L’entreprise, cette blague !

Alix Van Pée

La dernière saison de LOL : qui rit, sort ! est révélatrice. Dans cette émission filmée à huis clos, une dizaine de célébrités sont enfermées pendant des heures dans une pièce où il leur est interdit de rire. Les candidats essayent donc de faire craquer leurs concurrents à coup de blagues ou de sketchs absurdes. Pierre Niney et François Damiens ont une drôle d’idée : ils se mettent dans la peau de « managers » qui « présentent leur équipe marketing ».

Les temps ont changé. Il y a une dizaine d’années, quand j’ai atterri par erreur en école de commerce, la grande majorité de mes camarades parlait le franglais couramment, sans aucune ironie. Ils rêvaient de gravir les échelons dans des boîtes de conseil, entreprises qu’ils décrivaient, d’un air pénétré, comme « hyper formatrices ». Le salaire d’entrée était « à 50 K ». Mieux encore, il fallait travailler chez Google ou Facebook : leurs bureaux étaient dotés de babyfoots, parfois même de salles de sport. Ces sociétés promettaient à leurs membres de travailler, jouer, se dépenser dans un même lieu comparable à une deuxième maison.

Aujourd’hui, les bureaux ont été ringardisés par le télétravail, ils se vident depuis que le vent de la grande démission, venu d’Amérique, a soufflé sur la France. Le quartier de La Défense est déserté. Ses bureaux de verre, empilés les uns sur les autres, symbolisent le travail d’avant, celui dont les films, séries et romans se moquent ouvertement depuis quelques années. Au début des années 2000, The Office avait frappé fort en faisant d’une entreprise anglaise spécialisée dans la vente de papier un lieu de tragicomédie. La série ne se déroule pas à La Défense, pire, elle prend place dans un immeuble gris tristement perché au-dessus d’une autoroute, dans un parc d’activité de l’ouest de Londres. Dans un open space éclairé aux néons, une poignée d’employés subit quotidiennement les brimades d’un supérieur sadique et idiot.

Les esprits corrosifs n’ont même plus à inventer des employés fictifs pour nous faire rire : ils s’inspirent de personnes réelles.

La fiction est devenue célèbre au point d’être adaptée en une autre ver- sion, toujours dans la même langue, mais aux États-Unis. La bêtise du personnage interprété par Ricky Gervais (UK) et Steve Carell (US), les intrigues amoureuses au bureau et les scènes de prises de bec entre employés qui ne partagent rien (à part leur lieu de travail) sont devenues culte. La série a réveillé chez les téléspectateurs leurs pires souvenirs en entreprise.

Dans la même veine, le dernier roman de Nicolas Mathieu, Connemara, ou la série Un entretien, sur Canal+, ont à leur tour égratigné ce petit monde parallèle, doté de sa propre novlangue. Mais ces dernières années, la blague antibureau est devenue de plus en plus facile. Les esprits corrosifs n’ont même plus à inventer des employés fictifs pour nous faire rire : ils s’inspirent de personnes réelles.

Sur Twitter, le compte Disruptive humans of LinkedIn se paie depuis six ans la tête de vrais salariés zélés qui jouent aux premiers de classe sur le réseau social LinkedIn. Ses créateurs, adeptes d’humour noir, dézinguent ceux qu’ils nomment les « ceintures noires en bullshit » : des employés fayots, obsédés par la culture de la productivité. Disruptive humans of LinkedIn présente ces obsédés du « targeting », du « deepworking » ou autres concepts fumeux en -ing, comme des êtres invertébrés et pathétiques. Derrière les blagues, le compte véhicule un message poli- tique que l’on pourrait résumer par ce slogan : « mieux vaut travailler moins pour vivre mieux ». Coluche n’aurait pas dit mieux.

Les blagues sur la vie de bureau ont de beaux jours devant elles. Le compte Instagram @monsieur_etiennedorsay qui ironise sur « le céleri rémoulade de la cantine », les « PowerPoints de 78 diapositives », ou encore les « afterworks entre collègues », obtient des dizaines de milliers de likes à chaque publication. D’ici quelques années, l’humour aura peut-être évolué. Nous pourrons nous moquer des télétravailleurs perdus dans les cafés sans wifi, de ceux qui préfèrent les cafés bruyants et inhospitaliers aux open spaces faits pour eux ...

Si le bureau, les chefs, les collègues, la cantine et même le télétravail deviennent matière à blague, peut- être est-ce là le reflet de notre désillusion. L’avènement du télétravail s’accompagne d’un autre bouleversement majeur : le progrès effrayant de l’intelligence artificielle. Déçus par la vie en entreprise, fragilisés dans notre travail par les machines, il nous reste le rire... l’arme la plus humaine qui soit.

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La dernière saison de LOL : qui rit, sort ! est révélatrice. Dans cette émission filmée à huis clos, une dizaine de célébrités sont enfermées pendant des heures dans une pièce où il leur est interdit de rire. Les candidats essayent donc de faire craquer leurs concurrents à coup de blagues ou de sketchs absurdes. Pierre Niney et François Damiens ont une drôle d’idée : ils se mettent dans la peau de « managers » qui « présentent leur équipe marketing ». Les temps ont changé. Il y a une dizaine d’années, quand j’ai atterri par erreur en école de commerce, la grande majorité de mes camarades parlait le franglais couramment, sans aucune ironie. Ils rêvaient de gravir les échelons dans des boîtes de conseil, entreprises qu’ils décrivaient, d’un air pénétré, comme « hyper formatrices ». Le salaire d’entrée était « à 50 K ». Mieux encore, il fallait travailler chez Google ou Facebook : leurs bureaux étaient dotés de babyfoots, parfois même de salles de sport. Ces sociétés promettaient à leurs membres de travailler, jouer, se dépenser dans un même lieu comparable à une deuxième maison. Aujourd’hui, les bureaux ont été ringardisés par le télétravail, ils se vident depuis que le vent de la grande démission, venu d’Amérique, a soufflé sur la France. Le quartier de La Défense est déserté. Ses bureaux de verre, empilés les uns sur les autres, symbolisent le travail d’avant, celui dont les films, séries et romans se moquent ouvertement depuis quelques années. Au début…

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