Meta vers l’au-delà

Delphine Sabattier

Facebook affiche près de trois milliards d’utilisateurs actifs mensuels. Pourtant son fondateur l’a condamnée au déclin.

 

Lourd : 80 % des amendes infligées par l’Union Européenne pour violation des règles sur la protection des données en 2022 ont frappé le groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Meta Quest). Et la nouvelle année ne démarre pas mieux : 390 millions d’euros réclamés encore pour la manière dont Facebook et Instagram ont traité des données à caractère personnel à des fins de publicité ciblée. À cela, on peut ajouter les 725 millions de dollars que Meta a accepté de verser pour refermer le dossier Cambridge Analytica, où la collecte de données de millions d’usagers avait été opérée sur Facebook à des fins de manipulation électorale en pleine campagne présidentielle américaine. Un scandale difficile à digérer, mais pas autant que les révélations qui ont suivi… touchant cette fois les utilisateurs du monde entier.

Facebook résistera-t-il à la tempête soulevée par l’ingénieure informaticienne Frances Haugen, ancienne cheffe de produit, partie de l’entreprise emportant avec elle des milliers de documents internes ?

Les attaques sont violentes. Elle accuse l’entreprise californienne de privilégier « le profit à la sûreté » de ses utilisateurs. Preuves à l’appui. Frances Haugen démontre que son réseau social Instagram peut être délétère chez les jeunes. On découvre que le groupe étudiait depuis trois ans ses effets sur les adolescents. Parmi les conclusions de l’entreprise, cet aveu : « Nous aggravons les complexes physiques d’une jeune fille sur trois ». Ou encore : « Les ados accusent Instagram d’augmenter les niveaux d’anxiété et de dépression ».

Deuxième bombe : Facebook représente un danger potentiel pour la démocratie, ses algorithmes contribuant à la diffusion de contenus négatifs, extrêmes, aux discours haineux et à la désinformation. La lanceuse d’alertes brocarde la responsabilité de Facebook dans les émeutes du Capitole, le 6 janvier 2020 à Washington. Elle pointe également une forme d’insouciance (!) de la plateforme quant à son rôle dans l’exacerbation des tensions ethniques dans certains pays étrangers.

 
À l’évidence, malgré les scandales, le point de rupture n’a pas été atteint puisque les utilisateurs sont toujours là.

 
On a presque envie de dire « N’en jetez plus » ! Mais tout doit être entendu. En outre, son témoignage bénéficie d’une attention inédite dans le monde. Sa présentation au Parlement européen a, par exemple, alimenté les travaux de la commission sur le DSA (Digital Services Act), ce nouveau règlement appliqué aux services numériques qui entrera en vigueur au 1er septembre de cette année.

En quelques mois, Facebook est devenu le symbole des dysfonctionnements d’un réseau social. Tombé en disgrâce ? Pas si vite.

Les coups s’abattent sur Meta, mais les bénéfices nets en 2022 se compteront en dizaines de milliards de dollars. À l’évidence, le point de rupture n’a pas été atteint puisque les utilisateurs sont toujours là. Mark Zuckerberg peut se féliciter d’avoir conçu « l’un des produits les plus utilisés dans l’histoire du monde », selon ses mots. Voilà qui offre une sacrée force d’inertie !

Malgré tout, Frances Haugen espère que ses Facebook Files permettront de « faire évoluer le géant des réseaux sociaux sur ses pratiques ». À condition que Mark Zuckerberg lâche le manche : « Je pense que Facebook serait plus fort avec quelqu’un qui serait prêt à se concentrer sur la sécurité, donc oui, il doit démissionner », affirme l’ex-employée. En effet, on ne doit pas minimiser le poids de Mark Zuckerberg dans les décisions qui sont prises. PDG fondateur, président du conseil d’administration avec la majorité des voix, il contrôle l’ancien fer de lance de Meta et en est le visage. Or, il a fait savoir qu’il n’avait aucunement l’intention de démissionner.

Dans ce contexte, est-il possible de réformer Facebook ? Peut-on modifier son modèle, au cœur de tous les problèmes soulevés, alors que l’économie de l’attention et la capacité d’influence sont consubstantielles au réseau social ? Le groupe en a-t-il seulement l’intention ? Ce n’est pas ce que je lis dans le virage vers les métavers. Ce pivot atteste selon moi d’une volonté, non de changer Facebook, mais d’en détourner les regards. Vers de nouveaux Horizon Worlds [nouveau nom de Facebook Horizon, un jeu en réalité virtuelle développé par Meta].

Jusqu’où les dérives ont-elles écorné l’image de Facebook, peut-on se demander. À quel point la gouvernance sclérosée de l’entreprise l’enferme-t-elle dans son passé ? Le jour où Mark Zuckerberg a décidé de changer le nom du groupe, d’effacer sa marque historique au profit d’un autre futur – « En grec, meta veut dire “au-delà” » a-t-il expliqué –, il a porté le coup de grâce à Facebook, transformant sa vache-à-lait en dinosaure. Une relique désormais dans l’ombre de Meta. Un pied dans l’au-delà.

 

Delphine Sabattier est journaliste, experte des enjeux numériques et technologiques. Elle explore et vulgarise ces sujets de transformation de la société et des écosystèmes à travers des éditoriaux et son émission « Smart Tech » sur la chaîne B Smart....

Facebook affiche près de trois milliards d’utilisateurs actifs mensuels. Pourtant son fondateur l’a condamnée au déclin.   Lourd : 80 % des amendes infligées par l’Union Européenne pour violation des règles sur la protection des données en 2022 ont frappé le groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Meta Quest). Et la nouvelle année ne démarre pas mieux : 390 millions d’euros réclamés encore pour la manière dont Facebook et Instagram ont traité des données à caractère personnel à des fins de publicité ciblée. À cela, on peut ajouter les 725 millions de dollars que Meta a accepté de verser pour refermer le dossier Cambridge Analytica, où la collecte de données de millions d’usagers avait été opérée sur Facebook à des fins de manipulation électorale en pleine campagne présidentielle américaine. Un scandale difficile à digérer, mais pas autant que les révélations qui ont suivi… touchant cette fois les utilisateurs du monde entier. Facebook résistera-t-il à la tempête soulevée par l’ingénieure informaticienne Frances Haugen, ancienne cheffe de produit, partie de l’entreprise emportant avec elle des milliers de documents internes ? Les attaques sont violentes. Elle accuse l’entreprise californienne de privilégier « le profit à la sûreté » de ses utilisateurs. Preuves à l’appui. Frances Haugen démontre que son réseau social Instagram peut être délétère chez les jeunes. On découvre que le groupe étudiait depuis trois ans ses effets sur les adolescents. Parmi les conclusions de l’entreprise, cet aveu : « Nous aggravons les complexes physiques d’une jeune fille sur trois ». Ou encore : « Les ados accusent Instagram d’augmenter les niveaux d’anxiété et de dépression ». Deuxième…

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