Le mot de l’éditeur #18

William Emmanuel

Une réforme, lit-on dans le dictionnaire, est un changement profond qu’on apporte dans un domaine donné
pour obtenir de meilleurs résultats. Le recours au mot « réforme » par les responsables politiques depuis des décennies en France est si fréquent qu’on pourrait croire que notre pays est l’un des mieux gérés au monde et que ses citoyens peuvent regarder le futur avec optimisme. Or, selon un sondage Ifop publié en novembre 2022, 83% des Français considèrent l’avenir comme « inquiétant ». Comment ne pas les comprendre alors que l’économie s’affaiblit et que, tous les indicateurs le montrent, la qualité des services publics – éducation, santé et sécurité en premier lieu – ne cesse de se dégrader ?

À quoi servent donc les réformes dont se gargarisent nos élus ? En France, les dirigeants politiques sont férus de discours performatifs. Ils sont convaincus que « dire, c’est faire ». Ils pensent donc pouvoir réduire la réalité à une fabrication. Pourquoi cette croyance est-elle si ancrée dans les élites françaises ? Dans les autres pays européens, aucun chef d’État ou de gouvernement, aucun ministre, ne pense sérieusement qu’il peut élaborer seul, ou avec un petit groupe de conseillers dévoués, des projets de réforme des règles sociales, économiques ou institutionnelles sans lancer une vaste concertation avec les différentes parties prenantes. Cela prend du temps et peut être frustrant. Un exemple : lorsqu’il a voulu réformer le marché du travail en Allemagne, le chancelier d’alors Gerhard Schröder a nommé, en 2002, un ancien DRH de Volkswagen. Si les premières lois étaient votées dès 2003, deux années supplémentaires de négociations ont été nécessaires pour faire adopter l’ensemble du paquet législatif (2005). Cet « agenda », destiné à améliorer la compétitivité du pays, a aggravé la pauvreté, en fragilisant les chômeurs en fin de droits et en favorisant les petits boulots mal payés. Mais personne ne peut nier qu’il y a eu débat et Schröder a perdu les élections législatives en 2005.

En France, la classe politique, dès lors qu’elle est au pouvoir, déteste le débat. Elle considère l’Assemblée nationale comme une chambre d’enregistrement. Cela n’empêche pas les incantations. À force d’être utilisé à tort et à travers, le mot « réforme » a perdu tout son sens. Pourquoi réforme-t-on ? Pour améliorer le sort des citoyens ou pour montrer qu’on agit ? Le problème est que les politiciens confondent souvent action et agitation.

Cette situation s’explique aisément. Le dirigeant politique français n’a pas fait son deuil des pratiques de l’Ancien Régime et il a tendance à penser que ce qui procède de lui est quasiment de droit divin puisqu’il a été oint par le suffrage universel. En outre, comme souvent il est issu de l’ENA, il considère qu’il en sait davantage que tous les experts sur n’importe quel sujet. Il est donc en droit d’imposer son point de vue. Nul besoin de débattre, nul besoin de convaincre. Cette incapacité française à adopter une culture du compromis pénalise le pays. Une démocratie moderne ne peut pas fonctionner selon l’axiome bien connu : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ».

Il est temps de revoir le système politique de fond en comble afin que les citoyens et leurs représentants soient enfin associés aux décisions qui ont un impact sur leur vie. C’est à cette seule condition que le mot « réforme » retrouvera tout son sens.



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