Afghanistan, an II

Les pavots de la colère

Oriane Zerah

La photographe française Oriane Zerah vit en Afghanistan, où elle travaille depuis plus de dix ans. Elle nous emmène dans la vallée de la Kunar, où les talibans détruisent les champs de pavot.

 

Depuis que les talibans ont repris le pouvoir, en août 2021, j’interagis régulièrement avec eux. Les situations déconcertantes sont nombreuses, mais je ne m’y habitue toujours pas. Avant qu’ils ne s’installent à Kaboul, la seule évocation de leur nom me pétrifiait. Aujourd’hui, je m’apprête à les suivre, volontairement.

Voilà douze ans que je vis en Afghanistan. J’y ai mis les pieds pour la première fois en 2011, et je n’en suis jamais vraiment partie. Au fil des années, toutes mes certitudes se sont brisées, une à une. Lorsque la République islamique d’Afghanistan est tombée à l’été 2021, j’ai été évacuée. Je craignais que Kaboul ne s’enflamme. Cela n’a pas été le cas. Trois semaines plus tard, j’étais de retour. Depuis, j’essaie de raconter, avec mes photos et mes écrits, ce « nouvel » Afghanistan. L’Afghanistan à l’ère des talibans.

Il est à peine neuf heures du matin, nous sommes en plein mois de ramadan. Me voilà embarquée avec une patrouille des forces spéciales talibanes et des policiers de la brigade antinarcotique pour documenter la destruction des champs de pavot dans le district de Ghaziabad, dans la vallée de la Kunar, à l’est du pays. Certains m’observent à la dérobée, d’autres me filment, intrigués. Je ne suis pas la seule à vivre une situation singulière. Les talibans ne s’adressent pas, ou très rarement, à une femme qui n’est pas de leur famille.

Un jeune taliban à la barbe naissante me dévisage avant de s’adresser à son compagnon d’armes. Ils éclatent de rire. Je demande à Munir, le fixeur qui m’accompagne, de me traduire ses paroles. « À l’époque de la République, on nous aurait ordonné de la tuer, aujourd’hui, on doit la protéger ! » Je ris jaune. Si demain, l’ordre était de m’exécuter, ils l’appliqueraient sans doute sans broncher, me dis-je. Je les vise avec mon appareil photo. L’un d’entre eux porte un drapeau aux couleurs de l’Émirat islamique : blanc siglé de la chahada, la profession de foi dans l’islam. Il l’a accroché dans son dos sur son gilet à munitions. L’autre est enveloppé dans un large châle blanc.

Il y a un an, en avril 2022, le gouvernement a publié un décret interdisant la culture du pavot. De nombreux agriculteurs, ne sachant pas si l’interdiction serait effective, et n’ayant pas d’autres moyens de subsistance, ont choisi d’ignorer l’injonction. Douze mois plus tard, alors que l’heure de la récolte approche, les campagnes de destruction ont pourtant bel et bien commencé à travers le pays.

Lors de leur premier règne, entre 1996 et 2001, les talibans avaient déjà tenté de bannir cette culture. D’abord parce qu’elle est considérée comme haram (illicite) dans l’islam mais aussi pour briser l’isolement international dans lequel se trouvait alors le pays. La production d’opium avait diminué. Mais après l’invasion par les États-Unis, de nombreux fermiers avaient repris de plus belle le semis des graines de pavot, soutenus par les seigneurs de la guerre remis au pouvoir par les Américains. Plus tard, l’argent de l’opium avait permis de financer l’insurrection talibane. Les insurgés taxaient lourdement les fermiers et protégeaient les plantations de Papaver somniferum dans les régions tombées sous leur contrôle. Le narcotrafic avait profité aux politiques de tous bords ! J’avais lu dans un rapport que les États-Unis avaient dépensé 1,5 million de dollars par jour pendant seize ans – de 2002 à 2018 – pour lutter contre la production de l’opium. En 2017, celle-ci était quatre fois supérieure à celle de 2002…  Un constat d’échec total ! En novembre 2022, l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime constatait encore que l’Afghanistan fournissait encore 80 % de la demande mondiale en opiacés (héroïne, morphine…).

 
Je mets un point d’honneur à leur montrer qu’une femme est pleine de ressources !
 

