La France et ses enfants juifs

Haïm Korsia

L’encyclopédie Histoire juive de la France vient de sortir aux éditions Albin Michel. Il s’agit pour ses auteurs, 150 spécialistes venus de six pays, emmenés par Sylvie Anne Goldberg, directrice d’études à l’EHESS, de combler un vide. Comme le dit Paul Salmona, directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme, « l’histoire des Juifs de France demeure une tache aveugle dans le récit national ». Certes, on parle des Juifs dans le cadre de l’affaire Dreyfus et de la Shoah, mais on occulte tout le reste, de leur histoire si ancienne en terre de France à leur apport si important à la culture française.

Cette Histoire juive de la France veut combler ces lacunes et se trouve être, de fait, une histoire de France qui n’oublie pas ses enfants juifs. 

C’est une mosaïque, qui nous fait voyager d’un siècle à l’autre, un immense puzzle que l’on déconstruit et reconstruit au fil de l’évolution de l’histoire de France, une forme d’œuvre pointilliste comparable à un Seurat. L’avantage, ou l’inconvénient, d’un puzzle, c’est que l’on peut s’y perdre. Sa version imprimée permettra d’en marquer des pages, d’y faire des annotations, de s’approprier plus facilement cette histoire qui, au travers de l’histoire des Juifs en France, est aussi et, peut-être, avant tout une histoire de France, tout simplement.

Au fond, la publication de cette encyclopédie pourrait s’accompagner d’une grande exposition, que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, abriterait idéalement. Et pourquoi ne pas en faire un événement itinérant, ou la décliner dans les villes ayant fait partie de l’histoire des Juifs en France, de Bordeaux à Metz, de Rouen à Avignon. Elle raconterait cette histoire en suivant l’évolution des frontières françaises et les règnes des différents rois de France, avec un zoom sur la Révolution française, qui permet aux Juifs français de devenir des citoyens comme les autres, et en se focalisant sur l’évolution des manifestations de l’antisémitisme, qui n’a, lui, jamais cessé, de l’affaire Dreyfus à la Shoah, de l’attentat de la rue Copernic en 1980 aux difficultés actuelles rencontrées par les Juifs français. 

Ce qui est incroyable, c’est que dès le Moyen Âge, et même auparavant, les Juifs ont été persécutés, des métiers et des lieux leurs étaient interdits, ils devaient porter un signe distinctif, jaune déjà, et même si le mot n’était pas utilisé, il y avait une forme de regroupement en ghettos.

Certains de nos rois, lorsqu’ils y trouvent un avantage, les sollicitent et les protègent en leur offrant une intégration économique sans renoncer à une ségrégation sociale. Certains signes, comme le maintien du carillon de la cathédrale de Strasbourg à 22 h 06, qui servait à l’origine à signaler aux Juifs qu’il était temps pour eux de quitter la ville, peuvent nous interroger. Mais, plutôt que d’effacer l’histoire et ses signes, il nous faut les expliquer et en faire la pédagogie.

L’ouvrage est divisé en quatre parties, chacune commençant par des pages repères consistant en cartes suivies d’un tableau chronologique : « La Longue Naissance de la France » ; « De l’Ancien Régime à la Révolution » ; « Le Principe républicain à l’épreuve » ; enfin, « Une société à réinventer ».

À chaque instant, la considération du judaïsme apparaît comme un indicateur fiable du respect de l’altérité dans la société. Plus qu’une histoire des Juifs présents sur le sol français, ce livre est le récit de cet entrelacs de valeurs et d’espérances qui tissent une trame intime entre ce qu’est la France et ce qu’est le judaïsme.

L’exemple que je veux distinguer est bien entendu celui de Rachi, le fameux rabbin de Troyes (1040-1105), qui commentait la Bible et le Talmud avec des mots français, une source unique pour savoir comment étaient prononcés les mots à l’époque et, surtout, un moyen pour que tous les étudiants qui se penchent sur ses textes inhalent en même temps un peu de cette terre de Champagne qui vit naître un dialogue porteur d’espérance entre le rabbin Rachi et l’abbé Bernard de Clairvaux (1090-1153), qui suppliait les Croisés de ne pas tuer les Juifs.

Si un Premier ministre, Manuel Valls, a pu dire que « la France sans les Juifs ne serait plus la France », c’est que nous partageons en France comme dans le judaïsme cette triple espérance de liberté, d’égalité et de fraternité, mais qu’en plus, nous en sommes, en tant que Juifs, l’indicateur. Ce que met en évidence cette encyclopédie, c’est que chaque fois que les Juifs sont malheureux, c’est une période sombre pour la France, et chaque fois que les Juifs sont heureux, c’est une période faste pour le pays.

Peut-on mieux démontrer que le bonheur des uns fait le bonheur de tous ? 

 



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