À l’ouest rien de nouveau. La grève des scénaristes hollywoodiens, entamée le 2 mai dernier, perdure. Le conflit oppose le syndicat des auteurs, la Writers Guild of America (WGA) qui compte plus de 10 000 membres, et une vaste alliance de producteurs de cinéma ou de télévision (AMPTP), parmi lesquels on trouve les Majors – Universal, Paramount, Disney, Sony… – mais aussi des plateformes, comme Apple, Netflix ou Amazon. Votée à une majorité soviétique – près de 98 % des membres de la WGA se sont prononcés pour – la grève fait suite à l’échec des négociations sur deux points principaux. Le premier est un grand classique du monde du travail, la rémunération. Le second est plus nouveau, qui demande des garanties sur l’utilisation des intelligences artificielles génératives pour l’écriture de scénarios. Débats agités, altercations entre piquets de grève et non syndiqués, déclarations martiales ou apaisantes, chaque épisode de cette longue lutte est scruté par les chaînes d’information continue. Y aura-t-il du neuf à Noël ? Le stock de scripts disponibles s’épuisant, rien n’est moins sûr. Les spectateurs angoissent, les producteurs se crispent, les scénaristes américains résistent. Le 14 juillet, ils ont reçu le renfort attendu des acteurs dont le syndicat SAG-Aftra, présidé par Fran Drescher – célèbre pour son rôle-titre dans une série des années 1990, Une nounou d’enfer – multiplie les déclarations enflammées et les actions spectaculaires.
Confrontés aux mêmes problématiques, les scénaristes de France – l’autre grand pays du cinéma selon le récent rapport d’information du Sénat (mai 2023) – n’ont pas posé le stylo. Si, par la voix ténue de leur représentation, la Guilde française des scénaristes, ils affirment « s’associer totalement […] à la séquence solidaire et courageuse lancée par les scénaristes de la WGA » il ne semblent pas désireux d’aller au-delà.
La toute-puissance du réalisateur a pour effet mécanique de marginaliser le scénariste.
Ce qui peut sembler étonnant au vu du statut précaire réservé aux auteurs français : malgré la place centrale reconnue au scénario – « Pour faire un film, premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire et troisièmement, une bonne histoire », selon le mot fameux et maintes fois cité du grand cinéaste Henri-Georges Clouzot – sa rémunération reste faible, ne représentant qu’un pourcentage infime – 3,3 % en moyenne – du budget d’un long métrage. De plus, au contraire de nombre d’autres intervenants dans la fabrication d’un film – techniciens, acteurs, réalisateurs… – ils n’ont pas accès au statut d’intermittent du spectacle. En clair, une fois l’écriture achevée et, éventuellement, acquise par une maison de production, le scénariste français n’a d’autre choix que retourner à son clavier et inventer une autre histoire.
Face à une situation proche de la maltraitance, comment comprendre une telle passivité ? Elle est très simplement la conséquence délétère d’un système vertueux connu sous le nom d’Exception culturelle française. Un dispositif qui a eu le mérite de maintenir la production cinématographique nationale à un niveau élevé, quantitativement au moins, en injectant des fonds publics – directement ou non – et en incitant – par le jeu d’avantage fiscaux – voire en contraignant – par la loi – des acteurs privés, les chaînes de télévision notamment, à investir dans la création audiovisuelle. À travers son bras armé, le Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC), le ministère de la Culture dispense deux types d’aide. La première, dite automatique, est financée par une taxe prélevée sur l’ensemble des tickets d’entrée et reversée aux seuls producteurs français. Une bonne idée, même si on peut comprendre qu’elle n’enthousiasme pas les studios hollywoodiens, qui l’alimentent sans espoir de retour. La seconde, dite sélective, met le réalisateur au centre du jeu : fort de cette position privilégiée, il a dès lors le pouvoir d’imposer ses idées, ses histoires et sa présence à l’écriture. Et, sans surprise, il en (ab)use : contrairement à ce qui se passe à l’étranger, aux États-Unis ou ailleurs, le réalisateur est crédité au scénario de la presque totalité des films produits en France. Cette toute-puissance du réalisateur a pour effet mécanique de marginaliser le scénariste, placé en situation de dépendance. Conscients de la faiblesse de leur position, lucides sur leur capacité à perturber la production cinématographique française, les auteurs français n’ont jamais envisagé de cesser le travail. Ils se taisent. Et continuent à écrire en silence.