De l’intérêt des taux

Frédéric Rollin

L’inflation américaine a été vaincue, mais cela signifie-t-il la fin de l’orage pour l’économie des États-Unis ?

 

Dix hausses de taux en seulement quatorze mois ! Le plus sévère resserrement monétaire de notre génération. Bravo ! Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed), n’est pas loin d’égaler l’inflexible Paul Volcker, dont, on l’imagine aisément aujourd’hui, les portraits tapissaient les murs de sa chambre d’adolescent. Félicitations ! L’inflation est vaincue et les marchés des actions retrouvent la patate. Il fallait le faire, il l’a fait.

Tour de force, malgré la brutalité monétaire, la consommation résiste plutôt bien. Le pouvoir d’achat est estropié par l’inflation, mais les ménages s’appuient sur l’épargne accumulée pendant les confinements. De son côté, l’emploi se porte à merveille. Les entreprises ont eu tellement de mal à trouver du personnel en 2022 qu’elles hésitent à licencier. De nombreux babyboomers partent à la retraite, ce qui fait mécaniquement baisser le chômage, mais au plus bas. Enfin, l’hideuse inflation recule, le dragon blessé retourne dans sa grotte, et le chevalier Powell peut enfin se reposer. Pas de nouvelle hausse de taux avant longtemps, nous pouvons souffler.

Mais l’histoire n’est pas terminée. Si la consommation tient le choc, les investissements sont touchés. Les taux hypothécaires ont crevé les plafonds et l’immobilier est au plancher. Le prix des logements baisse et on construit peu. Les entreprises ralentissent leurs investissements, désormais plus onéreux à financer. Il est indéniable que l’économie ralentit. Et beaucoup d’analystes crient au loup. Un pays si endetté ne peut, disent-ils, supporter une hausse de taux si drastique. L’économie américaine plonge vers la récession, les marchés des actions vont s’effondrer, etc. Qu’en penser ?

 Remarque liminaire, méfions- nous de ces discours. Le pessimisme fait une belle audience sur les réseaux sociaux et c’est devenu un métier. Nombreux sont ceux qui s’y adonnent avec passion et les grandes crises imaginaires se chevauchent. Mais il faut bien admettre que les signes inquiétants se multiplient.

Le ralentissement fait son chemin dans les esprits. Si les dirigeants s’inquiétaient de ne pas trouver suffisamment d’employés, ils nous ont parlé d’« arrêt des embauches » lors des dernières présentations de résultats. D’ailleurs, le nombre d’offres d’emploi diminue. Plus inquiétant encore, les faillites bancaires. En quelques semaines, trois banques d'importance ont mis la clé sous la porte. Un peu rapide tout de même. Que se passe-t-il ?

Les dépôts des ménages auprès des banques sont rémunérés autour de 1 %. Avec la hausse des taux de la Fed, les fonds monétaires offrent environ 5 %. Les Américains transfèrent donc leurs dépôts vers les fonds monétaires, rien de sorcier. Ajoutons que, « de mon temps », il fallait prendre rendez-vous avec son banquier, remplir des papiers, etc. une procédure compliquée qui ralentissait ou décourageait les décisions. Aujourd’hui, quelques clics et des sommes importantes sont transférées. L’offre de dépôts rémunérés d’Apple ne peut qu’accélérer ce phénomène.

Première victime, Silicon Valley Bank. Les dirigeants de cette banque avaient pris une décision inhabituelle : acheter des obligations d’État américaines en grande quantité, mais sans en couvrir le risque (!). Lorsque les déposants ont réclamé leur argent, elle a dû vendre ces obligations… avec de fortes pertes, Powell culpa, Powell maxima culpa. Ses clients, des entreprises de la technologie, ont vite compris que les fonds propres de la banque s’évanouissaient et ont retiré leurs dépôts en quelques clics. Fin de l’histoire ? Hélas, la fuite généralisée des dépôts touche d’autres banques, pourtant mieux gérées. Elles se finançaient à bas prix avec les dépôts, elles doivent désormais payer les taux élevés dictés par la Fed. Les banques les plus fragiles sont ainsi précipitées dans les bras des plus fortes.

Première conséquence, les banques sont obligées à la prudence. Les enquêtes le montrent, les fourmis ne sont plus prêteuses. Et les cigales, impressionnées par la hausse des taux, ne sont plus emprunteuses. Le crédit, moteur essentiel de la croissance économique, est en train de se gripper, et c’est très rapide. Il paraît donc probable que l’économie américaine se contracte au cours des trimestres à venir. La baisse du pouvoir d’achat, la dégradation probable de l’emploi créé par le ralentissement et le retrait des banques seront trop lourds à porter.

Va-t-on pour autant vers une crise financière majeure ? Probablement pas. Les grandes banques américaines sont plus solides qu’elles ne l’ont jamais été. Et, puisque l’inflation est vaincue, la Fed pourra renverser la vapeur si nécessaire. La hausse des taux vous a plu ? Vous adorerez la baisse. C’est l’histoire sans fin.

 

Frédéric Rollin est conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management depuis 2011. Il est diplômé de statistiques et d’économie à l’ENSAE SEA....

L’inflation américaine a été vaincue, mais cela signifie-t-il la fin de l’orage pour l’économie des États-Unis ?   Dix hausses de taux en seulement quatorze mois ! Le plus sévère resserrement monétaire de notre génération. Bravo ! Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed), n’est pas loin d’égaler l’inflexible Paul Volcker, dont, on l’imagine aisément aujourd’hui, les portraits tapissaient les murs de sa chambre d’adolescent. Félicitations ! L’inflation est vaincue et les marchés des actions retrouvent la patate. Il fallait le faire, il l’a fait. Tour de force, malgré la brutalité monétaire, la consommation résiste plutôt bien. Le pouvoir d’achat est estropié par l’inflation, mais les ménages s’appuient sur l’épargne accumulée pendant les confinements. De son côté, l’emploi se porte à merveille. Les entreprises ont eu tellement de mal à trouver du personnel en 2022 qu’elles hésitent à licencier. De nombreux babyboomers partent à la retraite, ce qui fait mécaniquement baisser le chômage, mais au plus bas. Enfin, l’hideuse inflation recule, le dragon blessé retourne dans sa grotte, et le chevalier Powell peut enfin se reposer. Pas de nouvelle hausse de taux avant longtemps, nous pouvons souffler. Mais l’histoire n’est pas terminée. Si la consommation tient le choc, les investissements sont touchés. Les taux hypothécaires ont crevé les plafonds et l’immobilier est au plancher. Le prix des logements baisse et on construit peu. Les entreprises ralentissent leurs investissements, désormais plus onéreux à financer. Il est indéniable que l’économie ralentit. Et beaucoup d’analystes crient au loup. Un…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews