Artiste en mouvement

Mathieu Perez

Peintre, dessinateur, graveur, cofondateur de la Figuration libre, bourlingueur, initiateur du Musée international des arts modestes et président de l’ADAGP, société des droits d’auteurs des artistes, Hervé Di Rosa a ajouté une nouvelle corde à son arc : académicien.

J'ai l’impression que vous êtes comme moi, vous avez du mal à faire quoi que ce soit sans vous déplacer. » Ce coup de fil de Nicolas Bouvier, Hervé Di Rosa s’en souvient comme si c’était hier. C’était en 1994, juste avant qu’il ne parte au Viêtnam. La phrase lui est restée en tête. Le peintre savait très bien ce qu’elle voulait dire. Comme l’écrivain-voyageur, il a passé sa vie à chercher un ailleurs.
Di Rosa est ce joyeux drille à fort accent sétois qui s’est fait remarquer voilà quarante ans lorsqu’il était encore étudiant en art avec ses copains Robert Combas, François Boisrond, Rémi Blanchard, Louis Jammes, tous étiquetés Figuration libre, cousins français de Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Kenny Scharf. Une génération marquée par le rock, le punk, la BD et l’art brut, qui a explosé dans les années 1980 et imposé ce style volontairement bancal. Depuis dix ans, Lisbonne est son Terre-Neuve. Il en a eu d’autres : le Mexique, le Ghana, Miami... « Ce qui me fascine à Lisbonne, c’est la qualité de la lumière, les ambiances de cette ville, les immeubles en ruines en plein centre. » Il passe le plus clair de son temps chez Viúva Lamego, vieille maison qui fabrique des azuléjos, fameux carreaux de faïence décorés de motifs bleus. Il compose de grands formats où on retrouve les « Renés » ou les « deux nigauds », personnages phares de sa peinture, dans des scènes insensées. Sur de petits carreaux, il revisite les robots, animaux, comics, figurines, qu’il aime tant. Les azuléjos ne sont pas encore cuits au four qu’il est déjà reparti !

« Je ne tiens pas plus de trois semaines dans une même ville, j’ai la bougeotte. » Prochaines destinations ? « J’adorerais retourner en Andalousie. Aller à Naples, d’où mon père est originaire, sur la côte amalfitaine où la pratique de la marqueterie est encore très vivace. Et il y a le Brésil. » Mais il se ravise : « Aujourd’hui, on ne voyage plus de la même façon. Mon tour du monde, débuté il y a plus de trente ans, pour me frotter à d’autres cultures, est questionné par les nouvelles exigences écologiques. »
C’est lors d’un de ses passages à Paris que nous le rencontrons. Dans son atelier-loft du quartier métissé de Barbès. Une ancienne imprimerie, au fond d’une cour d’immeuble, qui a conservé sa belle façade en verre et en fer forgé. L’artiste porte des fringues tachées de peinture et des Crocs aux pieds. Il est truculent, a le verbe haut, un rire qui fait trembler les murs. Pas le temps d’explorer le rez-de-chaussée où trônent de grandes sculptures qu’il a réalisées en Afrique, il nous conduit dans son repaire, au sous-sol. Aux murs, une dizaine de tableaux en cours. « Il y en a autant à Lisbonne. » Toujours plusieurs chantiers en même temps. « Je m’ennuie vite ! » La peinture, il y est accro. « Rien de plus direct et démocratique qu’un morceau de toile et des pigments. C’est à la portée de tous et de toute compréhension. »

Hervé Di Rosa est truculent, il a le verbe haut, un rire qui fait trembler les murs.

