Dans un café de la capitale, où le peintre séjournait au printemps à l’occasion de son exposition à la galerie Talmart, Gene Johnson fait défiler les photos qu’il a prises de la ville. Des bouts de murs, de bâtiments, de ciel et de trottoirs en travaux remplacent les traditionnels clichés de la tour Eiffel, de l’Arc de triomphe ou de Notre-Dame. Viennent ensuite des photos de Mexico (un escalier), du Japon (un pan d’immeuble) ou de Rome (un angle de rue). Le natif du New Jersey, fasciné par les détails et le graphisme du quotidien, scrute son environnement avec la curiosité d’un enfant et tire une grande partie de son inspiration de l’architecture urbaine.
“L’abstraction géométrique me permet de m’exprimer mais aussi de ne jamais me lasser.”
De retour à son studio, au Mexique, il se poste devant ses toiles, six heures par jour, tous les jours ou presque. « J’y fais des lignes, des figures et je m’amuse avec », résume-t-il en riant. Ses peintures s’inscrivent dans le courant de l’abstraction géométrique. Derrière les formes qu’il dessine se cachent des réflexions – plus ou moins abouties selon lui – sur la vie et l’équilibre, ce concept étant souvent représenté par un petit triangle « portant » des figures géométriques plus imposantes. « Au début de ma carrière, j’étais beaucoup plus explicite. À la place du triangle, je pouvais peindre une sorte de maison et j’intitulais ma toile L’Équilibre fragile de la vie. Au fil du temps, je me suis détaché des dessins trop figuratifs, quitte à y perdre du public. C’est un choix difficile car il me semble que moins vos toiles sont accessibles, moins vous avez d’acheteurs potentiels. Mais je ne peux pas peindre pour le marché, c’est trop malhonnête. » Il aime particulièrement explorer la relation entre les couleurs et les formes, et la manière dont elles peuvent faire surgir une idée d’équilibre. « L’abstraction géométrique me permet de m’exprimer mais aussi de ne jamais me lasser. Je continue à être fasciné par toutes les explorations artistiques possibles avec les couleurs, les textures, les formes ! »
Voilà pourtant près de soixante ans que le peintre, né en 1945, officie. Après avoir obtenu son diplôme au Ringling College of Art and Design, en Floride, en 1966, Gene Johnson a débarqué à New York, où il a travaillé comme designer commercial dans des studios et des agences de publicité. Parallèlement, il continuait à peindre et graffait aussi sur les murs de la ville – des dessins d’échelles exclusivement ou presque. « J’étais jeune et bête… Non, en fait, j’étais jeune et je m’amusais ! C’était l’époque de Basquiat, tout le monde faisait des gribouillis partout, les murs étaient couverts de peintures. Je l’ai croisé une fois, quand il a commencé à traîner à la Factory de Warhol, on s’est juste dit “salut, comment ça va ?” Mais écrivez plutôt qu’on était amis ! », plaisante-t-il. Depuis ses premières expositions dans des galeries new-yorkaises dans les années 1980, Gene Johnson en a fait bien d’autres, des collectives et des individuelles, à Mexico, Madrid, La Havane, São Paulo, ou dernièrement au Japon. Il s’est mis aussi aux collages, dans une démarche plus instinctive, comme il la qualifie lui-même.
Contrairement aux peintures, qu’il touche, retouche, et abandonne même parfois après des mois de travail, ses collages sont plus spontanés, un assemblage de matériaux trouvés dans la rue ou décollés des murs qu’il garde dans des boîtes, dans son studio à San Miguel de Allende. C’est désormais là qu’il vit, à 300 kilomètres au nord de Mexico. Un environnement qui l’inspire quotidiennement, comme tout ce qu’il connaît du continent sud-américain. « Johnson nourrit aussi en profondeur son œuvre de l’histoire de l’art et de l’architecture sud-américaines, du muralisme mexicain et de l’art concret brésilien, de toutes sortes d’influences latino-américaines, lui qui explore cette partie du monde depuis plus de vingt ans », écrit Marie Deparis-Yafil, qui a assuré le commissariat de l’exposition parisienne de la galerie Talmart. Les influences de Gene Johnson sont nombreuses. « Tous les mouvements artistiques me fascinent, de l’hyperréalisme aux œuvres créées numériquement. ». Il est particulièrement fan des peintres abstraits, et sa liste est longue : de Victor Pasmore à Paul Klee, de Serge Poliakoff à Piet Mondrian, William Baziotes et Ellsworth Kelly, de Sol LeWitt à Josef Albers, en passant par Calder, Miró, Léger, Kandinsky, Malevitch. « Je peux passer plus de temps à contempler des artistes contemporains qu’à regarder des peintures anciennes de la Renaissance. » Ni Vinci ni Rembrandt. Ni Dieu ni maître.