Les jeunes combattants qui m’accompagnent sont euphoriques, fiers d’accomplir la noble tâche qui leur est confiée. « Débarrasser le pays de l’opium, c’est une bonne décision ! » affirme le responsable local de la police antinarcotique. J’apprendrai plus tard de la bouche de Munir que ce zélé fonctionnaire cultivait le pavot sur un petit lopin de terre, et que ses propres hommes avaient détruit sa récolte, sans aucun état d’âme. J’acquiesce en prenant quelques clichés des paysages alentours.

Khan Zaman, un fermier dont les plantations de pavot vont être anéanties, surgit le visage défait, suppliant les autorités d’épargner son champ. « Dieu m’est témoin, je suis pauvre, j’ai une famille à nourrir », se lamente-t-il en levant les bras au ciel. Une épaisse barbe recouvre le bas de son visage. Il est vêtu d’une tunique crème, et coiffé d’un pakol marron, le couvre-chef de laine traditionnel. Sa cause est perdue d’avance. Il le sait. Lorsque je lui demande pourquoi il a continué à cultiver du pavot malgré le décret édicté par l’émir, il me répond avec une fausse naïveté qu’il n’en avait pas eu vent. Il n’a aucune idée de ce qu’il va faire. Il a bien quelques plants de moutarde, mais leur culture ne lui rapporte pas autant que celle du pavot. « Tout est dans les mains de Dieu », finit-il par lâcher sur un ton fataliste.

Sur la route qui menait au district de Ghaziabad, Farid Deqan, le porte-parole de la police de la province de Kunar, nous a expliqué que les plantations à détruire avaient été gardées secrètes jusqu’à ce matin. Une ambulance ferait aussi partie du convoi, a-t-il ajouté, « au cas où ça tourne mal, que des explosifs aient été placés dans un champ, ou que l’un des agriculteurs réagissent avec violence ».

- Est-ce déjà arrivé ? lui ai-je demandé.

- Non, mais on ne sait jamais !

Khan Zaman a l’air désemparé, mais il est peu probable qu’il nous ait tendu un piège. La veille, il ignorait encore que l’une de ses sources de revenus partirait en fumée le lendemain.

Un jeune soldat vient à notre rencontre. Il attrape mon trépied et le cale sur son épaule gauche, son arme déjà sur celle de droite. Un autre, coiffé d’une casquette siglée de la marque Puma, se propose de porter mes appareils photo. « Pas la peine ! » lui dis-je. Il insiste. Je lui explique que j’ai besoin de mon matériel si je veux pouvoir filmer et photographier. Il me le concède en opinant, puis désigne les quelques champs dispersés dans les hauteurs. « Il va falloir grimper. Ce n’est pas un problème ? » L’idée de crapahuter dans ces montagnes magnifiques, encadrée par une quarantaine de talibans pour la plupart âgés d’une petite vingtaine d’années, est assez déroutante. « Non, ce n’est pas un problème ! »

Le soleil commence à taper et je n’aperçois aucune zone ombragée. Je ne m’étais pas préparée à une marche en montagne. Heureusement, je suis chaussée d’une bonne paire de tennis. Nous nous mettons en route. Je cale mon rythme sur celui du soldat qui porte mon trépied. Tout en marchant, je filme ou photographie. La route laisse place à des chemins escarpés et pentus. Les habitations en torchis se confondent avec la roche. Leurs tons ocres s’accordent aux paysages alentour. Les terrains, agencés en terrasses, ponctuent le panorama de leurs verts intenses. Ma respiration se fait plus courte, mais il est hors de question de montrer quelque signe de fatigue. « Je vais y arriver ! Je vais arriver ! » Je me répète ce mantra en boucle, tout au long de l’ascension. Je mets un point d’honneur à leur montrer qu’une femme est pleine de ressources ! L’adrénaline aidant, je ne faiblis pas. Je me promets de ne pas me laisser semer. J’aurai tout le loisir de m’écrouler ce soir, dans ma chambre d’hôtel.

Après une demi-heure de marche, nous parvenons enfin à un premier champ de pavot. Il n’est pas très étendu. Les fleurs aux tons pourpres, roses et rouges scintillent dans la lumière du matin. Elles ont l’air si fragiles et si délicates ! Qui pourrait soupçonner leur pouvoir de nuisance en les voyant tressaillir gracieusement, titillées par un vent imperceptible ? Les fleurs sublimes, dont la capsule sécrète le latex maléfique, sont aussitôt fauchées par les soldats, à coup de crosse de kalachnikovs ou de bâtons. Je commence à filmer. L’un d’entre eux frappe les fleurs de la même façon qu’il frapperait une balle de cricket. J’en déduis qu’il a passé du temps au Pakistan, où il s’est initié à ce jeu. La mise à mort des pavots ne prend qu’une quinzaine de minutes. Les fleurs à terre, le signal est donné de filer vers un nouveau terrain à saccager. Je dois hâter le pas si je veux arriver avant que le carnage ne commence. Il me faut des images des fleurs se tenant debout !

Nous grimpons en direction d’un terrain perché sur la colline. Le groupe de soldats auquel j’ai emboîté le pas décide de prendre un raccourci. Je les suis, pugnace. Ils se déplacent avec agilité. J’essaye d’en faire autant. Le soleil m’éblouit. Je rêve d’une gorgée d’eau fraîche. Le chemin est de plus en plus abrupt. Je m’accroche aux branches des arbrisseaux, cale mon pied entre des pierres. L’abaya, la longue tunique noire que je porte, ne me facilite pas la tâche. Elle s’accroche à la moindre ronce. Je me prends les pieds dans ses pans et manque à plusieurs reprises de perdre l’équilibre. Les trois talibans qui me précèdent escaladent un muret végétal en s’aidant les uns les autres. J’évalue la situation : il m’est quasi impossible de continuer sans être aidée à mon tour. J’interpelle un jeune soldat, et lui signifie que j’ai besoin qu’il me donne un coup de main. Ma requête semble le plonger dans des affres de confusion. Pour dissimuler son embarras, il éclate de rire, et attrape mon avant-bras avec brutalité. Il pallie sa gêne par un manque total de délicatesse. Je laisse échapper un gémissement qui le désarçonne encore plus. Il me hisse, sans me regarder, et me relâche aussitôt que je me retrouve à sa hauteur. Je n’ai pas le temps de le remercier qu’il s’est déjà détourné. Ses compagnons d’armes le taquinent.

Nous atteignons le champ de pavots. Les soldats et policiers qui m’ont précédée ont attendu que je sois présente pour commencer leur travail. Je m’empresse de filmer les fleurs avant qu’elles ne soient anéanties, puis je fais un signe de la main pour signifier que j’ai fini. Bâtons et armes s’abattent en rythme saccadé. Les hommes mettent du cœur à l’ouvrage.

J’interviewe Ezatullah Seraj, qui dirige l’opération. Il m’apprend que les pavots ont déjà été arrachés dans neuf districts. Le programme d’éradication est effectivement mis en œuvre. Une amie journaliste qui est allée en rendre compte dans le sud du pays me le confirmera : la province du Helmand, réputée pour ses champs de pavot à perte de vue, s’est parée de champs de blé d’après elle. Je pose ensuite quelques questions à Khan Zaman qui me répète que c’est la pauvreté qui l’a poussé à cultiver le pavot : il a onze enfants à nourrir. Nous prenons congé. Je salue policiers et soldats.

- Tu es forte ! Nos femmes ne le sont pas autant, me lance l’un d’entre eux.

- Vraiment ? Vos femmes peuvent accoucher de onze enfants, et tu penses qu’elles ne sont pas assez fortes pour vous suivre lors d’une opération ?, dis-je en haussant les épaules.

Je les remercie pour leur temps et leur amabilité avant de m’installer sur le siège arrière de la voiture où je sens la fatigue m’assaillir. Mon niveau d’adrénaline chute. Une gamine aux cheveux roussis par le soleil s’approche de la fenêtre et me dévisage. Je lui souris. Elle est la seule présence féminine à laquelle j’aurai affaire. Je n’ai pas croisé l’ombre d’une femme de toute la matinée. Mon statut d’étrangère m’affranchit de la plupart des contraintes et des lois auxquelles les Afghanes sont soumises. Correctement couverte et munie de toutes les autorisations nécessaires, je peux travailler et me déplacer à ma guise. Les Afghanes ne jouissent pas de cette liberté. Nombreuses sont celles qui ont vu leur vie bouleversée au cours de ces vingt derniers mois.

