Brûlant d’humanité

Jeanne Feydel

Dans Les Braises, ce roman écrit dans un style flamboyant par Sándor Márai, un écrivain et journaliste de nationalité hongroise, se mêlent dans un dialogue constant le temps, l’art, la nature et une paix d’après-guerre qui semblait éternelle. Les corps, les âmes et les liens qui nous unissent traversent les saisons, le temps s’écoule et la vieillesse s’impose délicatement. Chaque minute et chaque heure consumée durant notre existence font jaillir en nous des désirs de vengeance face à l’attente, aux blessures et aux offenses.

La nature semble projeter la solitude, la détresse et les changements permanents qui résident en nous. Les variations et les couleurs de nos destins se dessinent dans les paysages que nous découvrons au fil des pages. Les fenêtres de nos logements sont les véritables liens entre le monde extérieur, composé de l’universalité et l’immensité de la nature, et nos vies intérieures, dans lesquelles demeurent les intimes et indicibles pensées qui nous traversent.

Nous découvrons une forme de fascination réciproque entre l’homme et la nature. L’humain tente d’écouter la flore et de s’emparer de ses mélodies, la faune porte un regard tourmenté sur la vie humaine. Un ballet d’interactions qui ne s’arrête que lorsque les yeux d’un des personnages de ce roman, le général Henri, pose ses yeux sur l’art, plus particulièrement des photographies et des tableaux qui occupent et décorent les pièces de son château.

La photographie fixe les instants et les souvenirs. Les portraits sont discrets sur leurs intentions, le général cherche sans cesse à déceler leurs secrets et les paroles de ces visages figés qui essayent désespérément de dire, à travers le cadre, qu’ils étaient là, qu’ils ont vécu et qu’ils étaient autrefois pleinement humains, rongés par l’existence, écorchés par les secondes qui passaient et sûre- ment, quelquefois, sauvés par l’art. La musique est un art qui permet la fuite, un certain retrait du monde et la perspective d’une délivrance. Elle nous autorise à saisir la vie avec plus de profondeur et de dimension.

Dans ce récit, nous devinons la lumière chaleureuse de l’âme humaine. Celle qui a capté les portraits, qui a fait chavirer les cœurs, qui a nourri les feux, qui a brulé les rancœurs et incinéré les corps. Celle qui a fait naître les espoirs.

La vieillesse est sublimée par les retrouvailles, l’amitié par les souvenirs, la mort n’est qu’une fin honorable, la nature un spectacle époustouflant, la solitude est magnifiée par les années écoulées dans l’attente. Une solitude qui ne parvient à donner aucune réponse et ne console personne, mais qui se révèle salvatrice à ceux qui ont su l’accueillir. La mort ne vient que lorsque nous n’avons plus rien à désirer et plus rien à vivre, tout ce qui reste sont les souvenirs et la nostalgie qui emplissent nos âmes.

Les Braises est un roman dans lequel l’amitié n’est qu’honneur, noblesse mais aussi le lien le plus saisissant et fort qui unit deux hommes, car il contient un sentiment de certitude qui dépasse celui de l’amour. Tout se répète et se perpétue dans chacune des vies humaines, nous nous trahissons, nous nous trompons, nous nous blessons, à l’aube de notre disparition, ne reste-t-il pas que le pardon ? Ce roman c’est la quête de vérités universelles, à travers la guerre, la patrie, l’amitié, la violence, la nostalgie, l’art, le langage et le destin.

Le feu en nous ne s’éteint que pour laisser place à la paix, dans l’appréciation de ce que nous a offert l’existence, et dans l’acceptation de ce que la vie nous a pris, et de ce qu’elle ne nous rendra jamais.

 

Les Braises, de Sándor Márai, traduction de Georges et Marcelle Régnier, éd. Albin Michel, 204 p., 17,90 €.



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