La consolation des imbéciles

Thomas Louis

La narratrice d’Inconsolable évolue à travers les pages comme une fille qui sait que « les mots ne pourront rien ». La mort du père, cet événement qui a bouleversé son quotidien, Adèle Van Reeth l’annonce dès la première phrase : « j’entre ici en perdante ». Inconsolable. Voilà, il n’y a rien à faire contre ce qui n’est plus. Alors quoi ? Alors, il faut se mouler sur la tristesse. Ou peut-être l’inverse. Dans ce récit, qui se déploie au fil des saisons, la narratrice raconte ce quotidien qui change quand la mort de son père se profile à l’horizon.

Le point de départ de cette histoire est la maladie, rapprochant un père de sa fille, pourtant isolés par des centaines de kilomètres. Aussi fort qu’elle aimerait échapper à ce drame, elle sait que la mort de son père est inéluctable. Alors quoi, encore ? Alors il faut se donner une contenance. Et tenter de vivoter, dans les interstices de la souffrance. Au fil des pages, elle capte tout ce qui gravite autour de cet événement intime. La pandémie, la mort, l’après-mort, l’arrivée d’un chat dans le foyer, la naissance d’un nouveau-né. La vie qui fait son œuvre. Il y a une histoire. Pourtant, il ne se passe rien. Mort du père annoncée. Mort du père. Et voilà.

De temps à autre, le Manuel d’Épictète tourne autour des phrases. Cet ouvrage stoïcien de référence pourrait, à certains égards, être perçu comme une méthode vers le bonheur, qui n’a pas échappé à la narratrice d’Inconsolable. Pour Épictète, certaines choses dépendent de nous, d’autres non. Simple, efficace. Ainsi, il faudrait lâcher prise sur les choses que l’on ne contrôle pas et travailler sur les autres. Comme le jugement que je porte sur un événement de ma vie. La mort d’un père, par exemple ?

Dans Inconsolable, la fille s’adresse parfois à son papa, comme on lance un ballon dans les airs. Un papa qui n’existe plus mais à qui l’on parle quand même – on ne peut s’en empêcher. Qui le pourrait ? On réalise alors que vivre, c’est aussi attendre. Un père malade qui meurt, c’est « la libération du calvaire et la tristesse pour l’éternité ». Plus jamais tout, plus jamais rien. La solitude comme seule parente. C’est d’ailleurs un livre sur ça, aussi, la solitude d’un cœur d’enfant plus jamais aimé. Car, quoiqu’on en dise, l’amour n’existera plus. Seul son souvenir perdure.

Être inconsolable, c’est aussi comprendre ce que mourir veut dire. Lorsque son père part, il faut se trouver une nouvelle place sur terre. Adapter sa présence au monde, comprendre comment faire pour vivre non pas mieux, non pas moins bien, mais autrement, avec cet événement, tristement banal. Bien sûr, un père malade, c’est une mort privée, pas une mort dont on parle dans les journaux. Du livre, on aimerait souligner, apprendre, retenir, utiliser les phrases comme si le plus intime des moments devenait un objet de partage. Précisément parce qu’être inconsolable, c’est être le plus humain des humains. Le plus vivant des vivants. Dans le livre, la fille commence à le comprendre lorsqu’elle prend conscience que les gestes les plus élémentaires pour l’enfant qu’elle était – faire un câlin – ne peuvent plus être reproduits. L’acte consolatoire par excellence n’est plus possible.

Et pourtant, Inconsolable n’est pas un livre pessimiste. C’est un livre qui se pose des questions, qui se questionne même peut-être lui-même. C’est la beauté de l’écriture. Mais la mort éclaire la limite de tout, même de l’écriture. La mort. C’est quelque chose qu’on ne peut représenter. Il faut le vivre. Il n’y a rien à dire de la mort. On n’en connaît rien, on ne sait rien d’elle. Elle n’est rien, puisque du rien, elle se compose. C’est le Rien le plus banal au monde. Alors quoi, à la fin ? Alors, on ne peut pas venir consoler la narratrice (a-t-elle seulement envie de l’être ?), elle est seule, entourée mais sur une île déserte. Elle écrit en caressant son chat, en dorlotant son enfant, elle remplit ce vide de mots, d’une petite réalité qui peine face à ce qui est vraiment. Elle est même inutile. Les livres ne pourront rien face au chagrin, car de consolation, il n’y a pas. Alors, pourquoi écrire ? Pourquoi essayer de nommer ce manque qui est perdu d’avance ? Pour nous rappeler que face à la perte, la tristesse est là. Elle change, se manifeste plus ou moins, selon les moments. Mais elle reste. Et c’est très bien comme ça.

 

Inconsolable, d’Adèle Van Reeth, éd. Gallimard, 208 p.,18 €.



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews