Montmartre. C’est au 12, rue Cortot que logeait le poète Pierre Reverdy, interlocuteur privilégié d’André Breton, de Louis Aragon, de Philippe Soupault. C’est aussi ici, à quelques pas de l’espace Dalí, que le musée de Montmartre est désormais installé. Tout au long du XXe siècle, le quartier s’est imposé comme le point d’ancrage d’un mouvement que Breton a particulièrement incarné, avec son premier Manifeste du surréalisme en 1924. Si on évoque volontiers les grands noms du mouvement, on a parfois tendance à oublier les femmes, qui, nombreuses, ont pourtant gravité autour de cet épicentre. L’exposition Surréalisme au féminin ? propose de montrer à travers plus de 150 œuvres que les femmes surréalistes n’ont pas été absentes, mais plutôt invisibilisées au fil des décennies. Alix Agret, co-commissaire de l’événement avec Dominique Païni, précise : « Nous avons voulu d’une part, exhumer le travail d’artistes, plasticiennes et poètes largement oubliées en France, et d’autre part, interroger la notion de surréalisme, pour savoir si (et comment) ce mouvement majeur du XXe siècle avait intégré du féminin en son sein. »
Cette exposition part donc d’une question, d’une hypothèse, que les deux commissaires ont tenté de traduire à travers un parcours en sept grands pôles, allant parfois plus loin que les dates officielles du mouvement surréaliste : « Le parcours est thématique [le corps féminin dans la nature, le détournement des clichés sur la féminité, l’importance de la nuit, etc.] et fondé sur une des hypothèses qui ont irrigué notre réflexion sur ce qui pourrait être une des caractéristiques du surréalisme au féminin : la liberté avec laquelle ces artistes ont assumé une tendance à l’abstraction souvent proscrite chez leurs homologues masculins, explique Alix Agret. L’exposition suit donc cette trajectoire qui aboutit, dans la dernière salle, à une réflexion sur la manière dont ces artistes se dégagent de la figuration. »
Et si certains noms comme Dora Maar, Meret Oppenheim, Lee Miller ou Dorothea Tanning – dont le travail est présent au musée de Montmartre – peuvent paraître familiers à cer- tains, l’exposition va plus loin et ne se contente pas de s’en tenir aux quelques artistes les plus connues souvent associées au groupe surréaliste. Alix Agret précise : « Nous avons choisi de mettre en valeur des femmes comme Josette Exandier, Mimi Parent, Marianne Van Hirtum, Isabelle Waldberg, Suzanne Van Damme ou encore Ithell Colquhoun et Rita Kernn-Larsen pour n’en citer que quelques-unes… » Une géographie du surréalisme qui ne se borne pas aux frontières de l’Hexagone et qui nous montre qu’il s’agit d’un mouvement qui dépasse aisément les frontières, tant par la pertinence de ses œuvres, que par leur quantité.
Surréalisme au féminin ? met également en lumière cette quête de liberté, d’indépendance, teintée d’esprit de contestation contre le surréalisme établi, qui colorait la vie de ces femmes. Pourtant, Alix Agret le précise, « l’exposition se veut une série d’hypothèses plutôt que d’affirmations – d’où le choix d’intégrer un point d’interrogation dans le titre. Le sujet est trop vaste pour le résumer en quelques lignes ». Et cette dernière d’évoquer malgré tout trois points saillants, qui résumeraient de façon assez pertinente la démarche du surréalisme au féminin : une transdisciplinarité (cinéma, peinture, photographie, collage, etc.), un humour très présent, parfois voisin de l’ironie, et une vision au-delà des codes du surréalisme. Le troisième point est peut-être le plus intéressant, puisque, précisément, ces femmes incarnent à elles seules une certaine idée de la liberté de création : « Elles sont surréalistes non pas parce qu’elles adhèrent aux principes et aux règles du mouvement, mais parce qu’elles s’en échappent, appliquant donc le principe de liberté absolue dont les membres masculins du groupe se réclamaient », fait remar- quer Alix Agret. Le surréalisme se place alors comme un simple jardin, duquel elles peuvent cueillir quelques fruits, ou simplement les regarder mûrir, assises sur le côté.
Mais au regard de l’histoire de ces femmes, peut-on dire que Surréalisme au féminin ? est une exposition féministe ? À cette question, Alix Agret répond que « le geste même de réunir une cinquantaine d’artistes exclusivement féminines est féministe. À noter que beaucoup des artistes exposées auraient rejeté ce principe, refusant d’être réduites à leur identité féminine. Nous assumons néanmoins ce parti-pris pour les faire découvrir et les imposer comme des créatrices à part entière. C’est avant tout une manière de dire que leurs œuvres, plastiques ou littéraires, témoignent d’une puissance d’invention et d’un degré de réussite artistique comparables à celles des artistes masculins. »
Si l’on demande à la chercheuse et historienne de l’art d’évoquer une femme qui traduit la dynamique de l’exposition, Alix Agret cite volontiers Joyce Mansour : « cette poète égyptienne d’expression française incarne merveilleusement la sensibilité surréaliste. Elle fait preuve d’un grand sens de la provocation lors- qu’elle détourne (geste surréaliste par excellence) des clous, objets banals et “pauvres” s’il en est, pour en faire une sorte de sculpture-objet peu aimable (impossible de le saisir puisqu’il est hérissé de clous) et échappant aux définitions. »
À noter qu’en parallèle de l’exposition, la Cinémathèque française propose, dès le mois de juin, un cycle intitulé Quand les surréalistes allaient au cinéma, dans lequel la cinéaste américaine Maya Deren – également présente dans l’exposition montmartroise – sera mise en lumière.
À voir :
Surréalisme au féminin?, au musée de Montmartre, Paris 18e, jusqu’au 10 septembre 2023.
Quand les surréalistes allaient au cinéma, à la cinémathèque française, Paris 12e, du 14 au 24 juin.