Loin des fantasmes et des idéologies

Instructions pour l’école

Vincent Peillon

Malgré les réformes, la situation de l’école ne semble pas s’améliorer. Pour la transformer vraiment, replongeons-nous dans les travaux de théoriciens éclairés et inspirons-nous modestement des expériences étrangères plutôt que d’ânonner que “c’était mieux avant”.

 

Chacun rêve de l’école idéale et nombreux sont ceux qui en ont une idée précise : les enfants y apprendraient dans la joie, développeraient au mieux leurs potentialités intellectuelles, physiques, artistiques, cultiveraient le partage, l’entraide et la fraternité. Mais les rêves se brisent sur la réalité, et l’école demeure pour beaucoup un lieu où la peur de l’échec le dispute parfois à l’ennui. Pourquoi un tel écart entre le rêve et la réalité ?

L’école semble illustrer la célèbre réplique de Tancrède Falconeri dans Le Guépard : « il faut que tout change pour que rien ne change ». On fait des réformes, tout le temps, et pourtant tout est toujours pareil, voire, pour les plus pessimistes, tout va de mal en pis. En dix ans, on aura réformé la formation des enseignants (plusieurs fois), les maquettes des concours de recrutement (plusieurs fois), l’enseignement professionnel (plusieurs fois), le baccalauréat, les procédures d’admission dans le supérieur, de nombreux programmes, le collège, l’enseignement prioritaire, le lycée. Rien que ça ! L’école est un charivari permanent qui laisse les observateurs perplexes et les acteurs désemparés. Personne ne sait plus ce qu’il en est, qui a fait quoi, ce qui existe réellement. C’est ainsi qu’on peut voir des ministres astucieux ou cyniques annoncer la création de dispositifs qui existent déjà et des journalistes transmettre benoîtement la bonne nouvelle.

Face à l’agitation frénétique de ce que d’aucuns décrivaient autrefois comme un mammouth, à cet empilement de décrets et de circulaires, de plans et de concertations de tous poils, la première question que l’on doit se poser, avant de décrire notre école idéale et toute de blanc vêtue, c’est donc : pourquoi toutes ces réformes annoncées à grands cris ne changent, en définitive, rien ? Car en matière éducative comme en tant d’autres, il arrive que l’enfer soit pavé de bonnes intentions et que les plus beaux projets se transforment en cauchemars une fois passés sous les fourches caudines de Bercy, les arbitrages de Matignon et les rouages puissants, nombreux et émollients du ministère lui-même !

Tout d’abord, dans notre pays, le débat permanent sur l’école n’est pas un débat rationnel. Ce n’est pas non plus un débat apaisé. C’est un débat politique et idéologique où dogmes, anathèmes et procès en sorcellerie occupent le devant de la scène. Cet état de fait, qui transforme l’école en lieu d’affrontements, relève de plusieurs causes.

En France, l’école a un statut particulier lié à son histoire, qui fait qu’elle est toujours un objet politique chaud, surdéterminé, l’enjeu de luttes qui n’ont rien à voir avec la réussite des élèves. Dans le modèle républicain français issu de la Révolution, il appartient à l’école de produire le citoyen. C’est ce qui explique l’importance des projets d’éducation au cœur de la Révolution française et de la Première République. C’est ce que l’on retrouve avec la Seconde République, puis encore, bien entendu, avec la Troisième, celle des hussards noirs chers à Charles Péguy. Les lois Ferry, l’obligation scolaire, la laïcité, la gratuité restent le symbole de ce que fut l’établissement de la république en France.

