Cherchez l’intrus !

Isabelle Lortholary

Des faux portraits Renaissance au château de Chantilly ! Des faux, plus précisément des illusions, des trompe-l’œil, bref des leurres ! La situation est incongrue, se retrouver dans la salle dite « Cabinet des Clouet » en sachant que sur les habituels cent portraits des Grands de la cour de la Renaissance peints par Jean (1480-1541) et François Clouet (1520-1570), huit intrus se sont invités. Mais lesquels ? Car il faut les cher- cher ces leurres que l’on doit à l’artiste contemporaine Sabine Pigalle. Réputée pour son travail d’hybridation de peintures de maîtres anciens et de photo- graphie, la plasticienne a laissé de côté les anachronismes qui habitent sou- vent ses œuvres. On n’y voit que du feu. Comme dans ces jeux pour enfants où, entre deux images en apparence identiques, se cachent plusieurs erreurs.

Il ne s’agit pas de piéger le public mais de l’inciter à interroger ce qu’il a sous les yeux.

Henri de Guise

C’est Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé et Conservateur en chef du Patrimoine qui a sollicité Sabine Pigalle. En lieu et place de huit tableaux partis pour une autre exposition*, des images trompeuses qui sont de véritables créations plu- tôt que les habituels « fantômes », ces fiches techniques qui remplacent les œuvres momentanément déplacées. « Il ne s’agit pas d’introduire du contemporain pour introduire du contemporain et être à tout prix disruptif, mais d’éduquer le regard dans le détail. Cela prend sens quand il y a un accrochage immersif, comme ici dans le Cabinet des Clouet », explique-t-il. Le mot leurre, qui donne son titre à l’exposition, Cabinet des leurres, laisse entendre l’illusion, la manipulation voire le mensonge. Ici il ne s’agit pas de piéger le public mais de l’inciter à interroger ce qu’il a sous les yeux. Comme le rappelle Sabine Pigalle, la vera imago, dont l’origine remonte aux images religieuses censées incarner la vérité, est restée dans l’inconscient collectif. Encore aujourd’hui, on croit ce que l’on voit – on croit Instagram. On peut faire dire ce que l’on veut à une image, mais à Chantilly pas question de ruer dans les brancards. L’idée de fantôme a inspiré l’artiste contemporaine : elle interviendrait comme un passe-mu- raille ou un bernard-l’ermite, créant des leurres modernes qui soient des œuvres digitales avec les codes de l’ancien. « Mes cadres viennent habiter les espaces manquants, comme le crustacé entre dans un coquillage. Modestement, j’espère avoir créé un pont entre le portrait d’hier et le por- trait d’aujourd’hui, questionnant son évolution. »

Marguerite de Valois

Pour trouver les modèles qui vont interpréter Catherine de Médicis, Henri de France, duc d’Anjou, Marguerite d’Angoulême ou le Prince de Condé, elle a son catalogue mental des gens qu’elle connaît et cherche également parmi des inconnus. Ce n’est pas forcément la ressemblance physique qui décide du modèle, mais plutôt une ressemblance psychologique avec l’original. Ainsi pour Catherine de Médicis, femme forte et reine à la légende noire, l’artiste a-t-elle choisi un homme. Elle fait ensuite prendre la posture du tableau à ses modèles dans leurs vêtements de tous les jours. Puis vient le travail digital, pendant lequel la plasticienne essaie de trouver le juste équilibre – ou l’hybride – entre le modèle et l’œuvre originale. Le résultat est le fruit d’une rencontre, « ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ».

Et pour rendre ces leurres identifiables à l’œil peu formé, Sabine Pigalle et Mathieu Deldicque ont décidé qu’ils seraient tous au même format avec le même type d’encadrement. Le résultat est stupéfiant et l’intervention chirurgicale invisible. En s’approchant on se pose la question : XVIe ou XXIe siècle ? Clouet ou Pigalle ?

Odet de Coligny

 

À voir : Cabinet des leurres, au musée Condé, au château de Chantilly (Oise), jusqu’au 21 mai au moins.

 



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