La voix royale

Nicolas Roux-Chaykine

Ne cherchez plus ! The Voice, c’est lui. Quand d’autres travaillent leurs pectoraux ou le velouté de leur regard, André Dussollier a fait de sa voix sa signature. Son timbre, chaud et profond, nous réconforte. Son débit prudent, comme s’il avait toujours l’air de douter de quelque chose – ce quelque chose étant plutôt quelqu’un, lui le plus souvent – nous rassure. Cette inquiétude sincère, cette hésitation permanente – « Attention, prévenait son ami Pierre Arditi, un non d’André Dussollier ne veut pas forcément dire oui » – ne l’ont pas empêché d’avancer, de s’imposer sur les scènes et les écrans, passant du cinéma d’auteur aux comédies populaires, de François Truffaut à Jean-Michel Ribes, de Anne Fontaine à Jean-Paul Rappeneau, de Claude Sautet à Coline Serreau, sans que ni les uns ni les autres ne lui en tiennent rigueur. Ce qui est en soi un exploit. Sa capacité à se réinventer, il l’a prouvée en multipliant les rôles : autour de 150 personnages au cinéma (il y en avait trop, on s’est perdu dans les comptes) depuis le début des années 1970, et plus d’une vingtaine de pièces. Et, puisqu’on en est au bilan comptable, ajoutons à ça, trois César et un Molière. Et rappelons, bien sûr, qu’il est la voix du narrateur du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.

Au-delà du catalogue lacunaire des multiples lauriers glanés en un demi-siècle de carrière, connaît-on vraiment André Dussollier ? Le comédien réussit depuis des années l’exploit paradoxal d’être tout à la fois omniprésent et discret. Même si, au fil des interviews promotionnelles, il avait bien dû livrer, ici ou là, quelques éléments biographiques, évoquer son enfance un peu morose de fils unique en Haute-Savoie, ses études de lettres pour fuir le carcan familial ou son séjour météorique – un an – à la Comédie-Française, il conservait une part de mystère incongrue en ces temps de réseaux sociaux triomphants. Avec son nouveau spectacle, Sens dessus dessous, il se raconte un peu.

Pour autant, n’allez pas imaginer qu’il se confesse avec l’impudeur de notre époque. Pour se découvrir un peu, il prête sa voix à d’autres que la sienne. Sa pièce est un canevas de textes de grands auteurs. Ceux qui ont tracé son itinéraire poétique. On y croise Victor Hugo et Roland Dubillard, Louis Aragon et Sacha Guitry. Et bien d’autres encore, appartenant à tous les genres et tous les siècles. La seule chose qui les relie entre eux, leur seul point commun, c’est André Dussollier et son amour pour eux. Et comment mieux se dévoiler qu’en disant ce qui nous touche ?

C’est peut-être la plus grande différence avec les spectacles, brillants, de Fabrice Luchini, qui lui aussi aime à souligner la beauté des mots des autres. Les textes qu’il reprend, André Dussollier ne paraît pas les avoir choisis uniquement pour leur puissance, pas plus qu’il ne prétend faire œuvre didactique en nous aidant à construire une bibliothèque idéale. Plus modestement, il s’agit pour lui de confesser une résonance. Comme si sa voix était là pour nous raconter l’écho que ces auteurs suscitent en lui. Comme s’il se disait, à voix haute, « moi, ça me touche, et vous ? ».

Le plus remarquable dans ce spectacle, dont le titre est emprunté à Raymond Devos, c’est ce qui en reste au tombé du rideau. Le sentiment, non d’avoir découvert André Dussollier, mais de l’avoir confirmé, reconnu. Tout ce qu’on pressentait de lui est là. Les doutes, l’élégance, l’angoisse, la pudeur, la séduction, la drôlerie. Un homme solitaire, libre, seul en scène, mais qui a l’envie et le goût des autres. Rien de professoral chez ce maître, de sorte qu’on ne se sent jamais intimidé ou trop petit. Même devant les plus grands. Il nous les présente avec gourmandise. Comme ces amis qui vous font rencontrer des gens parce qu’ils sentent que vous vous entendrez bien. Et qui ne se trompent pas.

Alors, on aurait pu, bien sûr, souligner encore la qualité de jeu d’André Dussollier. Cette habileté nécessaire pour passer d’un registre à l’autre, du grave au léger, avec cette suavité qui lui est naturelle. Parler de la grâce et de l’intelligence de ce comédien qui tend un fil, tordu et sinueux, et marche dessus, en funambule prodigieux. On aurait pu, c’est vrai, raconter, comment André Dussollier travaille de manière acharnée. François Truffaut, qui l’avait repéré au théâtre et lui a offert son premier rôle au cinéma, lui avait dit :« vous êtes le seul acteur, avec Michel Bouquet, qui répète les scènes même après les avoir tournées ». Mais ça, on suppose que si vous ne le saviez pas déjà, vous l’aviez deviné.

 

Sens dessus dessous, au théâtre des Bouffes Parisiens, Paris 2e, jusqu’au 25 mars.



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