Dans Le Peuple, essai publié en 1846, Michelet écrivait : « Quelle est la première partie de la politique ? L’éducation. La seconde ? L’éducation. La troisième ? L’éducation. » C’est bien une question politique. Et comme la politique est le lieu du conflit, il ne faut pas sous-estimer ce que fut celui-ci, qui reste notre héritage. Car tout au long du XIXe siècle, la guerre des deux France s’est déroulée d’abord autour de l’école. « L’instituteur à l’école, le curé à l’église, le maire à la mairie » : cette formule de Ferdinand Buisson, qui propose l’indépendance du maître d’école à l’égard du pouvoir de l’Église et du pouvoir politique, fut une conquête laborieuse et précieuse. L’opposition s’est formée entre une tradition qui empruntait à l’Église, toujours associée à la réaction ou au conservatisme, se fondant sur l’idée d’une nature pécheresse et mauvaise devant être disciplinée, dressée, et une culture plus moderne voulant travailler à l’épanouissement de l’élève. Dans un cas, il s’agit de produire un citoyen qui obéit ; dans l’autre, un citoyen qui croît, délibère, raisonne, exerce sa liberté. Deux pédagogies, qui sont aussi deux anthropologies, deux théologies et deux modèles politiques.

On pourrait penser que cette querelle est derrière nous et que tout cela appartient à un passé révolu. Ce serait une erreur. Cette querelle reste pleinement d’actualité. C’est elle qui se cache derrière l’affrontement qui oppose avec tant de vivacité les partisans de l’instruction, des disciplines, à ceux de la pédagogie. Elle est pourtant totalement ridicule, et surtout fallacieuse tant du point de vue historique que philosophique. Ici encore, la doctrine républicaine est présentée sous un faux jour et sert d’étendard à ceux qui l’ont toujours combattue. Alors que Michelet refusait d’opposer instruction et éducation, alors que Ferry et Buisson citaient les pédagogies de Pestalozzi et de Fröbel, alors que les républicains créaient les premières chaires de pédagogie et rédigeaient le fameux Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, on voudrait aujourd’hui opposer une conception républicaine de l’école et la pédagogie.

L’école idéale est une école où l’élève ne sépare pas son corps de son esprit, où sensibilité et intelligence se développent ensemble, où l’action, la coopération, le projet trouvent toute leur place, où l’apprentissage du commun ne se fait pas à partir du mépris de la singularité. Ce modèle n’est pas celui de ceux qui rêvent de dictées, de blouses grises et d’uniformes, d’une mise au pas disciplinaire. Leur modèle n’est pas celui des républicains mais celui des écoles des frères chrétiens. Leur culture est celle de l’Église. Et ce clivage, comme le clivage social, dépasse largement la droite et la gauche. Le projet national porté par eux n’est pas de faire réussir tous les élèves mais d’en sélectionner quelques-uns. Cette histoire qui ne passe pas est aussi ce qui explique que la France soit le seul pays du monde où l’argent public va à des établissements privés qui font concurrence au service public sans avoir à en satisfaire les obligations puisqu’ils peuvent choisir leurs élèves et les faire contribuer financièrement. La Cour des comptes elle-même vient de s’en émouvoir.

 
Le fameux “lire, écrire, compter”, que chacun revendique dans la nostalgie de l’école de Jules Ferry, n’était pas du tout son modèle.
 

Cet héritage très politique est une première explication. Mais il y en a une seconde. L’école, tout le monde la connaît, directement par son expérience propre et à nouveau par ses enfants. S’il y a plus de 12 millions d’élèves et près de 1 million d’enseignants, il y a surtout plus de 60 millions de spécialistes de l’école en France ! Chacun a son avis sur l’état de l’institution et bien entendu sur ce qu’il conviendrait de faire pour l’améliorer. Le problème est que le point de vue de chacun est bien naturellement un point de vue particulier, lié à une histoire particulière. Ce n’est pas du tout la même chose d’avoir été élève d’une école rurale à plusieurs niveaux, d’une école de REP+ ou d’une école de centre-ville. Ce n’est pas la même chose non plus d’avoir été élève de lycée professionnel ou d’un lycée avec des classes préparatoires. Et ainsi de suite. Il en est de même pour le métier d’enseignant. Il est très différent selon les lieux où l’on exerce, selon les disciplines que l’on professe et les niveaux où on les enseigne. Alors que l’école a précisément pour objet d’opérer ce que le psychologue de l’enfant et de l’apprentissage Jean Piaget appelle la « décentration », c’est-à-dire la capacité de voir d’un autre point de vue que le sien, les discours sur l’école sont une multiplicité de points de vue particuliers croyant avoir valeur générale. L’école n’est pas un objet de connaissance et on peut dire à son propos n’importe quoi. Le niveau du débat sur l’école est profondément affligeant.

