Curieuse sensation que celle de se trouver face à une peinture d’Ymane Chabi-Gara. La jeune artiste parisienne, née en 1986, passée par La Cambre (Bruxelles) et les Beaux-Arts de Paris (dont elle est sortie diplômée en 2020) construit un pont entre son imagination et le monde qui l’entoure.
Parler d’Ymane Chabi-Gara, c’est parler de solitude. Très marquée par la culture nipponne, elle s’intéresse, dès ses débuts, à tout ce qui gravite autour : “ j’apprenais le japonais et je lisais des articles de presse faciles d’accès pour m’entraîner.” En 2012, elle découvre les hikikomori, ces figures de jeunes gens qui vivent reclus de la société japonaise. “J’y ai trouvé des liens profonds avec qui je suis, moi qui ai toujours été très solitaire”. Elle voit aussi dans ces personnes complètement isolées, qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le tissu social, quelque chose de l’époque, marquée notamment par les confinements. Elle s’en inspire pour une série de peintures entamée en 2019.
Ses personnages, sans regard ni visage, incarnent aussi l’idée que la peintre se fait d’elle-même. C’est la raison pour laquelle elle n’hésite pas à mélanger la représentation de ses figures d’hikikomori à celle de sa propre image, en se prenant en photo dans les positions des personnages. Une technique qui laisse apercevoir sa certaine pudeur. Est-ce pour cette raison que l’expression des yeux est peu présente dans la série ? “Travailler autour du regard ajouterait quelque chose de l’ordre de l’identité, explique-t-elle. Ce n’est pas ce qui m’intéresse.” Alors, c’est comme si tout se construisait autour de détails essentiels, des objets notamment : “ce qui m’anime, aussi, c’est la trace que l’être humain peut laisser dans un espace. Mes oeuvres auront toujours ce rapport avec les objets, les intérieurs.” En disant cela, elle sait que tout – motifs, techniques, couleurs, matériaux – reste envisageable ; elle qui, pour la première fois, a été exposée à la prestigieuse Galerie Kamel Mennour à Paris (Avec Un petit morceau d’étoffe violette).
Lorsqu’on lui parle d’exposition, on imagine le frémissement qu’elle doit ressentir, elle, qui débute sa carrière. Mais Ymane Chabi-Gara se tient à distance de ce qui existe après le travail : “ce qui me passionne, c’est le processus de peinture, pas vraiment ce qu’il se passe après.” Pour échapper à sa notoriété grandissante, elle songerait même au pseudo.
Partir à la rencontre d’une peintre, c’est aussi partir à la découverte de ses méthodes de travail. Ses journées, qui peuvent se terminer au milieu de la nuit, sont peuplées de réflexions, au sein de l’atelier de Montreuil qu’elle occupe seule : “Entre les premiers coups de pinceau, le séchage, l’attente de voir la matière bouger, la peinture offre des moments méditatifs et un rapport au temps particulier.” Dans chacune de ses toiles, les accidents s’installent en creux. Ymane Chabi-Gara est une peintre de l’imprévu. C’est la raison pour laquelle certaines de ses toiles n’ont rien à voir avec ce qu’elle avait en tête au moment de les commencer : “J’ai une idée de la sensation que j’ai envie que la peinture ait”. Ses couleurs, elle les choisit de manière impulsive : “En ce moment, j’en utilise plein, mais je déteste ça, c’est juste ce qui me vient, là où j’atterris. J’apprends à lâcher prise.” Après avoir songé un temps à la froideur de l’aluminium, Ymane Chabi-Gara a finalement choisi le bois. En utilisant une laque acrylique destinée aux meubles, et avec le grand nombre de couches qu’elle dispose sur son support, il s’est imposé comme son matériau de prédilection : “j’aime beaucoup sa matérialité. Il bouge quand la peinture sèche, c’est assez intéressant”.
Au cours de ses études, Ymane Chabi-Gara a travaillé au centre Pompidou. C’est là qu’elle a pu assister à des spectacles, de danse contemporaine notamment, et découvrir le travail de Gisèle Vienne qui l’a marqué. Mais loin d’elle l’idée d’avoir des héros ou des héroïnes. “Nous sommes tous juste humains !”. Et si elle n’a jamais eu de grandes figures d’inspirations — notamment en peinture — c’est parce que son rapport à cette discipline n’est pas lié à l’histoire de l’art. Elle cite tout de même l’artiste allemande Katharina Grosse et ses grands univers colorés qui l’avait impressionnée à la Biennale de Venise en 2014, ou encore Elisabeth Glaessner, récemment découverte à la Galerie Perrotin. Des artistes, qui, à la manière d’Ymane Chabi-Gara, ont le talent commun de savoir laisser le monde colorer leurs peintures, pour dialoguer sans bruit avec celui ou celle qui les regarde. En solitaire.
À voir : Le travail d’Ymane Chabi-Gara est présent au sein de l’exposition Voir en peinture. La jeune figuration en France, au musée d’art moderne et contemporain, abbaye Sainte-Croix, aux Sables-d’Olonne, jusqu’au 28 mai.