Babylon Sunset

Sophie Rosemont

Soudain, le cinéma se mit à parler, et la terre trembla. Du moins celle d’Hollywood, qui, en un temps record depuis la création du 7e art en France et son exportation sur le sol américain, plonge corps et âmes dans les dollars et la dépravation. Face au changement de paradigme photographique, en 1926, il faut cependant vite reprendre ses esprits. Pas évident lorsqu’on est sous cocaïne ou ivre mort du matin au soir… C’est le cas de Nellie LaRoy (Margot Robbie), sortie des bas-fonds pour devenir une actrice aussi vulgaire que charismatique, et Jack Conrad (Brad Pitt), superstar a priori intouchable et indécrottable serial lover. Leur point commun ? Manny Torres (Diego Calva), jeune Mexicain ambitieux recruté comme homme à tout faire par le second et tombé fou amoureux de la première. À ses risques et périls…

Après la romance d’un La La Land sous influence de Jacques Demy et un spacio-contemplatif First Man, Damien Chazelle retrouve le ton plus grinçant de Whiplash, prenant un malin plaisir à filmer les scandaleuses années folles. Jusqu’à l’excès nauséabond : en témoignent un éléphant diarrhéique mandaté pour une soirée orgiaque ou le personnage incontrôlable de Margot Robbie qui vomit à la face d’un businessman. Cette dernière, cependant, anime aussi l’une des séquences les plus épatantes (et drôles) de Babylon : celle d’un des premiers tournages de film parlant.

Le chaos règne en maître dans ce très long métrage volontairement boursouflé par endroits.

Suscitant l’hystérie, la moindre intrusion sonore sur le plateau raconte en sous-texte les enjeux de cette transformation. Laquelle a déjà été traitée maintes fois, notamment dans The Artist de Michel Hazanavicius, couronnant par la même occasion Jean Dujardin d’un Oscar. Il n’est pas certain, en revanche, que Chazelle, pourtant abonné gagnant à cette prestigieuse cérémonie, rafle des récompenses. Certes, son Babylon est virtuose, la caméra virevoltante, les décors sont à tomber, et le jazz du compositeur complice Justin Hurwitz s’avère tribal et hypnotique. Or, le chaos règne en maître dans ce très long métrage volontairement boursouflé par endroits.

Résonnent également dans le film des échos du cinéma d’hier à d’aujourd’hui : Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly, Sunset Boulevard de Billy Wilder… Mais la plus touchante des allusions est sans doute la scène où Nellie LaRoy-Margot Robbie se rend à la projection de son premier film, se regarde elle-même jouer sur grand écran, savourant les réactions des spectateurs. Il s’agit à la fois d’un clin d’œil et d’un hommage au Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, où l’on voit Sharon Tate-Margot Robbie s’introduire en catimini dans une salle de cinéma et se réjouir des rires fusant autour d’elle. Ce n’est pas la seule similitude entre la dernière œuvre en date de Tarantino et le nouveau bébé de Chazelle : la violence faussement gratuite, le parti pris pop, les larges cadrages, la multiréférentialité, la mise en scène d’un Hollywood à une époque aussi transitoire que cruciale (les années 1930 d’un côté, la fin du Summer of Love de l’autre) et, enfin, l’emploi de Robbie et Pitt pour des rôles clé.

Les seconds rôles, eux, brillent par leurs signifiants sociopolitiques. Sidney Palmer, remarquablement incarné par Jovan Adepo, trompettiste afro-américain qui passe de l’orchestre de fêtes hollywoodiennes au premier plan du plateau, essuyant au passage le racisme bien ordonné des mentalités soi-disant tolérantes. Elinor St. John (formidable Jean Smart) est une journaliste people à une époque où la presse pouvait encore assister à des tournages et dire du mal des comédiens jusqu’à les jeter dans la tombe. Overdoses et suicides allaient bon train… S’il dénonce les dérives d’une usine à rêve devenue rouleau compresseur, Babylon n’en demeure pas moins une magnifique déclaration d’amour au cinéma, et rappelle, via une réplique de Brad Pitt, qu’il est ouvert à tous, pas seulement aux intellectuels ou à la bourgeoisie. À l’instar des blockbusters de super-héros, eux-mêmes déstabilisés par des salles désertées, Babylon réussira-t-il à rassembler autant que La La Land ?

 

Babylon, de Damien Chazelle, avec Brad Pitt, Margot Robbie et Diego Calva, 3 h 9, sortie en salles le 18 janvier.



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