Armer la politique

Perrine Simon-Nahum

Que faire contre la remise en cause de plus en plus courante du modèle démocratique ?

 

Les événements récents nous alertent sur l’état de nos démocraties. On ne pense pas seulement aux émeutes qui viennent d’enflammer les banlieues ou les villes moyennes françaises peu coutumières du fait. Partout la démocratie semble en recul dans l’esprit des citoyens et l’exception notable de l’Espagne ne doit pas conduire à détourner les yeux des discours nationalistes qui, en Pologne ou en Hongrie, viennent nourrir l’hostilité à la démocratie. La situation est en partie inédite dans la mesure où les assauts contre la démocratie proviennent moins d’ennemis situés à l’extérieur des frontières que du désamour des opinions à son égard. Sans doute est-ce ce qui explique que les réponses traditionnelles soient aujourd’hui inopérantes. L’idée de politiques redistributives plus efficaces tout comme les propositions de réformes institutionnelles ne semblent pas de nature à répondre à cette « fatigue démocratique ». Pour calmer la détresse ou la colère à laquelle se laissent aller des populations qui y sont encouragées, il est nécessaire de revoir nos fondamentaux. 

Pourquoi ce désamour à l’égard de la démocratie ? Sans doute parce que nous l’avons habillée d’habits trop grands pour elle. À l’heure de la « démocratie providentielle » (D. Schnapper), où chacun apprécie ses bienfaits à l’aune du bien-être matériel et moral qu’elle lui procure, ses adversaires ont beau jeu d’affirmer qu’elle n’en fait jamais assez. La décennie qui vient de s’écouler a semblé leur donner raison, témoignant de l’épuisement de l’État providence et de l’incapacité des politiques publiques à compenser les inégalités économiques et sociales. Les dernières années, cumulant les effets de l’épidémie de covid et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont encore accentué les insuffisances de la démocratie aux yeux de ses détracteurs, mettant en lumière l’impuissance du politique. Le déclenchement de l’épidémie a souligné la lenteur des réactions et la difficulté à gouverner en temps d’incertitude, l’impossibilité à concilier décision démocratique et état d’urgence, au point que certains en France, évoquant la loi du 22 mars 2020, ont pu parler de « coup d’État » sanitaire, les procédures parlementaires s’étant trouvées court-circuitées. La lenteur à informer les populations, notamment au sujet des inflexions des politiques sanitaires et leurs motifs, ont témoigné de l’inadaptation de la démocratie à une situation d’exception. Certains ont même été jusqu’à offrir en exemple le traitement réservé par des régimes autoritaires comme la Chine à leur population sacrifiée à la doctrine du zéro covid. Quant au déclenchement de la guerre en Ukraine, s’il a suscité une réaction rapide au niveau européen, il a fait apparaître en même temps la difficulté qu’il y a à répliquer au niveau des institutions internationales à un pays qui enfreint les règles les plus élémentaires du droit. Pourtant, qu’il s’agisse des défis structurels (environnement, sécurité des personnes et des biens) ou plus conjoncturels à l’image de la pandémie – dont nous avons l’assurance que d’autres lui succèderont –, le bilan demeure au bénéfice des démocraties, à condition de comprendre que, comme la plus belle fille du monde, celle-ci ne peut donner que ce qu’elle a.

Le jugement négatif porté à l’encontre de la démocratie repose en réalité sur une mécompréhension de la nature des vertus démocratiques. Ce qui apparaît comme des insuffisances ou des faiblesses de nos démocraties aux yeux de leurs adversaires en constituent en réalité la force. Il suffit pour s’en convaincre d’opérer une inversion du regard et de partir non pas de ses réalisations politiques toujours déceptives – ce sont les « vertus négatives » de la démocratie dont parle Raymond Aron, lesquelles ne se révèlent que lorsque nous en sommes privés – mais des expériences quotidiennes que nous en faisons dans notre vie quotidienne. À ceux qui l’accusent de manquer d’une transparence absolue, il n’est pas très difficile d’objecter qu’aucun d’entre nous ne souhaiterait vivre sans aucun secret sous le regard des autres. De même lorsque nous avons à prendre une décision, il nous importe de prendre le temps de la décision, pour peser le pour et le contre, consulter nos proches, voire même, le cas échéant, pouvoir changer d’avis. C’est exactement ce qu’autorise la démocratie sur le plan individuel mais aussi collectif. Loin de la réactivité immédiate et de la transparence totale qu’exigent d’elle ses adversaires, mais dont, encore une fois, aucun d’entre eux ne voudrait pour sa propre existence, elle offre le temps long de la consultation et du débat, recherche le compromis et s’octroie même la possibilité de revenir en arrière si la majorité vient à changer. Ainsi non seulement aurait-elle tort de s’engager sur le terrain de ses adversaires – elle y sera toujours moins efficace car moins radicale et moins violente –, mais aussi doit-elle se garder de le faire.