D’un tableau à un autre, revoilà les Renés, ces cyclopes à grosse bouche rouge. « Ils singent l’histoire humaine. C’est un peuple qui s’est créé par génération spontanée. Ils n’avaient pas de place à Sète, alors ils ont remonté le temps. Au lieu de vouloir faire mieux que les humains, ils ont voulu faire pareil qu’eux. Cela m’amène à revisiter toute l’histoire. » La patte Di Rosa est reconnaissable entre toutes : des couleurs criardes, du grotesque, du saturé. « On ne retient que l’aspect faussement amusant de mon travail. » On ne relève jamais sa dimension pathétique, ces regards, ces visages, ces bouches, traversés par le monde d’aujourd’hui. Au fil de ses voyages, l’artiste s’est forgé un vocabulaire graphique qui parle à tous et à toutes les cultures. « La peinture, ce n’est pas que de l’eau et des pigments, insiste-t-il. Je transmets une énergie à travers chaque image que je peins. Ça peut être celle de la gentillesse, de la colère, ou de ce qui fait que je me sens vivant quand je peins. »

C’est qu’il est plus sérieux qu’il n’y paraît, Di Rosa. À première vue, il prend tout à la rigolade, mais dévoile vite un fond plus tragique. « On me ramène encore à mes œuvres de jeunesse. Dans les années 1980, j’étais beaucoup plus sûr de moi qu’aujourd’hui. Je pensais que le succès de la Figuration libre était normal. Aujourd’hui, j’ai 63 ans, je me sens pressé. Il faut durer ! Mais ce n’est pas simple... La peinture me brûle de l’intérieur. »

La peinture, il en a vu, et de toutes les couleurs. Depuis 1989, il parcourt le monde à la recherche d’autres pratiques artistiques. Certaines sont ancestrales, d’autres plus récentes. Un projet singulier qui l’a amené de la Bulgarie au Mexique, en passant par le Bénin, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, le Ghana, et aussi la Tunisie, l’Espagne, Israël, les États-Unis, le Portugal, le Viêtnam. Seize pays en tout, dix-neuf étapes au compteur, même si la treizième a sauté : « La situation à Haïti était si dangereuse dans les années 2000 que mon ami artiste Hervé Télémaque, originaire de l’île, m’a interdit d’y aller ! Alors, je suis allé voir la communauté haïtienne de Miami, où je vivais alors, et j’ai appris comment ils fabriquaient des drapeaux vaudous. » Dans d’autres pays, il a décou- vert d’autres techniques : la peinture d’enseignes, le tressage de câbles de téléphones, la fonte en bronze à cire perdue...

« Au début, je voyais ça comme un compagnonnage mondialisé. » Ses étapes, il les choisit au fil des envies, des opportunités. « Économiquement, ce n’est pas très judicieux. J’ai financé les voyages moi-même, à deux exceptions près. » Parfois, il revient une fois par mois chez un même artisan, parfois il vit dans un même pays durant plusieurs années. Il apprend ce qui rapproche le plus de la peinture. La tempera, par exemple, utilisée pour peindre des icônes, en Bulgarie. Les peintures glycéro, pour des enseignes sur des morceaux de bois ou de toiles de jute, au Ghana. La laque, au Viêtnam. « Mais tresser des câbles de téléphone, comme le font les Zoulous, ou tailler des sculptures à la tronçonneuse dans un énorme tronc d’arbre au Cameroun, impossible ! » Résultat : un couple se roulant des pelles, peint sur une peau d’agneau tendue sur un cadre en eucalyptus, le combat d’un robot avec un dragon, figuré sur un panneau de laque incrusté de nacre et de coquille d’œufs, ou encore des bas-reliefs en bois montrant des robots en vacances... Les techniques changent, l’humour reste.

