La guerre du logement n’aura pas lieu

Vincent Aurez

Si nous le voulons, les prédictions des Cassandre de l’immobilier ne se réaliseront pas.

 

La crise du logement est annoncée par de multiples Cassandre depuis désormais plusieurs mois, parfois même bien davantage. En février 2022, l’investisseur Robin Rivaton évoquait la « bombe sociale à venir » dans une note implacable qui rappelait notamment que le logement est le principal poste de dépense des Français. Il relevait par exemple que les prix des logements ont progressé en France de 4,5 %, en moyenne et par an, depuis l’an 2000, un rythme bien supérieur à l’inflation et surtout à la progression du revenu brut disponible. Cette dynamique de hausse des prix, observée dans les bassins métropolitains, traduit une pénurie de logements sur ces territoires.

On estime à ce jour qu’il manquerait un million de logements en France pour satisfaire la demande. En Île-de-France, elle est estimée à 7 millions d’ici 2030 tandis que le stock de logements est de 5,9 millions. Une situation de pénurie que ne traduit pas l’évolution du nombre de permis de construire délivrés : depuis le début de l’année, il ne cesse de diminuer (une baisse de 11,5 % depuis janvier par rapport à la même période en 2022) au niveau national. La remontée des taux d’intérêt et la modification de la réglementation financière sur le taux d’usure viennent encore restreindre les capacités d’emprunt des particuliers.

Des données plus récentes laissent penser à l’aggravation d’une crise du logement, annoncée et dénoncée par de nouvelles Cassandre. En mai, les présidents des principales fédérations patronales de la construction et de l’immobilier (FFB, Fnaim, FPI, Unis) ont publié une lettre ouverte au président de la République pour avertir du « risque de bombe économique, sociale et sociétale que représente la crise du “pouvoir d’habiter” à laquelle font face nos concitoyens ».
Ils estiment que la baisse de la construction pourrait entraîner la perte de « plus de 150 000 emplois ». La Banque de France indique dans sa dernière note de conjoncture que le moral des chefs d’entreprise est au plus bas dans le gros œuvre.

Au-delà de l’offre disponible et en construction, on identifie aussi un stock de logements de plus en plus obsolètes sur le plan énergétique, ce qui aggrave les conséquences du manque de logements neufs pour les plus modestes à l’heure d’une forte inflation des prix de l’énergie. En Île-de-France toujours, on dénombre 2,3 millions de résidences principales dont le DPE (diagnostic de performance énergétique) est classé E, F ou G. Autrement dit, 45 % des logements peuvent être considérés comme des passoires thermiques ! Le logement social est touché presque dans les mêmes proportions, avec 29 % de son parc locatif, soit 354 000 habitations. En 2021 à l’échelle nationale, 1,7 million de personnes étaient en attente d’un logement social. Les réglementations adoptées vont progressivement interdire à la location ce stock de logements.

La Fondation Abbé Pierre indique dans son dernier rapport que 4 millions de personnes sont mal logées en France, et que plus de 14 millions d’habitants sont touchés par la crise du logement. Le nombre de personnes sans domicile fixe dormant dans la rue ou dans des hébergements d’urgence engorgés continue quant à lui d’augmenter année après année, étant passé de 150 000 en 2012 à 300 000, au moins, en 2022.

Face à cette pénurie de logements, un changement de paradigme doit prendre forme progressivement. En Île-de-France, les bureaux vides représentent plus de 4 millions de mètres carrés (+ 60 % en trois ans selon le groupe de conseil CBRE). On peine à imaginer ce que représente pareille superficie. Illustrons : quatre millions de mètres carrés, c’est l’équivalent de la surface au sol des quatre arrondissements de Paris Centre ! L’équivalent de 80 000 logements de 50 mètres carrés ou de 600 terrains de football. Nous avons à notre disposition des millions de mètres carrés vides.

Les récentes propositions de Robin Rivaton et Vincent Pavanello, cofondateurs de la plateforme Real Estech, sont des pistes politiques qui permettraient d’accélérer le recyclage de bureaux en logements. Ils proposent un double mécanisme, à la fois incitatif et punitif, pour rendre cette mutation plus attractive : d’un côté, une taxe sur les bureaux vides, de l’autre, un dispositif de soutien aux communes augmentant le nombre de logements collectifs.

