Votez, jeunesse !

Frédéric Monlouis-Félicité

Entre l’abstention des plus jeunes et l’influence électorale des plus anciens, un déséquilibre se crée, qui fragilise la démocratie. Peut-être est-il temps de repenser le poids à donner à chaque vote.

« Dans un proche avenir, si le régime démocratique se maintient, les vieux seront les rois. C’est mathématique, voyez-vous. Majorité des votes. En effet, que nous apprennent les statistiques ? Qu’on ne meurt plus aujourd’hui à 50 ans mais à 80, et demain à 100 ans ! Parfaitement. Imaginez donc un peu le nombre impressionnant de vieux que cela va donner et le poids qu’ils auront sur le gouvernement. La dictature du prolétariat touche à sa fin et fera place à la dictature des vieux. » En 1969, Adolfo Bioy Casares, le grand écrivain argentin et comparse de Borges, mettait ces mots dans la bouche de Faber, l’un des protagonistes (âgés) de son Journal de la guerre au cochon (éd. Robert Laffont). Dans un Buenos Aires livré au chaos, les jeunes font la chasse aux vieux sans qu’aucun motif déterminant n’émerge vraiment pour justifier leur vindicte. Jeu cruel, ressentiment, revanche sociale ? Mystère. Les plus âgés en sont réduits à se terrer et à échafauder des conjectures pour tenter de comprendre les raisons de cette haine. Un demi-siècle après la publication du roman, la prophétie de Faber serait-elle en passe de se réaliser ? Et surtout, à quoi sommes-nous prêts pour faire mentir la fiction ?

Le vieillissement de la population n’a pas seulement des conséquences démographiques qui affectent les grands équilibres macroéconomiques comme le système des retraites ou le financement de la dépendance. Il a aussi des effets individuels très concrets. En 1950, l’âge moyen des héritiers était de 35 ans. Aujourd’hui, il est de 50 ans. En 2050, l’héritier moyen aura 58 ans. Entre 20 et 40 ans, période de la vie pendant laquelle les besoins en capital sont les plus importants pour acquérir un logement, se former ou monter une entreprise, le coup de pouce qu’est l’héritage est encore loin. On ne peut que se réjouir des progrès de la médecine, qui permettent de vivre en bonne santé de plus en plus tard. Mais le modèle de société dans lequel, au mieux, trois générations se succédaient en tuilage pendant quelques années a fait place à une société dans laquelle trois voire quatre générations se superposent pendant de longues années. Nos systèmes de protection sociale, l’organisation du marché du travail et surtout nos processus de délibération et d’action politiques ne sont de toute évidence pas adaptés à cette nouvelle donne.

C’est ce dernier point qui devrait concentrer l’attention des innombrables instances qui se penchent sur l’avenir de la démocratie, dont la fragilité a éclaté au grand jour ces dernières années : la crise démocratique actuelle est intimement liée à la question générationnelle. On se souvient que, malgré une jeunesse majoritairement acquise à la cause européenne, le vote en faveur du Brexit l’a emporté au Royaume-Uni en 2016, précipitant le pays dans une spirale de déclin dont on n’a pas encore vu la fin. Rien de surprenant : dans la plupart des démocraties occidentales, le poids démographique croissant et la forte participation électorale des plus âgés pèsent mécaniquement sur les résultats. L’exemple des élections locales de 2021 en France est frappant : au premier tour, seuls 13 % des moins de 25 ans ont voté, soit 715 000 suffrages exprimés. Dans le même temps, 47 % des plus de 65 ans ont voté, soit 6,6 millions de bulletins de vote. Bien que la part des plus de 65 ans ne représente démographiquement « que » 2,5 fois la part des moins de 25 ans dans la population, le vote des seniors a pesé 9 fois plus. Ce déséquilibre électoral se retrouve dans les politiques mises en œuvre par les partis de gouvernement depuis des décennies. Dans un pays structurellement vieillissant, le conservatisme devient une valeur assumée. À l’ère des catastrophes, des menaces et des incertitudes, la gestion des risques a rendu le progrès peu désirable. Préserver le modèle social, sauver l’héritage du Conseil national de la résistance, lutter contre le « grand remplacement » ou faire preuve de résilience tiennent désormais lieu de programme. Autant de postures qui visent à protéger l’existant plus qu’à se projeter dans l’avenir.