Deux semaines auparavant, j’avais organisé un dîner à la maison. Un dîner entre femmes ! Arezoo, une copine afghane, m’avait demandé si elle pouvait venir accompagnée d’une de ses cousines. « Évidemment ! » lui avais-je répondu. Deux journalistes françaises, qui travaillent pour l’AFP et une amie humanitaire étaient invitées. Arezoo est arrivée vêtue d’un manteau de laine rouge, les bras chargés d’un énorme gâteau au chocolat. Elle nous a présenté sa cousine, Leyla, une jeune femme timide, aux yeux noirs et à l’air soucieux. Leyla habitait Mazar-e Charif, dans le nord du pays, mais venait d’arriver à Kaboul, où elle s’est installée chez Arezoo. Nous avons pris place sur les toushaks, de fins matelas qui encadrent une partie de la pièce.

- Pourquoi es-tu venue à Kaboul ?

Leyla a lancé un regard en direction de sa cousine, qui lui a souri, l’encourageant à parler.

- J’étais étudiante en dernière année de médecine…

Sa voix s’est brisée. Nous sommes demeurées silencieuses. À la fin du mois de décembre 2022, le ministère de l’Enseignement supérieur a publié une lettre stipulant que les Afghanes n’avaient plus le droit d’étudier à l’université. Leyla faisait partie de ces infortunées. Elle était sur le point de devenir médecin quand son rêve a été littéralement broyé. Il ne lui restait que six mois de cours avant de passer l’examen final et de recevoir son diplôme et son titre. J’ai balbutié une phrase du genre : « Quelle folie d’empêcher les femmes d’étudier… » En réalité, je ne savais pas quoi lui dire. Nous avons toutes échangé des regards impuissants. Nous aurions donné n’importe quoi pour pouvoir la rassurer, lui affirmer que les choses s’arrangeraient, qu’elle pourrait reprendre ses études et devenir médecin. Nous n’en savions rien. Personne n’en savait rien. Pendant près de six ans, elle avait étudié avec acharnement, et, alors que ses efforts allaient enfin être récompensés, elle se retrouvait face à un mur. C’était non seulement cruel, mais insensé. Empêcher les étudiantes en médecine de devenir docteures cela signifiait priver les femmes de la possibilité de se faire soigner dans les années à venir. Il est impensable pour une femme afghane de consulter un docteur masculin. Encore plus dans les zones rurales, plus conservatrices, où vit 70 % de la population.

Ce décret délétère s’inscrit dans une série de restrictions imposées aux femmes au fil des mois. D’abord, les jeunes filles ont été privées de collège et de lycée, puis les femmes n’ont plus eu le droit de voyager sans la présence d’un mahram (un homme de leur famille), de se rendre dans les parcs ou dans les salles de sport, mais aussi de travailler dans une ONG, et plus récemment au sein des différentes agences des Nations unies. La vie de Leyla, comme celle de milliers d’autres Afghanes, a été mise sur pause. Certaines, animées par une volonté d’apprendre qui force l’admiration, ont trouvé des solutions alternatives pour étudier : elles suivent des cours en ligne ou à la radio, notamment Radio Begum, une radio faites par des femmes pour des femmes, créée par Hamida Aman une Franco-Afghane combattante et visionnaire.

Depuis la reprise du pouvoir par les talibans en 2021, les Afghanes sont à nouveau prises en otage. Leur « libération » avait été un des prétextes avancés par les Américains pour justifier l’invasion militaire du pays en 2001. La reconnaissance de leurs droits avait été brandie comme un étendard pour légitimer en partie leur présence dans le pays. Aujourd’hui, l’un des principaux objectifs de l’Émirat islamique est de les abolir. Pour les uns comme pour les autres, les femmes et leur statut sont utilisés comme outil politique. Au sein même du gouvernement taliban, la question divise. De nombreux politiciens ont exprimé leur désaccord sur l’interdiction de l’éducation des filles.

