Cherchez la femme

Michel Palmieri

« Tout est dans tout » proclamait à peu près Anaxagore, repris en substance, vingt-trois siècles plus tard, par Lavoisier. « Et réciproquement », ajoutait plus récemment Pierre Dac.

« Tout est dans ce qui manque », nuance Florent Oiseau dans son dernier roman, évocation mélancolique et pourtant réjouissante d’un amour perdu, ou peut-être seulement égaré. Le narrateur, un je affublé d’un patronyme renvoyant aux heures glorieuses du cinéma italien – Laurentis, à un i près le nom du grand Dino, producteur de Fellini, Rossellini et Visconti, entre beaucoup d’autres – est écrivain. Publié, mais peu lu ; reconnu, mais mal connu. À lui, tout ce qui manque n’est ni l’argent, même s’il n’afflue pas, ni le succès qui pourtant se dérobe, ni la santé, qui s’en préoccupe dans ses jeunes années ? Non, ce qui lui manque c’est l’autre, la seule, l’élue. Ana. Celle pour qui (à qui ?) l’auteur écrit ce livre comme une longue lettre ouverte dont il imagine, ou espère, qu’elle écrira la fin. Le happy end.

Sans autre but que trouver la matière de son prochain roman, une histoire qui formera l’architecture prétexte d’une tentative désespérée de (re)séduire celle qui l’a aimé, celle qu’il aime toujours, Laurentis prend le large. Pas pour l’un de ces voyages lointains, sur les traces de Marco Polo ou de Christophe Colomb, d’Arthur Rimbaud ou de Paul Gauguin, non. Nettement moins aventureux, il nous entraîne dans un minuscule village de Dordogne pour un séjour dans la maison de ses parents disparus, se laissant aller çà et là à l’évocation d’un passé pas toujours prestigieux. À l’occasion de ces pérégrinations géographiques et mémorielles, se déploie l’humour élégant de Florent Oiseau, d’une exceptionnelle efficacité : rares sont les écrits qui provoquent le sourire, voire le rire. Tout ce qui manque est de ceux-là. Au long de cette trame maussade, on croise un chien perdu en quête d’un maître – un bâtard « qui ressemblait à tous les chiens qui ne ressemblent à rien » –, un taulard devenu écrivain et parcourant les provinces pour promouvoir son grand œuvre, une accorte sexagénaire branchée cul et LSD, des hordes de retraités en lamentable goguette, un patron de bistrot alcoolique vivant avec le souvenir de son unique amour réincarné dans une carpe japonaise… Avec, en fil rouge, une mystérieuse enquête de gendarmerie sur la piste d’un tueur de chiens, qui connaîtra une résolution abracadabrante. Et toujours, bien sûr, l’omniprésente et omnipotente Ana, dont les rares messages et les longs silences rythment le récit. Malgré ce désordre alangui et cette ambiance foutraque, s’étonne le narrateur, son roman avance : « Si le village se révélait une surprenante source d’inspiration, j’étais encore plus stupéfait par ma facilité à parler d’amour. » Pour le lecteur attentif, la surprise sera moins brutale, tant le sentiment amoureux, même pudiquement dissimulé dans les méandres d’anecdotes drolatiques, est le substrat, la source d’inspiration de cette brillante confession.

Tout ce qui manque est le cinquième roman de Florent Oiseau, après l’admirable Les Fruits tombent des arbres en 2021, prix Fontvieille « du roman qui fait du bien ». Comme les précédents, il est nourri des expériences contrastées de celui qui, à 33 ans, a déjà eu plusieurs vies : plongeur, barman, employé d’une compagnie de wagons-lits, réceptionniste dans l’hôtellerie, pion… Avant de s’adonner à l’écriture en 2016 avec Je vais m’y mettre. Malgré la multiplication des emprunts au passé de l’auteur, il est impossible de le confondre avec le narrateur, qui affirme, sans vraiment le déplorer, que « seuls quelques libraires illuminés et une poignée de journalistes apprécient [l]es romans ». Preuve définitive que Laurentis n’est pas Oiseau et que Tout ce qui manque n’est pas une autobiographie mais une fiction. 



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