! On avait pu bénéficier d’un aperçu, il y a quelques années, à travers la salle de la Dame à la licorne. Mais, même si cet avant-goût était indiscutablement prometteur, il restait difficile d’imaginer une telle réussite d’ensemble.
De manière générale le parcours au sein du musée a été entièrement repensé. L’organisation thématique a laissé la place à une disposition chronologique qui permet au visiteur d’appréhender les collections avec beaucoup plus de facilité. Au premier étage, l’ouverture de fenêtres jusqu’ici condamnées apporte une clarté toute nouvelle au musée et permet de profiter de vues sur le bâtiment totalement inédites.
Surtout, la présentation des œuvres est tout à la fois élégante et dénuée d’ostentation, et c’est suffisamment rare pour être souligné. Les socles, les éclairages, les matériaux, le choix des couleurs, le dessin des vitrines, tout témoigne d’un sens esthétique affirmé. C’est beau, subtil et pourtant discret, suffisamment juste pour se laisser oublier et ne pas entrer en concurrence avec les œuvres d’art.
Notable exception, le musée Cluny a su éviter avec brio les dérives qui dégradent aujourd’hui nombre d’institutions. Tant en France qu’à l’étranger, on ne compte plus les musées qui, à l’occasion de leur rénovation, adoptent une présentation prétendument actuelle, laquelle dessert terriblement la possibilité d’un contact réel et émotionnel avec les œuvres d’art. On y retrouve le plus souvent des pièces de qualité totalement disparate traitées exactement au même niveau, comme si on oubliait que tout ce qui est ancien n’est pas artistiquement de même importance.Parfois, souvent, ce type de présentation veille à insérer du numérique ou, pire, du ludique, dans chaque vitrine pour un résultat généralement catastrophique. Pour justifier ces douteuses tentatives de modernisation, on retrouve toujours le même argument : c’est pour rendre les œuvres d’art plus accessibles au public, et en particulier aux jeunes visiteurs. Mais qui a donc décrété que les petits n’avaient pas de goût ? D’où vient cette conviction absurde qu’une œuvre, bien présentée et bien éclairée, ne saurait être suffisamment attractive pour un enfant s’il ne peut jouer avec, si elle est incapable de faire de la musique, et pourquoi pas aussi des bulles ?
La présentation des œuvres est tout à la fois élégante et dénuée d’ostentation, et c’est suffisamment rare pour être souligné.
Le seul compromis fait par le musée sur cette question du ludique est apparu au bon endroit : dans sa communication. L’affiche de réouverture rassemblait de nombreuses œuvres du musée dans une sorte de grand barbecue festif. On y voit notamment l’Adam de la cathédrale Notre-Dame sirotant un soda à la paille tandis que le buste-reliquaire de sainte Mabille déguste un hot-dog.
Le nouveau musée du Moyen Âge a totalement réussi son pari : s’inscrire dans notre époque en essayant d’attirer une nouvelle génération, tout en maintenant l’excellence scientifique et la qualité de la présentation des œuvres. Surtout, le nouveau musée de Cluny semble avoir repensé son aménagement en gardant en tête l’ancienne définition du musée selon le Conseil international des musées (Icom) dans laquelle le terme de délectation n’avait pas encore été remplacé par celui de divertissement. On lui en sait gré.