Le mot de l’éditeur #17

William Emmanuel

Pour Machiavel, les hommes en général, et les princes en particulier, peuvent être bienfaisants ou avides, cruels ou compatissants, dissolus ou chastes, graves ou légers, francs ou rusés, religieux ou incrédules. Dans son célèbre ouvrage Le Prince, le penseur florentin juge souhaitable que tous ces traits de caractère se trouvent réunis dans un prince. « Mais comme cela n’est guère possible, et que la condition humaine ne le comporte point, il faut qu’il ait au moins la prudence de fuir ces vices honteux. »
Dans son manuel de science politique, qui peut être perçu comme l’apologie du cynisme,Machiavel souligne toutefois qu’un dirigeant doit « ne croire et n’agir qu’avec une grande maturité, ne point s’effrayer lui-même, et suivre en tout les conseils de la prudence, tempérés par ceux de l’humanité ; en sorte qu’il ne soit point imprévoyant par trop de confiance, et qu’une défiance excessive ne le rende point intolérable. »

Cette leçon conserve toute sa saveur aujourd’hui. Pris au piège de l’exercice du pouvoir, les dirigeants politiques ne savent jamais comment se comporter avec le peuple. Faut-il être craint ou aimé ? Dans les dictatures, la question ne se pose pas. Dans une démocratie, à défaut d’être aimé, le chef doit être digne de respect. Il doit savoir que si toute communauté a besoin de règles pour fonctionner, les citoyens, conscients d’avoir des droits et des devoirs, ont besoin de se sentir respectés. Dès lors, le rôle du dirigeant politique est de rechercher l’harmonie, ou, pour utiliser une formule actuelle, la cohésion nationale. Ce qui suppose de s’intéresser avant tout au sort des plus faibles, les plus forts pouvant toujours s’en sortir. Comme le disait le pape François en 2018, « la vocation de ceux qui gouvernent est d’aider les pauvres ». On pourrait préciser : surtout en période de crise.

Or, les crises s’enchaînent depuis quelques années : financière en 2008, économique dans la zone euro en 2011, sanitaire avec le covid en 2020 et 2021, politique et militaire avec la guerre en Ukraine et de nouveau économique, avec l’envolée de l’inflation, touchant particulièrement les prix de l’énergie et des produits alimentaires depuis 2022. De quoi épuiser la population, qui se demande comment payer les factures et s’en sortir.

Les dirigeants politiques peuvent être tentés de multiplier les initiatives pour montrer qu’ils agissent, quitte à brutaliser la population. Cet aveuglement ne peut qu’aboutir à de grands désordres. Pour éviter cela, il est nécessaire de faire un pas de côté et d’essayer de comprendre le peuple qu’on prétend diriger. C’est ce que fit Laurent de Médicis. De quoi inspirer Machiavel.



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews