Caché aux yeux de tous

Ses amis l’avaient toujours surnommé « L’Américain » parce qu’aux États-Unis, lors de ses voyages avec Michel et Emmanuel, jadis, quand l’insouciance régnait, quand on achetait des bagnoles pas très cher pour leur faire traverser l’Atlantique et les revendre avec une marge sur le Vieux Continent, X. pouvait vraiment passer pour un local. Et ce n’était pas qu’une question d’accent, qu’une façon de mâcher les mots de cette langue dûment apprise à l’école française avec en ligne de mire les soirées aux couverts en or dans la salle de bal de Buckingham, c’était aussi son art de singer une façon de penser, de porter le costume mental américain, cette foi mi-naïve mi-orgueilleuse – qui est -plutôt valeur que croyance – en l’individu capable de tout. Et ces derniers mots, « capable de tout », auraient bien plus tard une tout autre résonance quand l’Amérique ne serait plus qu’une collection de souvenirs et de cartes postales dans une boîte à chaussures, quelque part à Nantes.  X. repensait à cette boîte à chaussures alors que, sur le pont de son voilier qui avait mis le cap sur le continent américain, il n’en portait précisément pas, de chaussures. Il fendait une mer bleue comme celle, fantasmée, des azuléjos – ces carreaux de faïence de la péninsule ibérique qui recouvrent les bâtiments. Le soleil se couchait pour la quinzième ou seizième fois – il n’en était pas sûr – depuis qu’il avait pris la mer, et il se couchait bien en face de lui, comme une étoile du…