Il existe pourtant des études portant sur les questions scolaires, des évaluations conduites avec rigueur, des acquis de la recherche aussi bien en ce qui concerne la psychologie de l’enfant, la psychologie cognitive, les didactiques des disciplines, les pédagogies diverses. La sociologie de l’éducation et l’éducation comparée produisent des résultats fiables et instructifs. Dans n’importe quel autre domaine, que ce soit pour construire un pont, réparer un ordinateur ou se faire opérer d’une hanche, on considère qu’il est préférable de faire appel à des spécialistes qui s’appuient sur des connaissances et des techniques éprouvées. Ce n’est pas le cas pour ce qui concerne l’école. Ici, chacun, sans aucune connaissance de l’histoire de l’éducation, de la psychologie de l’enfant, des pédagogies et de leurs évaluations, de la sociologie de l’école, se prétend capable de poser les bonnes questions et d’apporter les bonnes réponses. Cela conduit à faire régner l’ignorance, la suffisance et la bêtise en maîtresses des débats. Nous avons déjà évoqué l’absurdité et le contresens qui ont conduit à opposer avec tant de véhémence l’instruction et la pédagogie. On pourrait prendre d’autres exemples. Le fameux « lire, écrire, compter », que chacun revendique dans la nostalgie de l’école de Jules Ferry, n’était pas du tout son modèle. Jules Ferry et les républicains prônaient une « éducation libérale ». Leur idée était que l’école de la République devait enseigner le meilleur de la culture à tous les enfants. Lire, écrire, compter, bien entendu, mais aussi avoir accès aux beaux-arts, à la morale, à la science, à la philosophie.

On ferait bien de remarquer d’ailleurs qu’en France les élèves ne manquent pas d’heures consacrées aux apprentissages fondamentaux, puisqu’ils disposent de quinze heures hebdomadaires à cet effet. La question n’est donc pas d’en rajouter. Nous sommes le pays de l’OCDE qui dispense le plus ces enseignements ! Elle est bien plutôt de se demander pourquoi, malgré ces volumes horaires importants, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Pour ce qui concerne la dictée, qui revient à la mode, Jules Ferry mettait en garde contre ses abus. Et disait clairement qu’à l’apprentissage contraint des règles et aux exercices mécaniques, il préférait ceux qui permettaient aux élèves de discerner et saisir le sens dans les textes. En somme, qu’on éveille et excite leur spontanéité. Il en va de même pour l’uniforme, qui n’a jamais existé que dans le lycée impérial ou certaines écoles confessionnelles. Le port de la blouse servait seulement à prévenir les taches que l’encre pouvait causer sur nos vêtements. C’était « mieux avant », mais on ne disposait ni de stylos à bille ni de stylos à encre, uniquement de plumes et d’encriers. La machine à laver n’existait pas non plus et on avait que peu d’habits.