« Hervé est à son meilleur depuis ce tour du monde, commente le pionnier de l’art urbain Ernest Pignon-Ernest. Son écriture graphique a pris une dimension universelle. » Et de raconter cette anecdote : « Une fois, à Durban, j’ai rencontré des Zoulous qui tressaient des fils électriques, un artisanat typique de cette communauté d’Afrique du Sud. L’un d’eux m’a montré un plateau qui ressemblait à s’y méprendre à du Di Rosa. Je lui ai demandé s’il le connaissait. Il s’est mis à rire.Hervé était déjà passé par là ! »

Il y a des échecs, aussi : un projet textile avec les femmes du peuple autochtone Kuna, au nord de la Colombie, tombé à l’eau. Un autre dans le sud de la Chine, pour fabriquer des offrandes de papier, répliques en carton de voitures, de billets, d’immeubles, brûlées pour les cérémonies des morts, selon une tradition millénaire. Trop compliqué à monter. « La réalité prend le dessus, tout simplement. Avant de partir au Mexique, je voulais faire des masques. Et j’ai fait tout, sauf des masques ! » Di Rosa peut parler pendant des heures de chacun des pays visités, des artisans rencontrés, des savoir-faire les plus exotiques, complexes, inattendus.

Un pays qui l’a marqué en profondeur ? « Le Mexique. J’y ai vécu quatre ans, j’y ai rencontré ma femme. Pour la première fois, je me sentais dans un pays qui me ressemble, avec tous ses excès. » Une ville ? « Séville, à cause de l’imagerie religieuse. Les églises sont comme des théâtres. Il y a des vierges pour tout, sauf pour l’art contemporain. J’en ai créé cinq, pour que les artistes soient un peu protégés ! » Une rencontre ? Almighty God, peintre prêcheur ghanéen : « Toute la journée, il lisait à voix haute des versets de la Bible en peignant des enseignes ou en recevant des visiteurs. Pour que j’arrête de fumer, il m’emmenait dans une cabane et priait pour que le démon de la cigarette sorte de moi. »

Di Rosa peut parler pendant des heures de chacun des pays visités, des artisans rencontrés, des savoir-faire les plus exotiques, complexes, inattendus.

Di Rosa est vent debout contre toute idée de hiérarchisation de l’art. Entre un maître laqueur, un poids lourd de l’art moderne et un dessinateur de BD, il ne voit aucune différence. L’exposition Les Magiciens de la terre, vue au Centre Pompidou en 1989, l’a convaincu de poursuivre sur cette voie. « Il y avait une moitié d’artistes internationaux, plus précisément de pays de l’Otan, Europe de l’Ouest et États-Unis, et une moitié d’illustres inconnus venant des autres continents, explique Jean-Hubert Martin, ancien conservateur du musée parisien. J’avais choisi des créateurs qui envisageaient l’art de manière transversale. » Une exposition véritablement internationale qui déclencha de vives polémiques. « Elle s’inscrivait dans un nouveau contexte mondial. À la fin des années 1980, j’ai compris intuitivement qu’on était déjà dans une mondialisation, poursuit-il. On le voyait dans la politique ou l’économie, pas dans les arts plastiques. Il fallait briser ce tabou. Puis, dans les années 2000, les relations se sont intensifiées entre les continents. Aujourd’hui, un artiste africain ou asiatique a la même valeur

qu’un artiste européen sur le marché de l’art. Ce n’était pas le cas lorsque Di Rosa a commencé son tour du monde. Il a participé à ce mouvement d’hybridation culturelle. »

Cette approche transversale de l’art que défend l’artiste ne vient pas de nulle part. Il faut regarder du côté de la petite enfance. Le Sète des années 1960 est un port mais, côté culture, un désert. Pas de musées, ni de TGV. Les images de son enfance la plus lointaine ? Les coquillages que collectionne son oncle, réunis dans des petits assemblages, les sculptures en fer que crée son parrain, les simulacres d’oiseaux de liège que sculpte et peint son père, chasseur de gibier d’eau de l’étang de Thau, les bibelots rapportés des foires qui trônent sur le poste de télévision à la maison. « Ces objets de rien du tout sont ma première initiation à l’art. » Il n’a pas grandi dans un jardin de roses. « Mes parents se sont sacrifiés pour mon frère et moi. Mon père était cheminot le jour et docker la nuit, ma mère femme de ménage. Quand je les vois aujourd’hui affaiblis par leur grand âge, ça fait remonter ces blessures profondes. Lorsque je suis à Sète, j’ai du mal à assumer mes racines prolo. À chaque coin de rue, il y a un mauvais souvenir. Mais je ne m’arracherai jamais à cette ville. »

Sète, c’est aussi des rencontres décisives. D’abord, avec la peintre et graveuse Éliane Beaupuy-Manciet. Lauréate du prix de Rome, elle a créé, en 1962, une école des beaux-arts, ouverte aux enfants et aux adolescents. Parmi ses élèves, Hervé Di Rosa et Robert Combas, lui aussi fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage. Cette prof, qui les a marqués par son humanité, a encouragé Di Rosa à poursuivre ses études dans la classe préparatoire aux concours des écoles supérieures d’art qu’elle avait créée. La vie d’artiste, il la voit de près en côtoyant un comédien et un journaliste. Le premier s’appelle Daniel Jegou, le second Daniel Vermeille.

Côté pile : un Daniel solaire. « J’ai rencontré Jegou, à 15 ans. Il m’a pris sous son aile, m’a donné à lire Artaud et Burroughs. Il a vraiment cru en moi. Il avait exposé mes dessins à Avignon, à la compagnie Le Chapeau rouge, dont faisait partie Catherine Frot. Ma première expo, pour ainsi dire. J’allais le voir à Paris. Il m’emmenait au théâtre. » « Hervé et moi, on se connaît grâce à Daniel, explique le photographe Louis Jammes. Je l’ai rencontré à Carcassonne, d’où je suis originaire. Jegou aimait être entouré de jeunes, sans être mal intentionné. Ce n’était pas un acteur extraordinaire, mais il avait dix ans de plus que nous, du charisme et était bien plus cultivé que nous tous. Il nous fascinait. »

Côté face : un Daniel plus sombre. Lorsque Di Rosa rencontre Vermeille, à l’adolescence, celui-ci revient de la villa Nellcote, à Villefranche-sur-Mer, où les Rolling Stones ont enregistré le disque Exile on Main St. C’est un ancien de Rock & Folk qui l’initie à la Beat Generation, au Velvet Underground, au romantisme noir. « Il a eu un destin tragique. La dernière fois que je l’ai vu, en 1998, je décorais les parloirs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, au sud de Montpellier. Il était en prison parce qu’il avait tué sa petite amie. Une fois sorti, il est devenu clochard et est mort dans un parking à Sète... »

Au milieu des années 1970, un groupe de copains se forme. Di Rosa et Combas, rejoints par Louis Jammes, futurs aventuriers de la Figuration libre. « Tous les trois, on a fait les Beaux-Arts de Sète à un an d’intervalle, précise le photo- graphe. La ville est petite, on se croise, on traîne ensemble. » Combas est alors un jeune phénomène. « Il avait un groupe de rock qui s’appelait les Démodés. La musique était essentielle pour nous, elle a accompagné toute notre adolescence. C’était l’époque des punks. Les Démodés s’inscrivaient dans cette mouvance mais avec une dimension artistique, je dirais même dadaïste, car les textes de Combas étaient très particuliers. » Génération rock... et bande dessinée. Di Rosa dévore Le Journal de Spirou, Pif Gadget, Pilote, Charlie Mensuel, se passionne pour Maurice Tillieux, Will, Macherot. Une passion restée intacte, encore aujourd’hui : « Je suis en train d’inventer une ribambelle de personnages nouveaux dans la veine de Tif et Tondu, parce que, à la différence de l’art brut, c’est un aspect de la culture populaire qui est encore rejeté par le monde de l’art. »

Et s’il parcourt moins le monde, il fait venir le monde dans un seul et même lieu : au Musée international des arts modestes (MIAM), qu’il a créé à Sète, en 2000. Situé dans un ancien chai, réaménagé par l’architecte Patrick Bouchain, grand spécialiste de la réhabilitation des lieux délaissés, le MIAM n’a pas vraiment d’équivalent à l’étranger.

Di Rosa l’a créé pour défendre l’art modeste, notion qu’il a inventée, tirant son origine de son histoire, de son enfance, de son affinité pour les objets populaires sans valeur, de sa lecture de Jean Dubuffet. Mais, à la différence de Dubuffet, qui définissait l’art brut par ce qui n’en relevait pas, il définit l’art modeste par ce qui en relève. Il l’explique à travers des mappemondes géantes qu’il ne cesse de redessiner. À la place des pays, des pratiques artistiques : fanzines, art funéraire, art touristique, tatouages, art de supermarché...

C’est ce joyeux mélange et ces passerelles qui font l’originalité du MIAM : on y trouve tout ce qui n’est pas considéré comme des œuvres d’art par les musées, les galeries, le marché de l’art. Exemples : des bibelots d’aéroport, des créations tirées de la narcoculture centraméricaine, des figurines en sucre, des travaux réalisés dans des camps de réfugiés. Bref, de l’inattendu, du populaire, du kitsch, du bizarroïde, mais aussi de l’extravagant, de l’absurde, du méconnu, du pas pris au sérieux, du carrément méprisé. « On a été parmi les premiers à présenter une rétrospective du peintre italien Carlo Zinelli, aujourd’hui considéré comme une figure majeure de l’art brut. »

Être académicien lui fait du bien, parce qu’il a été élu par ses pairs, pas par le marché de l’art. Le symbole est fort.

L’idée initiale était de donner de la visibilité aux arts populaires et à l’art brut. Et d’attirer ceux que les musées intimident. En plus des expos, le lieu abrite des tonnes d’objets, réunis dans les collections de Di Rosa et de son complice Bernard Belluc. Sans oublier les legs. Le dernier en date : la collection de sirènes, en céramique, en plâtre, en papier mâché, à têtes de mort mexicaines, etc., du chanteur Patrick Chenière, alias Général Alcazar.

La force du lieu : il a été créé par un artiste, est dirigé par un artiste et les commissariats d’expos sont assurés par des artistes. Visible jusqu’au 12 novembre, l’exposition Faits machines prend le contre-pied de celles auxquelles nous étions habitués. Elle présente les œuvres d’une vingtaine de jeunes créateurs qui se sont emparés des technologies numériques.

On l’a compris : le MIAM fait partie intégrante de l’œuvre de Di Rosa. « Pendant longtemps, j’ai scindé mes univers, explique-t-il. Je voyais le musée comme la composante intellectuelle de mon travail. La peinture, la partie manuelle. Le tour du monde, un projet à part. Ce n’est qu’à partir des années 2010 que je me suis aperçu que tout venait d’une seule et même racine. » Cette prise de conscience, il la doit à Antoine de Galbert, mécène, collectionneur curieux de tout et fondateur de la Maison rouge, à Paris. « Hervé est un acteur du décloisonne- ment. Dans un pays hypercloisonné, ce n’est pas rien ! Pour son expo Seul au monde, inaugurée à la Maison rouge, en 2016, je lui avais proposé de montrer l’ensemble de son œuvre, c’est-à-dire

ses peintures, les travaux qu’il a réalisés pendant son tour du monde et les collections qu’il a données au MIAM. »

Le musée sétois est géré par l’association du Cercle des Amis du MIAM (qui compte trois permanents), est financé par la Région Occitanie, la Ville, qui assure la partie technique (une dizaine de personnes), et est soutenu par le ministère de la Culture. Il attire environ 50 000 visiteurs par an. Une exception culturelle française ? « Les Français sont attirés par les créateurs qui sortent complètement des sentiers battus, com- mente l’historien de l’art Jean-Hubert Martin. Par exemple, en 1978, l’expo Les Singuliers de l’art, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, avait connu un grand succès. Il n’y aurait pas eu cet engouement dans un autre pays. Sans doute parce que ce type d’art à la marge a un fond rabelaisien, très français. Et il y a, chez nous, un goût de la revanche possible pour des artistes qui ne sont pas dans le star-système. »