Dans la majorité des provinces, notamment du sud du pays où les combats entre l’ex-armée afghane et les talibans ont fait rage pendant des années, la vie des femmes a été peu chamboulée par ces nouvelles lois. Leurs conditions de vie se sont même améliorées depuis le changement de régime puisque, la guerre étant terminée, la sécurité y est rétablie. Dans les campagnes, la majorité des femmes n’a jamais eu accès à l’éducation. Dans tout le pays, 23 % d’entre elles étaient capables de lire et écrire en décembre 2022, selon Relief International. Dans les zones rurales, ce chiffre flirte plutôt avec le zéro.
 

Pour les Américains comme pour les talibans, les femmes et leur statut sont utilisés comme outil politique.

 
« Leyla va travailler avec moi en attendant… », a lancé Arezoo. La jeune femme est cheffe d’entreprise. En février 2021, elle a créé une compagnie de fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables. Paniqué à l’arrivée des talibans, elle a fermé son usine, qu’elle a finalement rouverte deux mois plus tard. Elle emploie environ 25 femmes, dont des veuves n’ayant aucun moyen de subsistance. Les interdictions faites aux femmes de travailler dans certains domaines ne s’appliquent pas au secteur privé. Arezoo continue à mener sa barque avec détermination. Sa famille proche a trouvé refuge au Pakistan, le pays voisin. Elle refuse de partir. Animée d’une énergie qui semble intarissable et d’un sens de l’humour décapant, elle résiste. Ensemble, nous avons ri de situations cocasses auxquelles elle a été confrontée et qu’elle nous a racontées avec entrain. Comme cette entrevue au ministère du Commerce avec un fonctionnaire responsable de l’enregistrement officiel d’une compagnie auquel elle a expliqué sans ciller qu’elle fabriquait des serviettes hygiéniques réutilisables, essentielles pour que les femmes aient une bonne hygiène au moment de leurs règles. Honteux, le sujet étant extrêmement tabou dans le pays, son interlocuteur a gardé les yeux baissés durant tout l’entretien et a finalement donné son approbation sans même croiser son regard ! La soirée terminée, nous nous sommes promis de nous réunir régulièrement. Rire entre femmes est le meilleur exutoire qui soit. Une stratégie de survie.

Des stratégies, les paysans pauvres doivent aussi établir. Avec Munir, nous prenons la route pour la province voisine du Nangarhar. Dans le district de Dara-i Noor, une alternative à l’opium a été mise en place au début des années 2000. À l’époque, des fermiers ont troqué les fleurs de pavot contre des roses de Damas, une espèce très odorante, endémique en Afghanistan. J’aimerais savoir si le projet est viable, si, vingt ans plus tard, les graines de la réussite ont germé. L’idée de déambuler parmi les rosiers parfumés me ravit d’avance. À chaque jour son champ de fleurs ! me dis-je tandis que nous longeons des vallées verdoyantes surplombées d’un ciel orageux....

La photographe française Oriane Zerah vit en Afghanistan, où elle travaille depuis plus de dix ans. Elle nous emmène dans la vallée de la Kunar, où les talibans détruisent les champs de pavot.   Depuis que les talibans ont repris le pouvoir, en août 2021, j’interagis régulièrement avec eux. Les situations déconcertantes sont nombreuses, mais je ne m’y habitue toujours pas. Avant qu’ils ne s’installent à Kaboul, la seule évocation de leur nom me pétrifiait. Aujourd’hui, je m’apprête à les suivre, volontairement. Voilà douze ans que je vis en Afghanistan. J’y ai mis les pieds pour la première fois en 2011, et je n’en suis jamais vraiment partie. Au fil des années, toutes mes certitudes se sont brisées, une à une. Lorsque la République islamique d’Afghanistan est tombée à l’été 2021, j’ai été évacuée. Je craignais que Kaboul ne s’enflamme. Cela n’a pas été le cas. Trois semaines plus tard, j’étais de retour. Depuis, j’essaie de raconter, avec mes photos et mes écrits, ce « nouvel » Afghanistan. L’Afghanistan à l’ère des talibans. Il est à peine neuf heures du matin, nous sommes en plein mois de ramadan. Me voilà embarquée avec une patrouille des forces spéciales talibanes et des policiers de la brigade antinarcotique pour documenter la destruction des champs de pavot dans le district de Ghaziabad, dans la vallée de la Kunar, à l’est du pays. Certains m’observent à la dérobée, d’autres me filment, intrigués. Je ne suis pas la seule à vivre une situation singulière. Les talibans ne s’adressent…

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