Même inanité en ce qui concerne les discours ubuesques sur le niveau qui baisse, alors que le lycée était auparavant réservé à une infime partie de la population – moins de 100 000 élèves après la Seconde Guerre mondiale – et que la moitié des Français à peine obtenait le certificat d’études ! Pour ce qui concerne la laïcité, rappelons que « les devoirs envers Dieu » sont restés dans les instructions officielles jusqu’en 1923. Cette ignorance de l’histoire, des réalités et des principes de l’école n’est pas l’apanage des incultes, des « sauvageons », des « gens qui ne sont rien », des « sans-dents ». Elle se retrouve au sommet de l’État comme chez les faiseurs d’opinion et elle est tout à fait caractéristique des élites françaises. Il faut bien reconnaître que cette ignorance satisfait leur intérêt. Ils sont les produits d’un système qui a été bon pour eux et qu’ils veulent préserver pour leurs enfants. C’est pourquoi il serait utile d’abord de faire partager ces connaissances sur l’école. On pourrait créer un Institut des hautes études de l’Éducation nationale où l’on proposerait des formations aux fonctionnaires, aux élus, aux journalistes. On pourrait aussi considérer que cela mériterait d’être enseigné sérieusement dans les écoles de formation des fonctionnaires nationaux et territoriaux. Mais il ne faut toutefois pas être naïf. La connaissance n’y suffira pas. Car derrière cette politisation et cette ignorance, il y a non seulement une volonté délibérée de ne pas savoir mais aussi l’exercice assumé, serait-ce hypocritement, d’une violence sociale. C’est ici une troisième raison que les utopistes doivent bien méditer. L’école est en France à la fois le lieu des injonctions contradictoires et de la sécession hypocrite des élites.

Le lieu des injonctions contradictoires. On ne cesse de parler de « vivre ensemble », mais l’école ne fait que trier, séparer. On n’élève pas nos enfants ensemble. Ils ne sont ni dans les mêmes établissements, ni dans les mêmes filières. Et manifestement le choix est, ces dernières années, d’amplifier encore ce « séparatisme ». On ne cesse aussi de nous parler « d’employabilité », en nous expliquant que les élèves d’aujourd’hui seront appelés à changer plusieurs fois de métier, qu’il faut donc développer la capacité à apprendre, et pourtant on promeut la formation à des métiers spécialisés plus tôt dans les parcours, dans le même temps où on diminue les enseignements généraux dans les lycées professionnels. On parle à longueur de discours d’égalité des chances, mais on n’encourage que faiblement les dispositifs qui pourraient favoriser la mixité sociale et on continue de donner plus à ceux qui ont déjà davantage. Il est emblématique que l’on considère comme normal de payer une heure de colle de classe préparatoire 74 euros, alors qu’on prévoit pour le soutien scolaire seulement 23 euros ; de même les importantes décharges horaires dont bénéficient les professeurs des classes préparatoires sont à mettre en regard de celles, beaucoup plus faibles, consacrées à ceux qui enseignent devant les élèves des quartiers où se concentrent toutes les difficultés.

Les mêmes qui ne cessent de parler de méritocratie et de déplorer la baisse du niveau défendent ce mécanisme de reproduction des inégalités très performant qu’est le système français, dénoncé régulièrement par l’OCDE qui n’est pourtant pas une organisation révolutionnaire. Les mêmes qui se gargarisent à longueur de journées du mot république, qu’ils marient à toutes les sauces, y compris les plus rances, confortent un système qui est celui où les destinées scolaires sont les plus corrélées aux positions sociales d’origine. Les élites de gauche et de droite se retrouvent ici dans la défense de leurs intérêts et de ceux de leurs douces progénitures.

Si l’on veut rêver de l’école idéale, il faut avoir tout cela en tête : politisation, ignorance volontaire, injustice sociale font système. Une école où on apprend à coopérer plutôt qu’à se concurrencer, une école où les évaluations ne sont pas faites pour blesser, classer, éliminer, mais pour permettre de s’améliorer, où les orientations sont choisies, où on trouve de l’encouragement, de la confiance, où des aptitudes diverses sont reconnues, respectées, développées, où l’esprit d’initiative, de créativité, de curiosité est encouragé, où l’on pratique des pédagogies de projet, de collaboration et d’action, où l’art et le sport trouvent toute leur place, où l’on forme à la fois une personnalité épanouie, un citoyen éclairé et un professionnel compétent, cette école suppose d’affronter ces difficultés et d’abord d’établir un bon diagnostic de la situation présente.

