Raj, villégiature et montagnes

Dalhousie hors du temps

Saudamini Deo

Je me souviens avoir d’abord regardé Dalhousie à travers la porte moustiquaire du Café Dalhousie. Nous venions d’atteindre cette petite station de montagne pittoresque après une route ardue à travers les chaînes de montagnes du Dhauladhar, dont les tracés étaient si sinueux qu’on avait parfois l’impression de voyager sans fin entre le début et l’extrémité de l’univers, au sommet d’un ouroboros. Le trajet, je l’avais passé en majeure partie allongée sur le côté, à l’arrière de la voiture, les yeux fermés, essayant de contenir la nausée, me demandant si la fin du voyage serait une ville ou un trou noir.

La voiture est passée devant les flashs d’un homme en tenue militaire, d’un cantonnement, d’une église attenante et d’un guichet automatique. Lorsque mes yeux se sont rouverts, nous étions déjà à Gandhi Chowk, l’intersection centrale de la ville, d’où nous avons dû monter à pied pour atteindre le cottage vieux de 150 ans dans lequel nous avions prévu de rester. Après le trajet qui semblait avoir pris des années-lumière, la randonnée n’était pas quelque chose d’agréable mais il fallait le faire. Le chalet était à environ moins d’un kilomètre, mais les distances ne sont pas les mêmes dans les collines. Tout est presque un mirage et plus on se rapproche de quelque chose, plus elle s’éloigne.

 Finalement, après quinze longues minutes, nous avons réussi à atteindre le cottage qui s’appelait « Seven Oaks ». Le gardien, qui a émergé environ une heure après, nous a informés que des après-midi chauds comme ceux-ci sont généralement suivis de soirées froides et orageuses. À ce moment, nous étions déjà installés dans la grande pièce en bois donnant sur le jardin. Il y avait des singes, des langurs, des lapins et des cyprès d’un vert si profond qu’il rappelait le bleu de la mer. À une certaine distance se trouvait le toit lavande d’un cottage qui appartenait à une famille qui n’était jamais revenue en ville.

Après avoir mangé rapidement un paquet de nouilles instantanées coréennes acheté à McLeod Ganj quelques jours auparavant, j’ai commencé à descendre vers le centre- ville. Il y avait une épicerie sur le chemin et l’on pouvait parcourir des variétés génériques de riz, de haricots rouges, d’épices, de paquets brillants de biscuits fabriqués localement, de lait et de chocolat. Juste à l’extérieur du magasin se trouvait une grande ouverture (avec garde- corps) dans la vallée d’où l’on pouvait admirer une vue panoramique sur la ville. On pourrait y passer des heures à contempler de petites chaumières situées aussi loin que d’autres planètes.

 Après avoir dépassé quelques petits hôtels sur la droite et un long mur gris sans fin sur la gauche qui appartenait au culte Radha Swami Satsang, je retombais à nouveau Gandhi Chowk. Il y avait une statue de Gandhi ornant le centre, une bibliothèque et une église un peu plus loin, une station de taxis et deux structures avec des sièges pour le public. Les bâtiments étaient typiquement britanniques mais les nouveaux magasins, les enseignes, l’esprit apparaissaient incontestablement. Il semblait, à première vue, que la ville existait comme un pépin dans l’espace-temps et que l’on pouvait facilement voyager entre l’Inde et l’Angleterre en quelques secondes. À gauche, tout au début ou à la fin de Mall Road, se trouvait l’hôtel Dalhousie, dont la partie inférieure abritait un café. Le nom avait été orthographié dans une vieille police de caractères en laiton vintage, rappelant les anciennes villes victoriennes. Les murs à l’intérieur affichaient d’antiques photos sépias et les chaises étaient de style colonial, bien qu’elles aient l’air neuves. Les grandes fenêtres donnaient sur la vallée couverte d’essences de pins et de cyprès. Après avoir commandé un soda au citron salé, je me dirigeai de nouveau vers la porte et plaçai mon menton contre la clôture pour regarder dehors, les yeux grands ouverts.

Un homme avec un chapeau montait tranquillement quelque part avec des lapins sur son épaule et un pigeon perché sur son couvre-chef. Juste en dessous de lui se trouvait un autre homme vendant des momos cuits à la vapeur dans un récipient en bambou. À côté il y avait trois vieillards avec trois ânes, attendant les touristes, ou les visiteurs, trop fatigués pour marcher ou grimper. Un magasin de boissons à côté d’eux vendait des bouteilles de cidre de pomme et de poire himachalies brassé naturellement et appelé Hawk Eye. Il semblait que Dalhousie existait comme quelque chose d’un peu au-delà de la compréhension, comme l’observation d’un fantôme.