La revanche, est-ce ce qui explique la candidature de Di Rosa à l’Académie des Beaux-Arts ? Son élection n’était pas gagnée d’avance. C’est un coup de fil du peintre académicien Gérard Garouste qui l’a convaincu de se porter candidat : « Ça a l’air ringard, mais ça ne l’est pas du tout ! » L’artiste se présente, mais se fait jeter. Il tente sa chance une deuxième fois, jeté à nouveau. La troisième, en 2022, est la bonne. « L’élection a été très serrée, se souvient Pignon-Ernest. Il y a eu quatre ou cinq tours. La cinquantaine d’académiciens ont voté, toutes sections confondues. Certains étaient très hostiles. Il y a même eu une intervention en faveur de Robert Combas, alors qu’il n’était pas candidat ! »

Être académicien lui fait du bien, parce qu’il a été élu par ses pairs, pas par le marché de l’art. Le symbole est fort. « Hervé et moi venons d’un milieu qui ne nous destinait pas à l’Académie, poursuit Pignon-Ernest. Lui est fils d’un docker et d’une femme de ménage, moi, d’un employé des abattoirs et d’une coiffeuse. On se serre les coudes. »

Ses racines prolos, l’artiste les revendique, même s’il mène une vie confortable. « Je n’ai pas de désir de vengeance. Mais je me sens toujours un peu illégitime, comme beaucoup de ceux qui ne viennent pas de la classe dominante. Je fais un travail pour évacuer l’amertume par rapport au manque de reconnaissance, aux prix des œuvres pas assez élevés, au désintérêt des galeries inter- nationales... On veut toujours plus. C’est ridicule, je sais, mais j’ai besoin d’être aimé. » Ses copains raillent son goût des honneurs. Et s’amusent déjà de voir l’ancien punk sous la coupole endosser le fameux habit vert et porter la traditionnelle épée. « Ils se foutent tous de moi ! », rigole Di Rosa.

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Peintre, dessinateur, graveur, cofondateur de la Figuration libre, bourlingueur, initiateur du Musée international des arts modestes et président de l’ADAGP, société des droits d’auteurs des artistes, Hervé Di Rosa a ajouté une nouvelle corde à son arc : académicien. J'ai l’impression que vous êtes comme moi, vous avez du mal à faire quoi que ce soit sans vous déplacer. » Ce coup de fil de Nicolas Bouvier, Hervé Di Rosa s’en souvient comme si c’était hier. C’était en 1994, juste avant qu’il ne parte au Viêtnam. La phrase lui est restée en tête. Le peintre savait très bien ce qu’elle voulait dire. Comme l’écrivain-voyageur, il a passé sa vie à chercher un ailleurs. Di Rosa est ce joyeux drille à fort accent sétois qui s’est fait remarquer voilà quarante ans lorsqu’il était encore étudiant en art avec ses copains Robert Combas, François Boisrond, Rémi Blanchard, Louis Jammes, tous étiquetés Figuration libre, cousins français de Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Kenny Scharf. Une génération marquée par le rock, le punk, la BD et l’art brut, qui a explosé dans les années 1980 et imposé ce style volontairement bancal. Depuis dix ans, Lisbonne est son Terre-Neuve. Il en a eu d’autres : le Mexique, le Ghana, Miami... « Ce qui me fascine à Lisbonne, c’est la qualité de la lumière, les ambiances de cette ville, les immeubles en ruines en plein centre. » Il passe le plus clair de son temps chez Viúva Lamego, vieille maison qui fabrique des azuléjos, fameux carreaux de…

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