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Jean-Vincent Bacquart
Retrouver les origines obscures du canular du 1er avril demande de jeter nos filets dans les flots de l’histoire.
La première véritable trace de poisson printanier apparaît en 1466 dans le poème en vieux français Doctrinal du temps présent d’un certain Pierre Michault, prêtre et secrétaire du duc de Bourgogne. À cette date, le poisson d’avril n’est encore qu’un jeune garçon servant d’entremetteur pour porter les lettres d’amour de son maître à une dame… Et il faudra attendre deux siècles de plus pour que l’expression désignant la farce que l’on fait à autrui soit enfin imprimée dans les colonnes de la deuxième édition du Dictionnaire de l’académie françoise (1718). Bien que l’on trouve à travers le monde, et depuis l’Antiquité, les preuves de nombreuses fêtes, notamment religieuses, donnant lieu à des débordements joyeux ou à des moqueries, la genèse du poisson d’avril telle que nous la connaissons est sujette à spéculations.
Parmi les multiples pistes envisagées, on désigne souvent les réformes calendaires de la fin du XVIe siècle comme sources probables de cette plaisanterie maritime. Alors qu’avant cette époque, dans de nombreuses contrées, la nouvelle année débutait souvent aux alentours de la fin mars, décision est prise de se caler définitivement sur le 1er janvier. Emboîtant le pas à l’empereur Charles Quint, le roi de France Charles IX promulgue en ce sens l’édit de Roussillon le 9 août 1564. En 1582, c’est au tour du pape Grégoire XIII d’imposer la réforme à l’ensemble du monde catholique, instaurant par là-même le calendrier grégorien. La tradition du poisson blagueur serait ainsi née durant cette période de transition afin de rappeler humoristiquement aux étourdis vivant encore à l’heure de l’ancien calendrier dit Julien – en référence à son auguste promoteur, Jules César – que les temps avaient changé.
D’un poisson à l’autre, certains ont également vu dans la tradition du fantasque 1er avril le rappel de la fin du carême, période où les chrétiens privilégient le poisson au détriment de la viande. Bien que non confirmée, cette hypothèse est naturellement renforcée par le souvenir du poisson qui servait de symbole de ralliement aux premiers chrétiens. En effet, à une époque où les tenants de cette nouvelle religion voulaient rester discrets, les lettres formant l’Ichthus grec servaient d’acronyme pour désigner « Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur ». Et puis, de « poisson d’avril » à « passion d’avril », il n’y a qu’une lettre de différence que certains folkloristes ont remplacée pour nous emmener à nouveau vers les sources du christianisme.
Ce qu’il y a de remarquable avec les origines du poisson d’avril, c’est que faute de certitudes, chacun peut faire son « marché » selon ses aspirations. Et l’étalage est fourni. À ceux qui boudent les approches religieuses et préfèrent les explications prosaïques, pourquoi ne pas voir dans cette tradition le rappel d’une époque où avril – à condition d’être dans le bon hémisphère ! – annonçait le printemps et l’ouverture de la saison de la pêche. Il est vrai qu’à l’appui de cette idée, on trouve trace dans certaines régions de « victimes » du 1er avril affublées malgré-elles d’un véritable poisson malodorant… À moins que l’image du poisson ne renvoie à cet hameçon auquel les étourdis et les crédules mordent si facilement ? Ou qu’il s’agisse d’une référence astrologique mettant en avant le signe du poisson clôturant la période hivernale ?
Finalement, ce poisson d’avril ne se laisse pas si facilement attraper par une seule et unique explication. Non. Comme une farce que nous jouerait l’histoire, il semble être le produit de multiples traditions et coutumes venues de tous horizons et ayant pour point commun une célébration, celle du retour à la lumière et à la vie après les ténèbres et le froid de l’hiver. Une sorte de soulagement après les épreuves. Une joie un peu enfantine de se retrouver ensemble et toujours debout, dont les pessimistes contemporains feraient bien de s’imprégner pour imaginer l’avenir. ...
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