Dans l’obscurité des salles

Michel Palmieri

Il y a beaucoup de bonnes raisons de préférer voir les films chez soi plutôt que dans les salles de cinéma, mais elles sont toutes mauvaises. Voilà ce dont aimeraient convaincre les cinéastes, les producteurs·trices, les distributeurs·trices, et plus encore les responsables de multiplexes ou d’établissements indépendants. Fragilisée par la crise sanitaire, les fermetures ou les restrictions (les dernières contraintes, port du masque et pass vaccinal complet exigés, n’ont été abrogées que voilà moins d’un an), l’industrie toute entière s’inquiète. Et le fait savoir par la voix de différentes instances plus ou moins représentatives.

Même si les intérêts de tous ne sont pas toujours convergents – voire parfois même antagonistes – tous ceux que Jean-Luc Godard avait naguère baptisés les professionnels de la profession, se sont réunis en octobre dernier pour réclamer la tenue d’états généraux du cinéma. Pendant quatre heures, les intervenants ont dénoncé l’absence d’une politique culturelle adaptée aux exigences nouvelles d’un univers bouleversé par le surgissement des plateformes. Peu de propositions concrètes mais une lancinante évocation des jours heureux, ces années 1980 où, depuis son puissant ministère de la Culture, Jack Lang multipliait les initiatives en faveur de la création française, cinématographique notamment. Très symboliquement, c’est dans le palais républicain de l’ancien ministre, l’Institut du monde arabe, que se tenait cette réunion. Dans son discours d’ouverture, Jack Lang n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler à l’assistance émue les principales actions entreprises durant ses années rue de Valois. Le bon temps.

Tour à tour, les orateurs ont dénoncé les propos d’Emmanuel Macron appelant à diversifier la destination des salles de cinéma, incitées ne pas se limiter à la projection de films, la reconduction à la tête de Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) du très controversé Dominique Boutonnat – mis en examen pour agression sexuelle – ainsi que la suppression de la redevance, qui jette une ombre sur la capacité des chaînes publiques à investir dans les futurs projets cinématographiques. Absentes et non représentées, les autorités de tutelle, CNC et ministère de la Culture, n’ont pu apaiser les inquiétudes.

Un silence qui s’est fait de plus en plus pesant au fil des mois : à ce jour, cette demande d’un Grenelle du cinéma n’a pas été entendue par les pouvoirs publics.

Le 2 janvier dernier, le CNC a signifié, en creux, une fin de non-recevoir en publiant des chiffres de fréquentation des salles jugés encourageants : 152 millions d’entrées en 2022, soit une croissance de près de 60 % par rapport à l’année précédente. Un optimisme à relativiser tout de même. D’abord parce que la comparaison est biaisée : en 2021, les salles avaient été fermées pendant plus de quatre mois (138 jours). Ensuite parce que, si l’on prend pour référence la dernière année pré-covid (2019), le résultat est nettement moins triomphal : près de 27 % de spectateurs en moins. Les absents se seraient-ils réfugiés sur les plateformes ? À cette déplaisante hypothèse, le CNC en préfère une autre : « le déficit de fréquentation observé en 2022 […] s’explique en partie par le manque de titres porteurs. » Au-delà, le communiqué insiste plutôt sur les raisons d’espérer : une situation plus favorable que celle qui prévaut dans la plupart des pays comparables, une « dynamique positive » avec l’accélération du retour des spectateurs vers les salles au dernier trimestre 2022 ou encore la bonne tenue des films français (40,9 % du marché contre 40,5 aux films américains).

Bref, pas de quoi s’inquiéter, l’avenir promet d’être radieux. D’autant qu’est programmée pour le premier trimestre 2023 une cascade de grosses productions, françaises et américaines, propres à stimuler le désir des spectateurs de tous âges : dès ce mois de février, on pourra voir le énième opus tiré des aventures d’Astérix et Obélix, L’Empire du milieu, réalisé par (et avec) Guillaume Canet, la suite de Alibi.com, astucieusement titrée Alibi.com 2, de et avec Philippe Lacheau ou Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, le nouveau Marvel réalisé par Peyton Reed. En mars, suivront un film d’animation, Super Mario Bros, le film, déclinaison cinématographique du jeu vidéo, et Shazam ! La Rage des dieux, deuxième aventure du super-héros mise en scène par David F. Sandberg. Et en avril, deux productions françaises à fort potentiel : une adaptation du célèbre roman d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, dirigée par Martin Bourboulon et La Vie pour de vrai, de et avec Dany Boon.

Aussi réconfortante que puisse être cette chronique de succès annoncés, une approche exclusivement quantitative ne peut prétendre épuiser le débat sur l’avenir du cinéma en France. La profession y est prête, les politiques ne sauraient s’y dérober.



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