Janvier 2016. Dans le métro, Arthur Teboul fait un test : écrire ce qui lui passe par la tête. Cet exercice existe depuis la nuit des temps. Au Xxe siècle, les surréalistes appelaient ça l’écriture automatique. Laisser son esprit divaguer sur le papier, une manière d’ouvrir la langue vers ce qui n’est pas concret, pas utile. Un jeu d’enfant. C’est ainsi que l’on pourrait peut-être qualifier les poèmes minute regroupés dans Le Déversoir. Si la poésie occupe une place centrale dans la vie d’Arthur Teboul, il a d’abord été connu pour son timbre plein de roches au sein du groupe Feu ! Chatterton. On connaît la chanson, un chanteur est d’abord une voix et on ne peut s’empêcher d’entendre la sienne nous lire les textes de son recueil.
Dans l’univers Teboul, aussi musical soit-il, ce projet s’impose comme un prolongement assez doux du reste : « Un poème minute, c’est un poème écrit en trois à cinq minutes, de façon automatique. Se laisser traverser par ce qui vient et oser l’écrire, c’est la seule difficulté. » Au fil des pages, on saisit très vite la forme de jeu qui se met en place dans ces petits textes en prose. « D’une certaine façon, le jeu, c’est un peu le contraire de l’enjeu. On ne sait pas où l’on va, et c’est ce qui est amusant. » Ici, impossible de se trom- per, c’est une récréation sans aucun risque de se faire gronder. Une certaine idée de rêve.
Les textes de ce recueil ne sont pas lyriques, douloureux, ampoulés. Ils sont ancrés dans la réalité. Une réalité qui n’enlève rien au travail de l’objet livre, mélange de pages noires et blanches, d’aphorismes et de poèmes plus copieux, dont la longueur ne change rien à la vitesse avec laquelle ils sont écrits. Pourquoi cette forme d’urgence dans l’écriture ? Peut-être pour se laisser aller aux pensées les plus fraîches, les plus absconses, les plus basses, soyons fous. « C’est juste un poème. On peut en faire ce que l’on veut. » Et c’est précisément parce que la poésie n’a aucun pouvoir concret qu’elle sait se rendre indispensable. Est-ce pour cela que Le Déversoir a ouvert ?
Le Déversoir, c’est un lieu en plein Paris qu’Arthur Teboul a investi pendant une semaine, afin d’y réaliser des consultations poétiques. Quiconque y entrait pouvait ressortir avec un poème écrit pour lui : « Au début, il n’y avait pas vraiment d’enjeu, si ce n’est l’intuition qu’on manquait de ça au coin de la rue. » De ça, de poésie, de ces petits liens invisibles qui nous relient. Qui font que nous appartenons tous au même lieu, au même moment. Inspiré par des figures comme Bobin, Aragon, ou encore Apollinaire, Arthur Teboul déplie ce recueil vers quelque chose de l’ordre du manifeste collectif. Il déplace la poésie dans la vie, en lui accordant un acte, une adresse.
« C’est une sorte de résistance humble, limitée. Mais essayons d’inscrire une halte de quelques minutes dans cette marche du monde, et ça peut changer beaucoup de choses. » Après chanteur, poète, Arthur Teboul s’est donc imposé déverseur. On va chez le déverseur comme on va faire une course. Imaginé lors du confinement, l’officine est apparue comme « un enfantillage » : « Qu’est-ce qu’on fait d’une idée qui nous traverse ? Est-ce qu’on s’y accroche ? Est-ce qu’on laisse passer ? Ça dépend. Mais cette fois-ci, j’ai senti très fort que je devais faire ce cabinet. » Une table, un papier, un crayon, un homme. Le Déversoir était né. L’appel du jeu a été irrésistible, si bien que près de 250 personnes ont pu bénéficier d’un poème minute en face- à-face. Arthur Teboul en garde quelque chose de précieux : « L’intensité des échanges, la profondeur du lien humain, l’émotion qui nous traver- saient. Maintenant, j’ai là une certi- tude que c’est un métier. Qu’il existe déjà, qu’il va exister. Que d’autres vont le faire. » Écrire des poèmes comme une façon de voir le monde.
Le Déversoir. Poèmes minute, d’Arthur Teboul, éd. Seghers, 256 p., 18 €.