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Frédéric Rollin
La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine a entraîné une reconfiguration de l’échiquier mondial.
Le 24 février 2022, la Russie lançait son « opération militaire spéciale » et envahissait l’ouest de l’Ukraine. La guerre commençait, avec son cortège de désastres, de souffrances incalculables et de menaces nucléaires. Malgré la violence de l’attaque et l’importance des destructions, les Ukrainiens ont tenu bon. Après douze mois de combats féroces, le front s’est stabilisé. Douze mois… un bien triste anniversaire. En un an, l’Ukraine a beaucoup souffert et en a certainement été radicalement transformée. Mais comment le reste du monde a-t-il été affecté ?
L’Otan, réputée « en état de mort cérébrale », a retrouvé une seconde jeunesse. Elle s’est rapidement regroupée et défend énergiquement l’Ukraine, la plupart des pays de l’Est coopérant activement. Les pays d’Europe occidentale ont redynamisé leurs dépenses militaires. Au nord, la Finlande et la Suède ont enfin demandé leur adhésion, promettant d’élargir le front nord de l’Alliance en lui offrant un œil sur l’Arctique.
La Russie, de son côté, se trouve affaiblie économiquement et militairement. Les sanctions pénalisent son industrie, son armée a perdu beaucoup d’hommes, de matériel et une grande partie de sa réputation. Sa situation géopolitique s’est dégradée. L’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), équivalent de l’Otan centré sur Moscou, traverse une crise. L’Arménie a déclaré qu’elle n’accueillerait pas les exercices prévus par l’organisation, furieuse que la Russie ne la soutienne pas contre l’Azerbaïdjan. Elle s’est même tournée vers l’Union européenne pour obtenir de l’aide. L’Azerbaïdjan approfondit ses liens avec la Turquie et cherche à renforcer ses exportations d’énergie vers l’Europe.
Les États-Unis et leurs principaux partenaires européens n’ont pas été en mesure de construire une coopération universelle pour contrer économiquement la Russie.
Trop confiants dans le « nouvel ordre mondial », qui montrait pourtant de sérieux signes de vieillissement que nul ne pouvait ignorer, les Européens ont délégué leur politique énergétique à la Russie. Les coupures de Gazprom puis le conflit ont renversé l’échiquier. Le coût de cette erreur stratégique est massif, mais l’Europe s’adapte rapidement en réorganisant son approvisionnement et en investissant dans des terminaux de gaz liquéfié. À plus long terme, la transition des hydrocarbures vers les énergies faiblement émettrices de CO2 s’en trouve accélérée avec un plan de plusieurs centaines de milliards. Même le nucléaire retrouve la faveur des politiques et des populations.
Mais arrêtons de rêver, « la fin de l’histoire », c’est terminé. Le monde est instable et l’indépendance énergétique est essentielle.
Ce conflit a révélé la nature essentiellement multipolaire du monde. Les États-Unis et leurs principaux partenaires européens n’ont pas été en mesure de construire une coopération universelle pour contrer économiquement la Russie. Désormais, les puissances moyennes naviguent librement entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, sans choisir un camp. L’Inde, par exemple, a pu souscrire aux sanctions occidentales tout en achetant du pétrole russe à prix cassé. Mieux, la Turquie a pris une place géopolitique centrale. Au cours de l’été 2022, le pays a négocié l’accord d’exportation de céréales entre la Russie et l’Ukraine, éliminant un risque majeur sur la sécurité alimentaire mondiale. La Turquie, puissance intermédiaire, exploite depuis longtemps les opportunités offertes par ce monde multipolaire. Au cours des dernières années, le pays s’est affirmé militairement en Irak et en Syrie, a intensifié son implication en Méditerranée orientale, bloque l’expansion de l’Otan et adopte un système de défense aérien russe tout en conservant ses liens militaires profonds avec l’Europe et les États-Unis.
Les relations entre la Chine et la Russie sont testées. Pékin, allié potentiel de Moscou, refuse de lui apporter son aide militaire. Mettons ceci sur le compte du cynique adage « Mieux qu’un ami, un client ». De plus, la Chine préfère probablement « laisser du temps au temps », car les sanctions occidentales poussent l’économie russe dans ses bras. Alors que les exportations de l’Europe et des États-Unis vers la Russie se sont effondrées depuis l’invasion, celles de la Chine prospèrent… D’après les estimations de l’Institute of International Finance publiées le mois dernier, Pékin est devenu de loin le premier partenaire commercial de Moscou.
Février avance, la température baisse, le sol devrait geler. Les véhicules blindés vont de nouveau pouvoir se déplacer et la guerre entrera dans une nouvelle phase. Difficile à ce stade de faire des prévisions sur l’issue des combats. D’un côté, la Russie mobilise massivement et devrait être capable de jeter dans le combat des centaines de milliers d’hommes lors d’une nouvelle offensive. Ça compte, mais une logistique efficace fait défaut à l’armée russe. Et les Ukrainiens ont de solides cartes en main : motivation inoxydable, armement occidental, isolement de la Crimée après l’explosion du pont de Kertch et couloir de Crimée à portée d’artillerie. La guerre semble donc partie pour durer, hélas. Et le monde en sera durablement transformé....
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