En France comme ailleurs, la crise du covid a été un révélateur spectaculaire de cette « préférence pour les vieux » : préserver la vie des plus âgés s’est imposé comme la seule décision possible, sans débat sur l’intensité et les modalités de cette protection, et encore moins sur son coût exorbitant pour le reste de la population, en particulier pour les jeunes. Les confinements successifs ont durement touché une jeunesse dont l'insertion professionnelle et sociale était déjà handicapée depuis de nombreuses années. La massification de l’enseignement scolaire et l’embolie des universités ont provoqué la dégradation du niveau éducatif et un immense gâchis universitaire. Un élève sur cinq arrive en 6e sans maîtriser la lecture et l’écriture. Seuls 3 étudiants sur 10 décrochent leur licence en trois ans. La coexistence d’une élite très étroite avec une masse de faible niveau est la source d’un ressentiment croissant. Au lieu de réduire les inégalités de naissance, le système scolaire sélectionne par l’échec et perpétue la stratification de la société française, dans laquelle avoir ou pas un diplôme fait ou défait une vie. Malgré l’embellie récente, les jeunes restent la variable d’ajustement d’un marché du travail dysfonctionnel qui privilégie ceux qui sont déjà en poste plutôt que ceux qui cherchent à s’insérer. L’explosion des prix de l’immobilier, entretenue par des années de taux d’intérêt bas, a rendu problématique l’accès au logement pour les jeunes ménages tandis que les plus de 60 ans détiennent 60 % du patrimoine immobilier et du patrimoine financier. Résumons : le continuum élémentaire de l’émancipation sociale des jeunes (se former, trouver un emploi, se loger) est grippé depuis des décennies. Il n’est pas besoin d’insister sur les effets de la crise sanitaire sur des jeunes déjà fragilisés : anxiété, isolement, perte de sens, difficultés financières, décrochage... La rupture brutale des liens sociaux, de l’activité professionnelle ou de la formation a été dévastatrice. Pour autant, le sentiment que l’on a sacrifié une génération pour en sauver une autre n’a émergé que timidement et tardivement dans le débat public.
Avec le covid, préserver la vie des plus âgés s’est imposé comme la seule décision possible, sans débat sur son coût exorbitant pour le reste de la population, en particulier les jeunes.
C’est sans doute le signe que le risque le plus probable n’est pas la guerre entre générations. L’analyse classique d’Albert Hirschman (Exit, Voice and Loyalty) s’applique parfaitement ici. Les jeunes constatent que leur insertion dans la société est plus problématique que celle de leurs aînés mais n’expriment pas de ressentiment. L’engagement (loyalty) ne mène à rien, la revendication (voice) est inutile : reste la sortie du système (exit). L’attitude majoritaire pendant les confinements successifs a été la résignation. Plutôt que d’entrer en conflit ouvert, les jeunes se détachent du « vieux monde ». Puisque ce monde n’est pas fait pour nous, débrouillez-vous sans nous, semblent-ils dire aux générations qui les ont précédés. Le risque de bouleversement politique n’en est pas moins grand. On peut être atterré par ces jeunes activistes qui barbouillent les chefs-d’œuvre de nos musées de soupe à la tomate pour alerter sur l’urgence climatique. Puéril, inepte, contre-productif. Peut-être. Mais surtout symptomatique d’une jeunesse qui ne croit plus que le progrès technique permettra de trouver des solutions et qui a déserté le terrain de la délibération politique. L’angoisse écologique et le sentiment que les gouvernements n’agissent pas sont au cœur de ces actions, qui tiennent de la performance artistique involontaire autant que de la profanation. C’est cette autre « grande démission » qu’il est urgent de comprendre et d’inverser. Dans ce domaine, la France se distingue des autres démocraties européennes : dans l’enquête European Values Study de 2018, 6 % des jeunes Danois déclarent ne jamais voter lors d’une élection nationale, contre 30 % des jeunes Français. 87% des jeunes Français entre 18 et 24 ans n’ont pas voté aux élections régionales et départementales de juin 2021. 41 % d’entre eux se sont abstenus au deuxième tour de la présidentielle de 2022. Ces chiffres montrent une chose : le suffrage universel est en réalité de moins en moins... universel. Ces jeunes « décrocheurs » préparent l’avènement d’une démocratie sans électeurs (Luc Rouban) dans laquelle la citoyenneté électorale est principalement exercée par les classes éduquées et âgées. Les jeunes s’abstiennent et quand ils votent, c’est en faveur de candidats d’extrême gauche ou d’extrême droite, expression d’une lassitude profonde face à des partis de gouvernement qui n’ont pas démontré leur efficacité. Cette situation fragilise nos institutions, dont la légitimité démocratique diminue d’élection en élection. Et un fort taux d’abstention accroît mécaniquement le risque d’accession au pouvoir d’un candidat populiste qui conduirait le pays à sa ruine.

La « déconsolidation démocratique » décrite par Yascha Mounk est en marche, et les jeunes en sont l’avant-garde. Pourtant, ils ne se désintéressent pas de la Cité. L’abstention est un message politique. D’abord parce qu’elle renvoie à l’inadéquation entre l’offre politique et les attentes des citoyens. Mais aussi parce que, longtemps, le vote a été davantage l’expression d’une appartenance collective que de préférences individuelles. On votait en phase avec sa communauté de travail, son parti politique, ses croyances religieuses. Ce temps est révolu, et l’abstention est à cet égard le symptôme d’une nouvelle forme de fragmentation politique. Les moins de 25 ans privilégient des formes d’engagement éphémères, loin de la politisation traditionnelle des générations plus âgées. Mais ces engagements sont plus individuels, affinitaires, identitaires que motivés par l’intérêt collectif classiquement, bêtement, ennuyeusement républicain. Il faut tirer ce fil ténu pour ramener les jeunes vers le seul levier qui permette de peser réellement sur l’action publique : le vote. Et pour cela, il faut leur redonner confiance dans la capacité transformatrice de la politique en s’attaquant à la faiblesse atavique de la démocratie : son court-termisme.
L’abstention est un message politique. Elle renvoie à l’inadéquation entre l’offre politique et les attentes des citoyens.
On peut décrire cette « tragédie des horizons » au travers de trois constats. Premier constat : un corps électoral vieillissant exprime majoritairement dans les urnes sa préférence pour le présent. Mieux vaut s’endetter aujourd’hui plutôt qu’investir et faire des sacrifices pour demain. L’exemple le plus flagrant de ce déséquilibre est le sempiternel débat autour de la réforme des retraites. Un système par répartition menacé par la diminution du nombre de cotisants (les actifs) et l’augmentation des bénéficiaires (les retraités) peut être pérennisé de trois façons : retarder l’âge de départ à la retraite (ou augmenter le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein, ce qui revient à peu près au même) ; augmenter les cotisations ; réduire les pensions de retraite. Tout le débat actuel consiste à ajuster les paramètres d’âge et le nombre de trimestres pour les actifs d’aujourd’hui, futurs retraités. Le relèvement du taux de cotisations, passé de 19,6 % pour la génération née en 1940 à 28 % pour la génération née en 2000 (non-cadres du secteur privé), n’est heureusement pas à l’ordre du jour. Mais la question du niveau des pensions des retraités actuels n’est jamais abordée. C’est même exactement l’inverse puisque les pensions ont été récemment augmentées de 5 % pour tenir compte de l’inflation, alors même que les retraités français ont un niveau de vie supérieur à celui des actifs. Ce tabou absolu est considéré comme l’archétype de la bombe électorale tandis que les jeunes et les actifs n’ont pas leur mot à dire sur la répartition des efforts entre générations. Deuxième constat : par construction, l’horizon de temps de la démocratie n’est ni l’éternité ni le bien des générations futures. Il correspond, plus prosaïquement, à la durée du mandat des élus. On peut le déplorer mais rien que de très naturel : les décisions politiques doivent avoir des effets visibles avant la fin du mandat pour que l’élu se représente dans de bonnes conditions à l’élection suivante. Troisième constat : les jeunes, qui assumeront pourtant pendant plus longtemps que les plus âgés les conséquences des choix collectifs, ne peuvent pas (car numériquement faibles) ou ne veulent pas (par lassitude) exprimer leurs préférences. Et c’est ainsi que la démocratie, bien malgré elle, dévore l’avenir. Mais, de la même façon que nous n’avons pas de Terre de rechange, nous n’avons pas de meilleur système politique à notre disposition : nous sommes condamnés à aider la démocratie à « faire de l’avenir », selon la belle formule de Paul Valéry.
Pour survivre aux multiples défis qui la menacent, la démocratie doit résister à la dictature du présent.
Bien sûr, il faut corriger les déséquilibres structurels – amplifiés par la crise du covid – dont les jeunes sont victimes (assurer une solidarité intergénérationnelle par la fiscalité, accélérer la transmission du capital entre générations, réformer en profondeur le système éducatif et universitaire, etc.). Mais il n'y a pas de fatalité à ce qu'une population vieillissante surdétermine les orientations du pays. Parce que le solutionnisme électoral (inscription automatique sur les listes électorales, vote électronique, campagnes de communication…) ne saurait augmenter massivement la participation, une décision inédite changerait radicalement la donne : renforcer le poids du vote des électeurs les plus jeunes. Deux mécanismes distincts permettraient d’atteindre cet objectif.

Le premier, serpent de mer souvent évoqué mais jamais étudié sérieusement, consisterait à abaisser le droit de vote à 16 ans. Une poignée de pays l’ont fait : Malte, la Slovénie, l’Autriche, le Brésil, Cuba. A la suite d’une requête de jeunes activistes, un arrêt de la cour suprême de Nouvelle-Zélande a estimé en novembre 2022 que les droits fondamentaux des jeunes étaient bafoués, aucune discrimination reposant sur l’âge n’étant autorisée à partir de 16 ans. Le gouvernement néo-zélandais a donc été contraint de déposer un avant-projet de loi pour abaisser la majorité à 16 ans. Lionel Jospin, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2002, avait proposé d’accorder le droit de vote à partir de 17 ans. Appliquée à la France, cette mesure inciterait les partis politiques à se préoccuper des priorités de 1,5 million d’électeurs qu’ils perçoivent trop souvent comme des adolescents immatures. C’est oublier un peu vite qu’un jeune Français peut occuper un emploi salarié à 16 ans, et donc prendre part aux élections professionnelles. À ce statut de salarié s’attache aussi la faculté de percevoir une rémunération et de payer des impôts. Le non-respect de l’un des principes fondateurs de nos démocraties libérales (on se souvient de la revendication ayant mené à la guerre d’Indépendance américaine : « No taxation without representation », « pas de taxation sans représentation ») n’empêche visiblement personne de dormir. À l’exception notable d’une sage nation européenne : en Croatie, le droit de vote est ouvert à partir de 16 ans à condition d’être salarié à plein temps. Comment, sur le plan juridique, faire passer une telle mesure ? Sans entrer dans trop de détails, l’abaissement de la majorité à 16 ans demande un vote du Parlement, selon le même processus qu’en 1974, quand la majorité est passée de 21 à 18 ans. Dans la foulée de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité moins une voix en faveur de l’abaissement de l’âge de la majorité, vote confirmé par le Sénat. 2,4 millions de nouveaux citoyens ont alors rejoint le corps électoral. On peut aussi envisager de dissocier la majorité électorale (16 ans) de la majorité juridique (qui resterait à 18 ans). Dans ce cas, une révision constitutionnelle serait indispensable.

Il existe une autre façon, beaucoup plus audacieuse et transformationnelle, d’introduire le long terme dans les urnes : le vote générationnel. Concrètement, il s’agirait de pondérer le vote en fonction de l’âge : de 18 à 35 ans (13 millions de personnes), un bulletin de vote compterait double ; entre 36 et 65 ans (25 millions de personnes), un bulletin de vote compterait pour 1,5 voix ; à partir de 66 ans (13 millions de personnes), un bulletin de vote compterait pour une voix. À taux de participation égal (une hypothèse optimiste), le vote des 18 à 35 ans pèserait encore deux fois moins que le reste de la population. Cette décision aurait au moins trois effets : forcer les partis politiques à inscrire leurs propositions dans une logique de long terme ; inciter, par émulation, toutes les catégories d’âge à voter ; donner aux jeunes – par nature ceux qui ont le plus de droits sur l’avenir – une responsabilité éminente dans les choix structurants du pays. C’est d’ailleurs en raison de ce dernier argument (faire droit aux générations en devenir) que Michel Debré avait proposé en 1973 d’accorder plus de poids au vote des pères de famille. À ce jour, les seuls pays qui ont introduit une notion d’âge dans le code électoral l’ont fait par défaut : au Luxembourg, au Pérou ou en Équateur, le vote est obligatoire avant de devenir facultatif à partir de 80 ans. Bien sûr, de multiples objections surgissent immédiatement : rupture d’égalité, ouverture de la boîte de Pandore catégorielle, etc. L’objection la plus fondamentale tient à l’acceptation du principe majoritaire : si chaque voix n’a pas le même poids, comment faire accepter le résultat d’un vote ? C’est pourquoi un changement aussi radical ne peut venir que d’un processus de délibération minutieuse au terme duquel l’adhésion des citoyens aura été éprouvée. Sur le plan institutionnel, une telle réforme touchant au principe d’égalité entre citoyens ne pourrait voir le jour qu’après un vote des parlementaires réunis en Congrès ou un référendum qui validerait un projet de loi adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. On peut imaginer que des élections locales permettent ensuite d’expérimenter le vote générationnel. La Nouvelle-Calédonie offre ici un précédent intéressant. À deux reprises, en 1998 et 2007, la Constitution a été révisée pour introduire une disposition inédite par laquelle le droit de vote aux référendums sur l’avenir du territoire ne pouvait s’exercer qu’à la condition de justifier de dix ans de résidence. Pour répondre à une situation exceptionnelle, une rupture d’égalité devant le vote a donc déjà été actée dans la Constitution. On peut, de la même manière, répondre à la crise démocratique profonde que nous vivons par une décision tout aussi exceptionnelle. Les plus de 65 ans, conscients de leur position singulière de babyboomers privilégiés, ne verraient pas forcément avec hostilité ce changement, opéré au profit de leurs enfants et petits-enfants et sans que leur situation matérielle ou fiscale en soit affectée.

