Le mot de l’éditeur #21

William Emmanuel

Le 20 juin 1990, lors du sommet France-Afrique organisé à La Baule, François Mitterrand, en tant que président de la République française, prononce un discours qui fera date. Alors que l’Europe orientale et centrale s’arrache des griffes de l’Union soviétique, il exhorte les anciennes colonies françaises à opter pour la liberté. « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ; il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation », souligne-t-il.

Il y avait sûrement chez Mitterrand un calcul. La France pouvait-elle célébrer la liberté retrouvée en Europe tout en maintenant des despotes à la tête de la plupart des pays d’Afrique francophones ? Face aux récréminations des dirigeants africains, qui avaient dénoncé une forme de colonialisme et menacé de se tourner vers d’autres puissances moins regardantes sur les libertés, la France avait reculé. Elle avait ainsi abandonné une jeunesse africaine qui pouvait s’engager pour prendre son destin en main.

Conséquence de cette lâcheté, la « Françafrique » a perduré. Songeons que la famille Bongo est restée plus de cinquante ans au pouvoir au Gabon. Paul Biya a mis le Cameroun en coupe réglée depuis 1982. Denis Sassou-Nguesso règne sur le Congo depuis 1979, à l’exception d’un intermède entre 1992 et 1997. Ces dirigeants ont un seul objectif : s’enrichir et enrichir leurs familles. La France a laissé se développer une corruption généralisée au motif qu’il fallait préserver ses intérêts dans son ancien pré carré. Pour quel résultat : la dictature chinoise, qui ne se soucie pas de démocratie, a accentué sa présence en Afrique en finançant les régimes les plus corrompus pour obtenir un accès aux matières premières. La Russie a, elle, fourni ses mercenaires pour protéger des chefs d’État apeurés. La France est aujourd’hui rejetée. Quatre de ses bastions ont été le théâtre de coups d’État militaires depuis trois ans : le Mali en 2021, le Burkina Faso en 2022, le Niger et le Gabon en 2023.

N’est-il pas temps de redéfinir une politique pour l’Afrique ? Sur les quelque 13 milliards de dollars de son aide publique au développement, la France en consacre plus de la moitié aux pays africains. Pour quel résultat ? Les systèmes de santé et d’éducation sont dans un état lamentable, condamnant la jeunesse à une mort lente, sur place, ou brutale, sur les dangereuses routes de l’émigration vers l’Europe. Malgré l’abondance des ressources minières, pétrolières et hydrauliques du continent africain, aucun chef d’État français n’a songé à définir un plan pour offrir l’électricité à tous les Africains. La France est restée dans une logique coloniale en s’attachant les services de quelques autocrates et elle en paie le prix aujourd’hui. Un gâchis immense alors qu’elle était mieux placée que les Américains et les Chinois ou les Indiens pour profiter du futur développement du continent. Car, l’Afrique finira par s’en sortir, soyons-en certains. D’ores et déjà, des pays comme l’Éthiopie ou le Ghana montrent la voie.



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