Réseaux sociaux : coupez !

Alix Van Pée

J’aurais mille raisons de défendre les réseaux sociaux. Ces dernières années, Instagram et Facebook ont modelé mes relations sociales : ils m’ont permis d’entrer en contact avec de futurs employeurs, d’échanger avec des artistes inaccessibles auparavant, grâce aux direct messages d’Instagram qui portent bien leur nom. 

Twitter aussi a bouleversé ma vie : j’y ai rencontré mon futur époux. L’un de ses tweets humoristiques a déclenché, dans l’ordre : un like, un message, une rencontre, puis une relation amoureuse.

Pourtant, plutôt que la gratitude attendue, ces réseaux m’inspirent aujourd’hui de la peur. Plusieurs études ont indiqué une corrélation entre l’usage d’Instagram et l’anxiété, la dépression et le manque de sommeil. Il y a trois ans, une enquête interne réalisée par Facebook concluait qu’un tiers des adolescentes, après avoir utilisé Instagram, avaient une image dégradée d’elles-mêmes.

Ces informations accablantes ne m’empêchent pas de me rendre plusieurs fois par jour sur Instagram. Par habitude, addiction, ou une forme d’obligation liée à mon travail, je scrolle – descendant le puits sans fond des vidéos inutiles –, sans savoir pourquoi. Pour trouver des idées de chroniques ? Observer la vie des autres ? Communiquer sur la mienne ? Instagram me transformera-t-il en animal de réseau, l’un de ces narcisses mal dans leur peau dont je me moquais il y a quelques années ?

Visiblement, ma crainte est partagée par la génération Z. À New York, des lycéens et étudiants dégoûtés par TikTok et Instagram ont banni les smartphones de leur vie (certains possèdent des portables basiques, qui ne permettent que de téléphoner et d’envoyer des textos). Comme ce gang d’hellénistes passionnés dans Le Maître des illusions de Donna Tartt – tellement épris d’Antiquité grecque qu’ils reconstituent des fêtes dionysiaques dans la forêt –, ce club déterminé, le « Luddite Club », compte pour l’instant une vingtaine d’adhérents, menés par une fille de 17 ans. Ils se retrouvent tous les week-ends dans un parc de Brooklyn, où ils s’adonnent à la peinture, à la lecture, et discutent du monde comme il va. Une façon d’atteindre, selon eux, la « self liberation », ou auto-libération. Leurs modèles s’appellent Jack Kerouac, Hunter S. Thompson, ou encore Christopher McCandless – l’aventurier américain héros de Into The Wild, décidé à « vivre sa vraie vie », quel qu’en soit le prix. 
Je scrolle - descendant le puits sans fond des vidéos inutiles -, sans savoir pourquoi. 
Contrairement aux personnages du roman de Donna Tartt, ces jeunes résistants aux téléphones ne sont pas antimodernes : ils semblent s’épanouir dans leur époque, dont ils adoptent les codes (cheveux partiellement décolorés, coupes mulets, pantalons baggy). À croire qu’ils ne renient pas 2023, à l’exception de son objet emblématique. De sorte que leur mouvement, très marginal à l’origine, est désormais étiqueté « cool ». Selon le New York Times, il commence même à infuser dans d’autres lycées américains. Et s’il prenait en France ? 

L’idée d’une telle importation me séduit, et elle n’est pas invraisemblable. Si elle ne mène pas pour l’instant à des actions concrètes dans notre pays, la défiance envers les téléphones et les réseaux sociaux se manifeste déjà dans les discours, notamment de certains artistes. Angèle – l’idole de la génération Z – chante dans l’un de ses derniers morceaux, « Amour haine et danger », toute l’ambivalence de son rapport à son smartphone. Il lui apporte, selon elle « de la haine, du stress ». « Si je l’oublie », dit-elle de son objet adoré, je passerai une bonne journée ». Orelsan et Stromae, patrons du rap et figures de leur époque, ont aussi abordé le sujet sous un angle critique. Comme eux, le groupe français Catastrophe résume le problème avec cette métaphore aérienne : « Je passe en mode avion, je m’envole ». Leur principal compositeur, également chanteur en solo, Pierō, compare dans son titre « Ulysse » le charme des notifications à celui des sirènes dans L’Odyssée. 

Avec une telle liste de griefs, nous persistons à nous connecter car le sevrage est difficile. Pour l’expérience, l’écrivain britannique Johann Hari a vécu sans smartphone ni ordinateur pendant trois mois. Une expérience jugée tellement « radicale » aujourd’hui qu’elle entre dans la catégorie du journalisme dit « gonzo », journalisme d’immersion qui concernait jusqu’à présent les reportages dangereux ou difficiles. Dans son livre sur le sujet, Hari raconte ses trois mois sans internet. En villégiature dans le Massachusetts, il retrouve sa capacité à se concentrer en passant de longs moments à lire le journal ou à regarder le soleil se coucher… Mais, peu de temps après son retour en ville, il sombre à nouveau, renoue avec ses quatre heures de connexion quotidiennes, et son addiction aux réseaux. 

Décourageant ? Pas nécessairement. Aux États-Unis, des vingtenaires fatigués par les plateformes addictives sont de plus en plus nombreux à installer, puis à désinstaller TikTok, au gré de leur humeur. Comme des couples qui ne fonctionnent plus, se séparent et se rabibochent à répétition, ce type de relation en pointillés s’achève parfois par une vraie rupture, non ? ...

J’aurais mille raisons de défendre les réseaux sociaux. Ces dernières années, Instagram et Facebook ont modelé mes relations sociales : ils m’ont permis d’entrer en contact avec de futurs employeurs, d’échanger avec des artistes inaccessibles auparavant, grâce aux direct messages d’Instagram qui portent bien leur nom.  Twitter aussi a bouleversé ma vie : j’y ai rencontré mon futur époux. L’un de ses tweets humoristiques a déclenché, dans l’ordre : un like, un message, une rencontre, puis une relation amoureuse. Pourtant, plutôt que la gratitude attendue, ces réseaux m’inspirent aujourd’hui de la peur. Plusieurs études ont indiqué une corrélation entre l’usage d’Instagram et l’anxiété, la dépression et le manque de sommeil. Il y a trois ans, une enquête interne réalisée par Facebook concluait qu’un tiers des adolescentes, après avoir utilisé Instagram, avaient une image dégradée d’elles-mêmes. Ces informations accablantes ne m’empêchent pas de me rendre plusieurs fois par jour sur Instagram. Par habitude, addiction, ou une forme d’obligation liée à mon travail, je scrolle – descendant le puits sans fond des vidéos inutiles –, sans savoir pourquoi. Pour trouver des idées de chroniques ? Observer la vie des autres ? Communiquer sur la mienne ? Instagram me transformera-t-il en animal de réseau, l’un de ces narcisses mal dans leur peau dont je me moquais il y a quelques années ? Visiblement, ma crainte est partagée par la génération Z. À New York, des lycéens et étudiants dégoûtés par TikTok et Instagram ont banni les smartphones de leur vie (certains possèdent des portables basiques, qui ne permettent que de…

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