Pourtant au-delà de la démocratie, c’est la politique elle-même qui doit être relégitimée. Cela passe d’abord par le refus d’un détournement politique de la langue et le rétablissement du respect dû aux institutions, à commencer par celui que les citoyens sont en droit d’exiger de la part de ceux qui prétendent les représenter. 

Tout est ici une affaire de représentation. L’un des effets de la mondialisation et de la financiarisation de nos sociétés aura été de rassembler le pouvoir en un nombre de mains toujours plus restreint et dans un entre-soi condamnable. Il donne ainsi le sentiment d’être confisqué. Effet encore accentué par les médias sans lesquels il est impossible d’exister. Ce principe a conduit à l’émergence de nouveaux leaders au sein des partis de la droite comme de la gauche radicale lesquels, outre leurs talents, ont en commun de répondre aux critères de l’époque : la jeunesse et l’absence de mesure dans les propos qu’ils tiennent.

Il y a peu de doute sur le fait qu’en démocratie le pouvoir doit circuler et se renouveler, ne serait-ce que pour répondre aux enjeux nouveaux qui se présentent. Le problème concerne l’envie qu’ont les citoyens de l’exercer. La question est donc en un sens moins « qui ? » que « pour quoi faire ? » Il est intéressant de voir que le renouvellement du personnel de l’Assemblée nationale lors des élections législatives du printemps 2022 a semblé faire long feu. L’idée des noces entre la « société civile » et le pouvoir s’est souvent soldée par un échec, les uns basculant dans la démagogie, les autres comprenant la nécessité de se professionnaliser. Le pouvoir doit non seulement donner le sentiment qu’il est au service du plus grand nombre, mais il a besoin d’être incarné par des gens compétents. Cela passe par la formation des personnels politiques. Être en politique ce n’est pas seulement une vocation ; c’est un métier. Cela suppose un changement radical du mode de circulation entre les différents niveaux politiques. Il serait essentiel, par exemple, de revenir au cumul des mandats, limitée en France depuis une loi de février 2014. Cela créerait un sas de formation et permettrait de retrouver aux sommets de l’État un personnel ayant fait la preuve de son sens de l’intérêt général et du service public dans la mesure où il se serait préalablement formé dans des fonctions à forte responsabilité mais à faible reconnaissance, aussi bien pécuniaire que médiatique. La question de la rémunération des hommes politiques doit également être abordée pour redonner à ces fonctions une véritable attractivité mais aussi pour mettre ceux-ci à l’abri d’autres tentations. Faute de quoi nous ne trouverons à ces postes que les plus avides ou les plus médiocres. Enfin, ce sont les citoyens eux-mêmes qu’il s’agit d’intéresser à l’existence d’un pouvoir représentatif. Les consultations ou les conventions citoyennes ont fait un pas dans cette direction mais leur inachèvement dans la pratique a généré chez les participants de l’incompréhension, voire de la frustration. Il faut donc les compléter par une pédagogie de la représentation, apte à convaincre que dans le renouvellement du contrat social que constituent chaque jour les institutions s’inscrit la possibilité de vivre en paix en société....

Que faire contre la remise en cause de plus en plus courante du modèle démocratique ?   Les événements récents nous alertent sur l’état de nos démocraties. On ne pense pas seulement aux émeutes qui viennent d’enflammer les banlieues ou les villes moyennes françaises peu coutumières du fait. Partout la démocratie semble en recul dans l’esprit des citoyens et l’exception notable de l’Espagne ne doit pas conduire à détourner les yeux des discours nationalistes qui, en Pologne ou en Hongrie, viennent nourrir l’hostilité à la démocratie. La situation est en partie inédite dans la mesure où les assauts contre la démocratie proviennent moins d’ennemis situés à l’extérieur des frontières que du désamour des opinions à son égard. Sans doute est-ce ce qui explique que les réponses traditionnelles soient aujourd’hui inopérantes. L’idée de politiques redistributives plus efficaces tout comme les propositions de réformes institutionnelles ne semblent pas de nature à répondre à cette « fatigue démocratique ». Pour calmer la détresse ou la colère à laquelle se laissent aller des populations qui y sont encouragées, il est nécessaire de revoir nos fondamentaux.  Pourquoi ce désamour à l’égard de la démocratie ? Sans doute parce que nous l’avons habillée d’habits trop grands pour elle. À l’heure de la « démocratie providentielle » (D. Schnapper), où chacun apprécie ses bienfaits à l’aune du bien-être matériel et moral qu’elle lui procure, ses adversaires ont beau jeu d’affirmer qu’elle n’en fait jamais assez. La décennie qui vient de s’écouler a semblé leur donner raison, témoignant de l’épuisement de l’État providence et de l’incapacité…

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