Pour survivre aux multiples défis qui la menacent, la démocratie doit résister à la dictature du présent. Bien que fragile, elle n’est pas un patrimoine fossilisé à sauver des griffes de méchants contrebandiers. C’est un principe de vie collective et un processus inachevé, en réinvention permanente. Rajeunir le corps électoral, en « introduisant le futur dans la conduite du présent », comme l’exprime très justement Pierre Rosanvallon, répond à cet enjeu vital. Ne nous y trompons pas, le monde qui vient n’est pas fini : il n’a jamais été aussi ouvert. Les temps héroïques sont devant nous. Un héroïsme du quotidien, moins spectaculaire que celui de nos grands anciens, mais tout aussi indispensable. Celui qui consiste à réaffirmer, chaque fois que l’occasion se présente, notre foi dans un petit carré de papier glissé dans une modeste boîte. Au fond, nous n’avons pas le choix, il faut aimer la fragilité de ce petit carré de papier. C’est notre seule arme pour défendre la plus belle conquête de l’ère moderne : la liberté.

 

Frédéric Monlouis-Félicité, diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, titulaire d’un MBA de l’INSEAD et ancien auditeur de l’Institut des hautes études de la défense nationale, a débuté sa carrière en tant qu’officier avant de rejoindre le monde de l’entreprise. Il a dirigé l’Institut de l’entreprise, think tank dédié à l’analyse des politiques publiques et à la prospective économique. Il a été rédacteur en chef de la revue Sociétal (éd. Eyrolles). Il est actuellement cadre dans une grande entreprise française. La Guerre des générations aura-t-elle lieu ? est paru aux éditions Les Belles Lettres en octobre 2022....

Entre l’abstention des plus jeunes et l’influence électorale des plus anciens, un déséquilibre se crée, qui fragilise la démocratie. Peut-être est-il temps de repenser le poids à donner à chaque vote. « Dans un proche avenir, si le régime démocratique se maintient, les vieux seront les rois. C’est mathématique, voyez-vous. Majorité des votes. En effet, que nous apprennent les statistiques ? Qu’on ne meurt plus aujourd’hui à 50 ans mais à 80, et demain à 100 ans ! Parfaitement. Imaginez donc un peu le nombre impressionnant de vieux que cela va donner et le poids qu’ils auront sur le gouvernement. La dictature du prolétariat touche à sa fin et fera place à la dictature des vieux. » En 1969, Adolfo Bioy Casares, le grand écrivain argentin et comparse de Borges, mettait ces mots dans la bouche de Faber, l’un des protagonistes (âgés) de son Journal de la guerre au cochon (éd. Robert Laffont). Dans un Buenos Aires livré au chaos, les jeunes font la chasse aux vieux sans qu’aucun motif déterminant n’émerge vraiment pour justifier leur vindicte. Jeu cruel, ressentiment, revanche sociale ? Mystère. Les plus âgés en sont réduits à se terrer et à échafauder des conjectures pour tenter de comprendre les raisons de cette haine. Un demi-siècle après la publication du roman, la prophétie de Faber serait-elle en passe de se réaliser ? Et surtout, à quoi sommes-nous prêts pour faire mentir la fiction ? Le vieillissement de la population n’a pas seulement des conséquences démographiques qui affectent les grands équilibres macroéconomiques comme le système des retraites ou le…

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