Les initiatives des sociétés de gestion immobilière qui développent des solutions d’investissement dans le recyclage de bureaux en logements sont salutaires. Mais la mobilisation de l’épargne à cette fin reste pourtant encore marginale à l’échelle des enjeux : à ce jour, on estime que plus de 90 % de l’épargne immobilière est dirigée vers la location de surfaces tertiaires existantes, soit un capitalisme de rente. Plusieurs exemples montrent qu’une autre voie est possible dans le domaine du financement et de l’investissement. 

Le premier est Habitat et Huma-nisme, la foncière solidaire fondée il y a trente-huit ans pour répondre à l’exclusion et l’isolement des personnes en difficulté, qui vient d’annoncer son 10 000e logement financé grâce à l’épargne solidaire. Le baromètre finance solidaire de FAIR-La Croix indique une croissance de 26,6 % de l’épargne solidaire en France entre 2021 et 2022, après une augmentation de 33 % entre 2020 et 2021. Celle-ci finance en partie le logement au bénéfice du plus grand nombre. Elle ne représente toutefois que 0,41 % de l’épargne financière des Français.

L’assurance-vie, poche d’épargne préférée des Français avec 1 800 milliards d’euros d’encours, peut être mobilisée pour financer la production de logements. Les bénéfices environnementaux d’une conversion de surfaces tertiaires obsolètes en surfaces résidentielles sont directs. Ces voies nécessaires à un nouvel aménagement urbain, faisant preuve d’ingéniosité en densifiant verticalement et horizontalement les espaces urbains, grâce à la conversion d’usages notamment, sont nommées « compact land use » par le GIEC. D’aucuns critiquent cette solution au prétexte qu’elle ne saurait résoudre, seule, la pénurie de logements. Certes, le recyclage de bureaux en logements ne représente qu’une partie de la solution, mais pouvons-nous nous permettre le luxe de ne pas essayer de la mettre en œuvre ?

En septembre 2022, la création d’un Conseil national de la refondation du logement semblait amorcer une prise de conscience politique au niveau national. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la restitution de ces conclusions, prévue en mai 2023, a été reportée… Quelles qu’elles soient, les solutions pour répondre à la pénurie de logements qui s’aggrave nécessiteront un effort sans précédent. « Mes amis, c’est la guerre », disait déjà Henri Grouès, mieux connu sous le nom d’abbé Pierre, il y a plus de quarante ans.

À la fin de La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Hector et Ulysse tentent à tout prix de sauver la paix. Mais le futur est l’affaire de la fatalité et non de la volonté des hommes : la guerre de Troie aura lieu. Tout comme elle, la guerre du logement aura bien lieu, elle sévit même depuis près d’un demi-siècle. Il serait bon de la gagner, d’autant que les données aussi bien financières qu’immobilières prouvent que nous en avons les ressources en termes de capacités d’investissement et de foncier disponible (sans forcément aggraver l’étalement urbain). Même si nous manquons cruellement de logements, des solutions existent. Si la crise est déjà là, nous pouvons néanmoins en diminuer la portée et mettre en œuvre dès maintenant les éléments durables de sa résolution. Mobilisons-nous ! 

 

Vincent Aurez est directeur de l’innovation et du développement durable chez Novaxia et membre du conseil d’administration de l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP)....

Si nous le voulons, les prédictions des Cassandre de l’immobilier ne se réaliseront pas.   La crise du logement est annoncée par de multiples Cassandre depuis désormais plusieurs mois, parfois même bien davantage. En février 2022, l’investisseur Robin Rivaton évoquait la « bombe sociale à venir » dans une note implacable qui rappelait notamment que le logement est le principal poste de dépense des Français. Il relevait par exemple que les prix des logements ont progressé en France de 4,5 %, en moyenne et par an, depuis l’an 2000, un rythme bien supérieur à l’inflation et surtout à la progression du revenu brut disponible. Cette dynamique de hausse des prix, observée dans les bassins métropolitains, traduit une pénurie de logements sur ces territoires. On estime à ce jour qu’il manquerait un million de logements en France pour satisfaire la demande. En Île-de-France, elle est estimée à 7 millions d’ici 2030 tandis que le stock de logements est de 5,9 millions. Une situation de pénurie que ne traduit pas l’évolution du nombre de permis de construire délivrés : depuis le début de l’année, il ne cesse de diminuer (une baisse de 11,5 % depuis janvier par rapport à la même période en 2022) au niveau national. La remontée des taux d’intérêt et la modification de la réglementation financière sur le taux d’usure viennent encore restreindre les capacités d’emprunt des particuliers. Des données plus récentes laissent penser à l’aggravation d’une crise du logement, annoncée et dénoncée par de nouvelles Cassandre. En mai, les présidents des principales fédérations patronales de la…

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