Nommée d’après le comte de Dalhousie, la ville a été construite en 1854 comme lieu de villégiature estivale par les Britanniques qui recherchaient dans ces stations de montagne le climat froid des collines qu’ils préféraient à l’envi- ronnement sale et poussiéreux des plaines indiennes. Lord Lytton, qui fut vice-roi d’Inde entre 1876 et 1880 et ambassadeur de la couronne britannique en France de 1887 à 1891, a décrit « une si belle pluie anglaise, une si délicieuse boue anglaise » pour décrire la montagnarde Ooty, dans le sud de l’Inde. Les stations de montagne d’Inde ont eu une histoire mystérieuse, et de nombreux écrivains ont écrit sur leurs contes folkloriques, leurs légendaires lions mangeurs d’hommes, leurs romances tranquillement obsédantes et leurs meurtres silencieux. L’un de mes écrivains préférés, Lawrence Durrell, avait également passé son enfance dans différentes stations de montagne et c’est ici, à Dalhousie, que son père, ingénieur, est mort d’une hémorragie cérébrale. Le père de Durrell est né à Dum Dum, au nord de Calcutta, le 23 septembre 1884, et a été baptisé à Fatehgarh, au Bengale. Il avait étudié l’ingénierie au Thomson College of Civil Engineering, qui a pris le nom d’Indian Institute of Technology après l’indépendance de l’Inde. En 1918, il fut nommé ingénieur en chef du Darjeeling Himalayan Railway et, en 1920, quitta l’entreprise pour fonder sa propre société : Durrell & Co., Engineers  and  Contractors.  

Si Durrell père est resté fidèle à l'Empire britannique, il ne semblait pas entièrement pris au piège de sa philosophie : il a ainsi quitté son club lorsqu’un médecin indien formé à Oxford qu’il avait proposé comme membre a été rejeté, alors même que le praticien avait sauvé la vie de son fils aîné. Durrell avait acheté une maison à Dulwich en vue de déménager en Angleterre, mais il fut bientôt transféré à Lahore, aujourd’hui au Pakistan, avec sa famille pour superviser les travaux contractuels. En 1928, il tombe malade de causes inconnues. La famille avait déménagé à Dalhousie pour le climat en 1928, mais il est décédé le 16 avril 1928. Il est enterré ici, à Dalhousie, au cimetière anglais.

 Il y avait un homme qui vendait des roses blanches sauvages sur le trottoir et j’en avais acheté pour mettre sur la tombe de Durrell mais ma recherche a été vaine. J’ai d’abord visité l’église catholique Saint-François, construite en 1894, qui est entourée de cèdres et de roses anglaises délicatement pâles, puis l’église Saint-André, rappelant l’architecture écossaise près du cantonnement militaire, puis l’église Saint-Jean, construite en 1863, qui avait un cimetière derrière mais je n’ai pas pu trouver la tombe de Durrell. Peut-être qu’elle manquait, ou peut-être que la tombe existait mais dans une autre ville du même nom dans une galaxie différente.

Alors que nous étions assis sur les bancs du jardin vide de l’église, on entendit un bruit, comme si quelqu’un marchait. Je me suis retournée mais il n’y avait rien ni personne. Sur l’écran de mon téléphone verrouillé, quelque chose se reflétait du ciel et qui luisait d’une manière inhabituelle, mais le point scintillant bleu ivoire a presque instantanément disparu. Un sentiment d’anxiété m’a enveloppée et j’ai commencé à marcher vers le café. Les visages inexpressifs des passants semblaient flous, comme s’ils allaient s’évaporer à tout instant. À un moment donné, j’ai eu l’impression que la vitrine d’un magasin montrait le reflet d’un vieil Écossais dans un costume couleur palissandre avec un perroquet assis sur son épaule.

Y avait-il eu un terrier de lapin au bout des montagnes de Dhauladhar et c’était un autre Dalhousie sur une autre planète ? J’ai regardé par la fenêtre les cyprès dans la vallée profonde, tout en sirotant une tasse de thé au Café Dalhousie....

Je me souviens avoir d’abord regardé Dalhousie à travers la porte moustiquaire du Café Dalhousie. Nous venions d’atteindre cette petite station de montagne pittoresque après une route ardue à travers les chaînes de montagnes du Dhauladhar, dont les tracés étaient si sinueux qu’on avait parfois l’impression de voyager sans fin entre le début et l’extrémité de l’univers, au sommet d’un ouroboros. Le trajet, je l’avais passé en majeure partie allongée sur le côté, à l’arrière de la voiture, les yeux fermés, essayant de contenir la nausée, me demandant si la fin du voyage serait une ville ou un trou noir. La voiture est passée devant les flashs d’un homme en tenue militaire, d’un cantonnement, d’une église attenante et d’un guichet automatique. Lorsque mes yeux se sont rouverts, nous étions déjà à Gandhi Chowk, l’intersection centrale de la ville, d’où nous avons dû monter à pied pour atteindre le cottage vieux de 150 ans dans lequel nous avions prévu de rester. Après le trajet qui semblait avoir pris des années-lumière, la randonnée n’était pas quelque chose d’agréable mais il fallait le faire. Le chalet était à environ moins d’un kilomètre, mais les distances ne sont pas les mêmes dans les collines. Tout est presque un mirage et plus on se rapproche de quelque chose, plus elle s’éloigne.  Finalement, après quinze longues minutes, nous avons réussi à atteindre le cottage qui s’appelait « Seven Oaks ». Le gardien, qui a émergé environ une heure après, nous a informés que des après-midi chauds…

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