Notre système n’est pas mauvais pour tout le monde et il est même très bon pour certains. Mais il est mauvais pour d’autres, environ un petit tiers. Il est injuste du point de vue social, mais aussi brutal et borné du point de vue des types de caractère et de personnalité qu’il favorise. L’école de France ne sait pas faire droit à la diversité des ethos, des qualités, des aptitudes. Elle est construite à partir de son point d’arrivée, quelques concours et écoles d’excellence, et, organisée comme une machine à trier, elle agit rétroactivement sur tout le système à partir de ces schémas. Elle produit un modèle uniforme de compétences. Si l’on voulait pouvoir recommencer à rêver et se remettre sur la bonne pente, que faudrait-il faire ? Comment rendre, après tant de déconvenues, nos espoirs à nouveau possibles ? Comment faire une école à la fois plus accueillante et plus efficace, excellente, mais pour toutes et tous, et donc juste ?

D’abord, il faudrait, vraiment, donner la priorité à l’école primaire. La France dépense moins que ses voisins européens pour son école primaire et bien plus pour son lycée : nous faisons les choses à l’envers. Il faudrait également changer le temps scolaire. Les enfants de France ont en moyenne, à l’école primaire, 144 jours de classe par an. De plus, ces journées de classe – de six heures ! – sont surchargées et on enseigne les disciplines qui méritent une grande attention à un moment où les capacités de concentration des élèves ne sont plus suffisantes. Cette situation date de 2008. Mais elle s’inscrit dans un mouvement plus long, qui s’explique par l’évolution des modes de vie, et par le refus d’augmenter les traitements des enseignants. On a échangé les hausses de salaire contre du temps libre.

Pour mesurer la gravité de la situation française, il faut savoir que, dans les autres pays, la moyenne est de 40 jours de classe en plus par an et que, dans certains, il y a plus de 200 jours de classe, soit environ 50 % de plus qu’en France. Tout cela pour le même volume horaire dispensé. Ce qui permet à ces États de mieux enseigner, à des heures plus judicieuses, les enseignements fondamentaux, mais aussi de pratiquer d’autres activités, sportives et culturelles, dans le cadre scolaire. Ces activités ne sont plus réservées à ceux qui ont les moyens de se les offrir, mais accssibles à tous. On peut toujours monter sur sa chaise et crier : « Priorité au primaire ! Priorité au primaire ! » Tant qu’on acceptera cette situation de diminution du temps scolaire et de piètre qualité du temps des apprentissages, on en restera à une situation dégradée dont tous les effets négatifs n’ont d’ailleurs pas fini de se manifester.

 
L’école est en France à la fois le lieu des injonctions contradictoires et de la sécession hypocrite des élites.
 

Ensuite, il faudrait changer le métier et donc la formation initiale et continue des professeurs. Notre pays n’est pas seulement celui qui a enlevé une demi-journée de classe à tous les enfants au primaire, mais aussi celui qui a mis fin à la formation des enseignants, dans le même temps – celui, peu glorieux, de la présidence Sarkozy – où on supprimait 80 000 postes. Mais il faut bien reconnaître que la situation s’était déjà considérablement dégradée avec la création des IUFM, qui avait conduit à fermer les écoles normales pour regrouper au sein de l’université les formations des enseignants du primaire et du secondaire. La spécificité du métier d’enseignant primaire, qui commence par la polyvalence, s’est diluée et perdue. Avoir une licence ou un master dans une discipline quelconque ne vous assure aucunement de pouvoir enseigner à lire et à écrire au cours préparatoire. C’est là un métier particulier qui requiert une alternance de solide formation générale théorique et de pratique avec l’aide de collègues expérimentés, non pas sur une durée d’un an mais sur plusieurs années. Le modèle des écoles normales de jadis, l’importance des écoles d’applications et des maîtres formateurs répondaient à ces exigences. L’enseignement en maternelle et en primaire est spécifique, difficile, et doit être reconnu comme tel. Il faut donc remettre en place une véritable formation des maîtres, initiale et continue. Absolument indispensable, l’actualisation permanente des connaissances et des techniques pédagogiques doit se faire à nouveau sous la responsabilité de l’employeur, c’est-à-dire de l’Éducation nationale.

De façon plus générale, il importera d’accompagner cette réforme de plusieurs mesures dont une revalorisation générale et inconditionnelle, de 20 %, ce qui remettra à niveau et surtout permettra de réalimenter le vivier des candidats aujourd’hui exsangue. Il conviendra de favoriser l’installation des enseignants, leur insertion et leur engagement, là où ils exercent, par des incitations puissantes en coordination avec les collectivités locales et le mouvement associatif. Ensuite, il faudra effectuer à nouveau des prérecrutements précoces et suffisamment rémunérés, de telle sorte que l’on puisse avoir des professeurs qui ressemblent à ceux à qui ils enseignent, qui puissent mieux les comprendre, mais aussi leur fournir un exemple et un modèle à imiter. C’est seulement sur la base de cette revalorisation sans conditions qu’on devra mettre en chantier et conduire les négociations concernant des compléments de service et d’autres fonctions à assurer pour exercer différemment le métier (heures de soutien et d’accompagnement, formation d’autres professeurs, orientation des élèves, coordination pédagogique). Cette diversification des obligations de service devra se faire sur la base du volontariat, avec des incitations salariales et des avantages en termes de déroulement de carrière.

Les deux leviers que sont un temps scolaire mieux réparti et une nouvelle formation des maîtres et des professeurs devraient permettre d’introduire et de réussir progressivement les réformes nécessaires dans les façons d’enseigner pour se rapprocher de notre école idéale. Seul un consensus national sur ces deux grandes questions permettra de les faire avancer, de donner au primaire une priorité réelle et pas seulement verbale, d’enrayer un déclin qui se manifeste dans les évaluations mais aussi dans la difficulté à recruter des professeurs. De l’urgence de ces réformes, il faut convaincre les Français dans leur ensemble et les enseignants en particulier, pour les porter au sommet de l’État et les programmer dans le temps long de l’action. Alors les discours incantatoires cesseraient de n’être qu’une pauvre façon de fuir le présent, d’en esquiver les rugosités. Décider de poursuivre ces objectifs prioritaires et mettre en œuvre sans retard une politique capable de les atteindre nous éviterait la cruauté des réveils et des lendemains qui déchantent. Ce pourrait être une manière, tout en comprenant le réel, d’aller à l’idéal. Une bonne définition, Jaurès avait raison, du courage. ...

Malgré les réformes, la situation de l’école ne semble pas s’améliorer. Pour la transformer vraiment, replongeons-nous dans les travaux de théoriciens éclairés et inspirons-nous modestement des expériences étrangères plutôt que d’ânonner que “c’était mieux avant”.   Chacun rêve de l’école idéale et nombreux sont ceux qui en ont une idée précise : les enfants y apprendraient dans la joie, développeraient au mieux leurs potentialités intellectuelles, physiques, artistiques, cultiveraient le partage, l’entraide et la fraternité. Mais les rêves se brisent sur la réalité, et l’école demeure pour beaucoup un lieu où la peur de l’échec le dispute parfois à l’ennui. Pourquoi un tel écart entre le rêve et la réalité ? L’école semble illustrer la célèbre réplique de Tancrède Falconeri dans Le Guépard : « il faut que tout change pour que rien ne change ». On fait des réformes, tout le temps, et pourtant tout est toujours pareil, voire, pour les plus pessimistes, tout va de mal en pis. En dix ans, on aura réformé la formation des enseignants (plusieurs fois), les maquettes des concours de recrutement (plusieurs fois), l’enseignement professionnel (plusieurs fois), le baccalauréat, les procédures d’admission dans le supérieur, de nombreux programmes, le collège, l’enseignement prioritaire, le lycée. Rien que ça ! L’école est un charivari permanent qui laisse les observateurs perplexes et les acteurs désemparés. Personne ne sait plus ce qu’il en est, qui a fait quoi, ce qui existe réellement. C’est ainsi qu’on peut voir des ministres astucieux ou cyniques annoncer la création de dispositifs qui existent déjà et des journalistes transmettre benoîtement la bonne nouvelle.…

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